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Congo démocratique

La course aux fauteuils de la transition

Quatre fauteuils de vice-présidents, soixante portefeuilles de ministres, 620 sièges de députés et de sénateurs, des centaines de strapontins provinciaux ou diplomatiques, au total, un bon millier de postes civils doivent être rapidement pourvus pour faire démarrer l’attelage institutionnel chargé de conduire à des élections en deux ou trois ans. L’enjeu de cette distribution c’est la paix, pour les Congolais ordinaires. Les protagonistes de la guerre, eux, jouent leur avenir politique. A terme, ce sont en effet des électeurs qu’il faudra convaincre. Pour les adversaires du régime Kabila, les vice-présidences constituent des tribunes en forme de partage du pouvoir, voire des têtes de pont pour le conquérir.
Conformément aux accords signés en Afrique du Sud, à Sun City, le 2 avril dernier, Joseph Kabila conserve la présidence de la République. Son gouvernement obtient également une des quatre vice-présidences. Il l’a confiée à un fidèle de son défunt père, Abdoulaye Yerodia. Les trois autres vice-présidences reviennent à l’opposition politique et aux deux principaux mouvements armés, le Mouvement pour la libération du Congo (MLC) et le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma). Le RCD-Goma vient de désigner son secrétaire-général, Azarias Ruberwa, un munyamulenge du Kivu – à la différence de son président, le Kasaïen Adolphe Onusumba qui obtient le poste de vice-président de l'Assemblée nationale – ce qui ne manquera pas de renforcer l’étiquette rwandophone et rwandophile du mouvement allié de Kigali. Pas de surprise non plus côté MLC où Jean-Pierre Bemba occupera le fauteuil de vice-président. Unanimisme ou pas, la discipline de rigueur dans les mouvements armés aura prévalu. Il en va de même côté gouvernement. En revanche la très hétérogène opposition non armée éprouve les pires difficultés à trouver le consensus érigé en règle à Sun City par les «composantes et entités du dialogue intercongolais» pour nommer les titulaires des fauteuils de la transition.

Le père fondateur de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), Etienne Tshisekedi, reste candidat à la vice-présidence dévolue samedi soir à Zahidi Ngoma par une partie de l’opposition non armée. Etienne Tshisekedi avait demandé un arbitrage indépendant pour trancher entre les partis politiques peu enclins par nature à désigner un candidat commun. La semaine passée, il aurait renouvelé cette requête auprès du Comité de suivi international chargé de veiller à l’application de l’accord de Sun City. En attendant une invitation à une quelconque concertation de l’opposition, Etienne Tshisekedi fait observer que Zahidi Ngoma se réclame d’un «constat de consensus de 37 voix sur 57», soit «deux fois le nombre de partis – 26 – agréés à Sun City». «Un non sens» et «une désignation frauduleuse», selon les partisans d’Etienne Tshisekedi qui menacent de descendre dans la rue.

Le représentant spécial du secrétaire général de l’Onu en République démocratique du Congo, Amos Ngongui «prend acte de la nomination» d’Arthur Zahidi Ngoma. Nommé ou nominé, ce dernier boucle ainsi un grand tour du très mouvant paysage politico-militaire de l’opposition congolaise, contre Mobutu puis Kabila père et fils, avec un passage dans la lutte armée du Rassemblement congolais pour la démocratie, le RCD-Goma, comme membre-fondateur en 1998. De retour à Kinshasa comme franc-tireur d’une opposition où l’UDPS de Tshisekedi défend une place historique aux côtés de quelques autres revenants ou nouveaux-venus, Zahidi Ngoma devra sans doute encore marquer quelques points pour consolider sa vice-présidence «opposition politique». Celle-ci présidera la Commission sociale et culturelle, l’une des quatre commissions gouvernementales accompagnant chacune des quatre vice-présidences. Une Commission pour la reconstruction et le développement est par ailleurs dévolue au gouvernement, une Commission économique et financière revient au MLC et une Commission politique, défense et sécurité au RCD-Goma.

Partage du pouvoir et crimes contre l’humanité

Les institutions de transition sont une construction à tiroirs qui prévoit 36 ministères répartis entre les destinataires des vice-présidences auxquels s’ajoutent les deux autres factions rebelles du RCD-ML et du RCD-N, les Mayi Mayi (combattants des différentes communautés de l’Est congolais hostiles au Rwanda, à l’Ouganda et à leurs alliés locaux) et la société civile. Dans ce gouvernement, l’Intérieur et les Finances reviennent au régime Kabila, les Affaires étrangères et le Budget au MLC, la Défense et les entreprises publiques au RCD-Goma. En outre, pour former le Parlement de transition, le gouvernement Kabila, l’opposition politique, la société civile, le MLC et le RCD doivent coopter chacun 94 députés et 22 sénateurs, le RCD-ML 15 députés et 4 sénateurs, les Mayi Mayi 10 députés et 4 sénateurs, et le RCD-N 5 députés et 2 sénateurs. Un dosage tout aussi complexe doit organiser l’intégration dans une armée nationale d’éléments issus des Forces armées congolaises, des Mayi Mayi et des ex-groupes rebelles. Devant l’immensité de la tâche, la finalisation du volet militaire a été déléguée à une commission mixte. A charge pour le gouvernement de transition de traiter l’épineux dossier sécuritaire de la police. Mais d’abord, il s’agit de former ce gouvernement et de mettre au travail les mandataires des multiples «composantes» congolaises chargées d’administrer le pays.

Dans sa résolution 1468 du 20 mars 2003, le Conseil de sécurité «demande aux parties congolaises de tenir compte, lorsqu’elles choisiront les candidats aux postes-clefs dans le gouvernement de transition, de leur détermination ainsi que de leurs actions passées en ce qui concerne le respect du droit international humanitaire et des droits de l’homme et la promotion du bien-être de tous les Congolais». Si les vice-présidences sont des postes-clefs, le Conseil de sécurité observe sans doute avec intérêt la remise en selle d’Abdoulaye Yerodia. Elle a une allure de garantie d’immunité pour ce psychanalyste de choc qui s’est illustré dans la chasse aux ennemis de l’intérieur, réels ou supposés et en l’occurrence Rwandophones, après la fâcherie avec le parrain de Kigali. Ses appels véhéments avaient donné lieu en août-septembre 1998 à des pogroms contre les Tutsi du Congo. Yerodia a échappé à la justice «universelle» belge. Il reste sous le coup du dossier d’accusation déposé devant la toute nouvelle Cour pénale internationale par la Fédération internationale des droits de l’homme, la FIDH. Celle-ci demande également justice pour les crimes commis dans l’Ituri par le MLC de Jean-Pierre Bemba et son petit allié du RCD-N, Roger Lumbala. Le Conseil de sécurité s’est tout particulièrement ému des accusations de cannibalisme portées contre les deux groupes. Pourtant Bemba se voit déjà vice-président, son bras droit, Olivier Kamitatu, président de l’Assemblée nationale. Quant à Roger Lumbala, il obtient le ministère du Commerce extérieur et du Tourisme.

La guerre du Congo se poursuit au Kivu où elle est entrée en 1996. La majorité des sans voix du Congo espèrent que ce sont les derniers feux de la course aux fauteuils de la transition. Mais s’ils entrent dans la lice politique de Kinshasa, les seigneurs de la guerre ne sont pas disposés à lâcher leurs fiefs. Ils rêvent plus grand, de magistrature suprême par exemple.



par Monique  Mas

Article publié le 07/05/2003