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Politique française

Les socialistes cherchent un projet

Près de 130 000 militants socialistes sont appelés à choisir le projet politique d’avenir, contenu dans cinq motions, qui sera soumis au congrès du parti. Celui-ci se tiendra à Dijon du 16 au 18 mai. Les scrutins, organisés dans les 102 fédérations départementales, ont démarré le 28 avril et s’achèveront le 6 mai. A mi-parcours, les différents états-majors semblaient rassurés quant à l’enregistrement d’un taux de participation acceptable (elle était de plus de 66% en 2000, lors du dernier congrès). La consultation doit dégager les tendances les plus significatives qui habitent le Parti socialiste. Les héritiers de François Mitterrand, et d’un PS social-démocrate et libéral, en attendent une approbation de la ligne en vigueur, qu’ils soutiennent, alors que les animateurs des autres motions s’inscrivent dans une dynamique de contestation des orientations politiques du parti et/ou de sa direction.
«J'ai beaucoup de respect pour François Hollande, (…) mais je ne sais pas ce qu’il pense», déclarait cette semaine une militante socialiste à la télévision française pour justifier qu’elle ne voterait pas pour lui. Cet homme, premier secrétaire du PS, incarne en effet toute la difficulté et les contradictions de sa mission d’héritier de l’ex-parti gouvernemental et rassembleur de tendances d’autant plus turbulentes qu’elles n’ont rien à perdre à afficher leurs ambitions. D'où ses appels à l'unité autour de son projet dans un parti plus que jamais crispé sur ses courants centrifuges.

Après le cuisant désaveu qui lui a été infligé il y a un an (premier tour des élections présidentielles, le 21 avril 2002), le PS est laminé. Il lui est aujourd’hui souvent reproché d’être essoufflé, à court d’idées et incapable de symboliser une force de proposition séduisante. L’usure du pouvoir, peut-être, après avoir si longtemps gouverné et quelquefois lui-même trébuché sur les embûches de l’exercice. L’essentiel des notables a survécu à la débâcle : qui dans son fief municipal, qui dans sa circonscription ou de retour à sa niche d’origine, la haute fonction publique le plus souvent. Le temps joue pour ceux-là, par défaut. Car tôt ou tard, l’équipe au pouvoir ne manquera pas de lasser ou de décevoir. La fraction la plus conservatrice du parti peut donc attendre tranquillement son heure, qui ne manquera pas d’arriver. Face à la montée des mécontentements, face au vide politique français actuel en raison du monopole détenu sur le marché par la droite conservatrice, et la nature ne supportant pas le vide, ce sont les syndicats qui montent en première ligne (comme l’avait fait le Conseil constitutionnel en d’autres temps, dans des configurations identiques).

Mais, si une fraction du PS croit peut-être pouvoir tranquillement en attendre de tirer les marrons du feu et se refaire ainsi une santé politique sur le dos des projets gouvernementaux les plus impopulaires (retraite, sécurité sociale, privatisations et, plus généralement, abandons progressif de souveraineté économique), une autre en revanche n’a pas cette patience et ne se livre pas à la même analyse. Pour celle-ci, la défaite de 2002 est à mettre sur le compte du dévoiement du Parti, dont les élites ont été, selon eux, récusés par l’opinion publique. Et la manifestation de leurs ambitions passe à présent par une contestation, qui se veut parfois radicale, des instances dirigeantes du Parti. Car le PS est plus que jamais un parti divisé en tendances, écartelé même entre ses racines anti-capitalistes (de moins en moins assumées, quoique toujours vivace au sein de l’électorat populaire qui lui est resté fidèle) et sa légitimité acquise lors de son adhésion au libéralisme, avec François Mitterrand, dont les principaux notables sont les héritiers et dont les plus farouches opposants tentent toujours de déboulonner l’encombrante statue.

Vers un parti socialiste conservateur

Cette activité s’inscrit aujourd’hui dans un débat illustré par la consultation en cours des militants dans laquelle les cinq motions en concurrence (www.parti-socialiste.fr) traduisent autant les luttes intestines et les querelles de personnes que les courants de pensée. Le premier secrétaire, François Hollande, conduit la motion A, celle de la continuité, au vu du personnel qui la soutient. La B, baptisée Utopia par ses fondateurs, est construite autour de l'idée de rupture avec le système capitaliste. La motion C, intitulée Nouveau Parti socialiste, s'illustre par la personnalités de ses animateurs, Arnaud Montebourg et Vincent Peillon, qui plaident pour une réforme profonde des institutions et le passage à la VIème République. La D entraîne dans son sillage la puissante fédération du Nord-Pas-de-Calais et se veut à la fois porte-parole d’un socialisme ouvrier originel et machine de guerre contre l'establishment socialiste et son auto-reproduction. Enfin la E, appelée Nouveau monde et peuplée d’anciens notables mécontents de la dérive sociale-démocrate du parti, s'inscrit, comme la B, dans une logique de rupture avec le libéralisme. Mais la plupart constitue surtout une machine de guerre contre les autres. Et sur les leaders de chacune pèse le soupçon de vouloir régler leur compte aux autres, selon la vieux principe de la querelle des anciens et des modernes, au mieux.

Ce débat interne au Parti socialiste, où s’affichent finalement sans vergogne ambitions et appétits dans un climat de concurrence exacerbé, s’inscrit par ailleurs dans un contexte de quasi-disparition de la gauche du paysage politique français, avec le naufrage du navire-amiral «gauche plurielle» qui regroupait sous cette bannière le PS, le Parti communiste français (PCF) et les Verts (écologistes). Le PCF n’est plus communiste et, en abandonnant ses références, il a largement contribué à la dérive de son électorat vers d’autres formations qui, comme le Front national, ont habilement exploité l’ambiguïté entre «populaire» et «populisme». Quant aux Verts, ils ne séduisent qu’une fraction résiduelle de la petite bourgeoisie urbaine et leurs incessantes querelles internes ont fini par les disqualifier aux yeux d’une opinion publique en recherche d’une alternative solide. Autant dire que la gauche française est, version optimiste, en pleine reconstruction et que ce n’est pas encore sur la base de ses propositions, ni de l’image qu’elle offre, qu’elle menacera les conservateurs au pouvoir pour la simple raison qu’on ne lui prête pas d’autres ambitions que d’introduire un peu plus de keynésianisme dans un univers dominé par les critères en vigueur au sein de l’Organisation mondial du commerce.

Info ou intox, selon les dernières estimations sur le vote des militants, la dramatisation du scrutin, avec la menace d’une fragmentation suicidaire de l’électorat socialiste, a fonctionné. Les résultats indiqueraient que la liste A, la droite du PS, est en tête. Ainsi, bien que selon Henri Emmanuelli «l’image qui va sortir de ce vote ne sera pas l’image d’un parti monolithique», au train où vont les choses, le PS va demeurer la pataugeoire des «éléphants».



par Georges  Abou

Article publié le 02/05/2003