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Liberia

Taylor privé de l’argent du bois

L’ONU décrète un embargo contre les exportations de bois libérien à compter du 7 juillet prochain. La sanction frappe le nerf de la guerre du régime Taylor. Elle concerne les grands importateurs que sont la Chine et la France.
Le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé le 5 mai de compléter les sanctions déjà imposées au Liberia par un embargo sur les exportations de bois. Cette mesure prive le régime Taylor d’une ressource financière dont il dépend presque totalement depuis la dernière volée de sanctions (résolution 1343 du 7 mars 2001) qui lui interdisait d’exporter des diamants ou d’acheter des armes et entravait la circulation de certains de ses dignitaires. Cette fois, le Conseil de sécurité ajoute que «tous les Etats prendront les mesures nécessaires pour empêcher, pendant une période de 10 mois, l’importation dans leur territoire de bois rond et de bois d’œuvre provenant du Liberia». Ces sanctions vont devoir être appliquées dans une filière bois militarisée, ramifiée jusque dans l’Ouest ivoirien et dominée par des réseaux russe, libanais et asiatique, et même des mafias corse et italienne. Jusqu’à présent, les deux principaux importateurs de bois du Liberia, la Chine et la France, freinaient des quatre fers. Mais la nouvelle résolution onusienne prévoit de reconsidérer la question le 7 septembre prochain pour réduire «les répercussions humanitaires et socio-économiques de ces mesures, notamment la possibilité d’autoriser la reprise des exportations de bois d’œuvre pour financer des programmes humanitaires».

Le 1er mai, la première compagnie forestière du Liberia, Oriental Timber Corporation (OTC) annonçait qu’elle allait suspendre «ses activités, pour cause d’insécurité dans l’Est» du pays. «Les ouvriers jugent que la forêt n’est pas sûre», les équipements lourds ont été remisés au port de Buchanan et 3000 ouvriers sont sur le carreau, déclarait un de ses responsables d’OTC, ajoutant que «l’usine de contreplaqué de 50 millions de dollars, la plus importante d’Afrique est en revanche toujours opérationnelle parce qu’il y a toujours du bois à transformer». Certes, et l’on sait aussi que les exploitants du bois libérien ne se déplacent jamais sans les milices qui tiennent chacun des fiefs dévolus par Charles Taylor à ses amis de fraîche ou longue date.

Le nerf de la guerre

C’est un secret de polichinelle, le bois du Liberia est le nerf de la guerre. Sous Samuel Doe déjà. Et si l’on en croit l’enquête approfondie de l’organisation spécialisée Global Witness, OTC est «également connue au Liberia sous le nom de Old Taylor’s Children (les enfants du vieux Taylor) ou Only Taylor Chops (coupes exclusives de Taylor)». Les experts de l’ONU dénoncent une filière chinoise –mais il en est d’indonésiennes– de compagnies forestières en cheville avec le régime Taylor qui arrosent aussi les pays voisins avec des armes obtenues par l’entremise de trafiquants serbes. Parmi la poignée d’affairistes asiatiques, russes ou libanais qui font la jonction entre les marchés d’armes et celui du bois, on trouve aussi par exemple l’ambassadeur itinérant de Charles Taylor, Mohammed Salami, heureux propriétaire de la Salami Molawi incorporated, ancré à Danané, dans l’Ouest ivoirien où la route de Toulepleu à San Pedro est un enjeu majeur dans l’acheminement des grumes libériennes vers la côte atlantique ivoirienne. A l’intersection de ce réseau international, le régime Gbagbo fait figure de gêneur, voire de concurrent potentiel. Dans ces trafics à haut risque, ce sont les rapports de force plus que les amitiés qui fondent et défont les partenariats.

A l’autre extrémité de la filière, les importateurs n’en ont cure. Entre 1998 et 2000, la mise en coupe réglée de la forêt libérienne a triplé, frisant le million de mètres cubes pour une valeur de quelque 187 millions de dollars selon Global Witness. L’organisation ajoute que la banque centrale du Liberia a encaissé moins de sept millions de dollars. Seul Taylor et ses amis savent où est passé le reste. En 2000, la Chine a déclaré 290 409 mètres cubes de bois importés du Libéria (pour 34 millions de dollars). Monrovia en a déclaré 77 318 mètres cubes seulement exportés vers Pékin. La France déclare pour la même période des importations de bois libérien de 167 779 mètres cubes (33 millions de dollars) et l’autre grand client, l’Italie 78 800 pour 16 millions de dollars. Pour le reste, les sociétés importatrices, bordelaise ou malaisienne ne sont guère disertes. Les transporteurs non plus. L’autre spécialité rentable du Liberia, c’est l’immatriculation des navires. Lorsque le bois arrive à destination, il est en quelque sorte blanchi.

L’embargo risque de faire monter les prix. Taylor peut aussi décider de changer son fusil d’épaule et d’entamer des négociations tous azimuts comme l’exigent les Nations unies. Dans l’immédiat, son ministre de l’Information, Réginald Goodridge dénonce l’embargo sur le bois comme un complot de Washington et de Londres pour détruire le Liberia. Il réfute les accusations onusiennes selon lesquelles le bois serviraient à alimenter la guerre chez ses voisins. «La Guinée appuie les incursions rebelles au Liberia et la Côte d’Ivoire soutient 750 nouveaux rebelles contre nous», dit-il, dénonçant les sanctions contre son pays et ajoutant «Parler du bois qui financerait des guerres, c’est de la foutaise



par Monique  Mas

Article publié le 08/05/2003