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Liban

La politique du gros bâton

Attendu ce samedi à Beyrouth, Colin Powell est porteur d’une série d’exigences concernant essentiellement le désarmement du Hezbollah. Beyrouth et Damas ont-ils encore une marge de manœuvre pour résister aux pressions américaines ?
De notre correspondant à Beyrouth

Fort de la victoire des troupes américaines en Irak et du bouleversement radical des rapports de forces qu’elle a provoqué au Proche-Orient, Colin Powell débarque dans la région avec une assurance dont seuls les vainqueurs peuvent se prévaloir. Pendant cette visite éclair de quelques heures au cours de laquelle il s’entretiendra avec les principaux responsables, le secrétaire d’Etat espère obtenir ce que plusieurs offensives israéliennes contre le Liban (juillet 1993, avril 1996) et des années de pressions multiformes sur Beyrouth et Damas n’ont pu obtenir: le désarmement du Hezbollah.

Selon la plupart des observateurs, Colin Powell exposera à ses interlocuteurs libanais la vision des Etats-Unis concernant l’évolution future de la situation dans la région. Mais cet exposé prendra plus la forme d’une série d’exigences qu’un échange d’idées. Le chef de la diplomatie américaine réclamera le désarmement du Hezbollah, qualifié par Washington d’organisation terroriste, l’envoi de l’armée libanaise au Liban-Sud pour garantir la sécurité à la frontière avec Israël, le renforcement de la coopération antiterroriste et le respect des libertés et des droits de l’homme.

Ton ferme et menaces

Certes, par le passé, les Etats-Unis ont soumis à plusieurs reprises cette longue liste de demandes au Liban. Mais c’est bien la première fois qu’elles seront formulées sur un ton aussi ferme et qu’elles auront été précédées de menaces directes adressées à la Syrie, principale sinon unique inspiratrice de la politique étrangère de Beyrouth. A la veille de son arrivée, Colin Powell a d’ailleurs donné le ton en affirmant qu’il tentera de convaincre Damas de prendre en compte les changements décisifs survenus en Irak.

Devant la gravité de la situation, le Liban et la Syrie ont rapidement accordé leurs violons. Le ministre syrien des Affaires étrangères Farouk Chareh, dépêché à la hâte à Beyrouth ce jeudi, s’est entretenu avec les responsables libanais pendant plus de deux heures de toutes ces questions. Cette visite était d’autant plus urgente que la déclaration de Dominique de Villepin appelant au retrait des forces syriennes conformément à la résolution 520 de l’Onu a eu l’effet d’une douche froide. L’embarras des Syriens et des Libanais était parfaitement perceptible dans leurs réactions. Chareh a ainsi refusé de commenter les propos du ministre français. «Nous sommes encore en train d'analyser cette position car les deux aspects d'une déclaration doivent être pris en considération: le texte intégral mais aussi les circonstances délicates dans lesquelles elle a été faite», a-t-il dit. Son homologue libanais Jean Obeid, s’est quant à lui lancé dans un long rappel des circonstances historiques qui ont accompagné le vote de la 520 avant de souligner que «ce qui est appelé présence militaire syrienne au Liban est légitime, nécessaire et provisoire, dicté par les besoins du Liban et ceux communs aux deux pays».

Farouk Chareh a par ailleurs tenté de dédramatiser la situation en assurant que son pays était disposé à évoquer tous les dossiers avec Washington, affirmant que son pays refuse que des exigences lui soient dictées, tient à ses constantes nationales, mais croit au dialogue. Il a habilement éludé une question portant sur le désarmement du Hezbollah, précisant que ce parti politique est le fruit de la société libanaise.

La Syrie a beau déclarer qu’elle ne transigera pas sur ses constantes nationales, elle semble néanmoins prête à faire des concessions tactiques pour empêcher une détérioration irrémédiable de ses relations avec Washington. Et ce ne sont pas les quelques rafales de DCA tirées par le Hezbollah en direction d’avions israéliens qui viendront démentir le légendaire pragmatisme du régime syrien. Mais jusqu’où iront ces concessions, c’est là que réside toute la question. Certes, il faudra bien plus que des menaces, aussi sévères soient-elles, pour amener la Syrie à procéder au désarmement du Hezbollah qui est sa dernière carte maîtresse. Mais entre le soutien absolu et le démantèlement, il y a un juste milieu: la mise en veilleuse du parti islamiste.

Dans les mois à venir, le Hezbollah pourrait ainsi geler ses activités militaires et l’armée libanaise se déployer à la frontière. Selon des informations sûres, l’armée aurait déjà commencé à renforcer ses positions militaires dans la partie méridionale du pays. Dans le même esprit, Damas pourrait accélérer l’allègement de son dispositif militaire au Liban, entamé en l’an 2000 et qui s’est poursuivi, début mars, avec l’évacuation de plusieurs communes chrétiennes au Liban-Nord. Evidemment, l’allègement du dispositif militaire ne signifie pas nécessairement la fin de l’influence politique de Damas qu Liban. De son coté, Beyrouth renforcera, sur les conseils de la Syrie, la lutte antiterroriste qui s’est soldée, il y a trois mois, par le démantèlement d’une cellule d’al-Qaïda.

Ces gestes de bonne volonté devraient servir à calmer les Etats-Unis et à gagner du temps. Mais suffiront-ils à éloigner définitivement la menace d’une réédition, en Syrie, du précédent irakien ?



par Paul  Khalifeh

Article publié le 02/05/2003