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Maroc

Etat de choc à Casablanca

Au lendemain des attentats qui ont fait 41 morts et une centaine de blessés à Casablanca, c’est un calme inhabituel qui domine. Les habitants craignent de nouvelles attaques et s’interrogent.
De notre correspondante au Maroc

La ville de Casablanca était littéralement stupéfiée samedi, en découvrant que le Maroc n’était plus une exception sur la carte du terrorisme. Les rues étaient pratiquement vidées de leurs habitants qui avaient préféré rester en sécurité chez eux, à l’écoute des informations disponibles. La radio et la télévision nationales ont précisé le bilan en vies humaines, ainsi que les cibles des attentats de la soirée de vendredi. Cinq points ont été touchés. Il s’agit de la «Casa Espana», un club espagnol qui abrite un restaurant ; du «Positano», un restaurant italien dont le propriétaire est juif, où les kamikazes n’ont pu pénétrer, faisant exploser leur charge en pleine rue, face au consulat belge ; du Cercle de l’alliance israélite, fermé en raison du shabat ; d’ un ancien cimetière juif près de l’ancienne médina et l’hôtel «El Fahrat», des lieux concentrés dans le centre historique de Casablanca.

Le roi Mohamed VI, le gouvernement ainsi que les islamistes du Parti pour la Justice et le Développement (PJD), les islamistes «monarchistes» arrivés au Parlement il y a neuf mois, ont condamné ces attentats. Le roi est arrivé en fin d’après-midi dans sa résidence casablancaise où il a présidé une séance de travail, consacrée aux «répercussions de ces actes terroristes». Il a également précisé qu’il apporterait «assistance aux victimes». Nabil Benabdellah, ministre de la communication a, quant à lui, déclaré que la condamnation de ces actes terroristes par le PJD «ne suffisait pas» et qu’il attendait «une prise de distance catégorique avec le phénomène islamiste et ce qu’il porte en germe de menaces terroristes». Un ton ferme vis-à-vis des islamistes qu’on ne lui avait pas connu jusqu’alors.

Car, si aucune piste n’est privilégiée, faute du recul nécessaire, le choix des cibles, ainsi que les méthodes utilisées, désignent des islamistes comme auteurs de ces attentats qui déstabilisent le Maroc. Les indices sont cependant brouillés en ce qui concerne les deux pistes essentielles: le terrorisme international, mis en avant par le gouvernement dès vendredi soir, et un terrorisme «local». «L’un n’exclut pas l’autre, déclare Mohamed El Ayadi, politologue. Nous ne disposons pas d’éléments d’analyse à l’heure actuelle, mais l’événement était prévisible, dans la mesure où l’idéologie islamiste recèle ce genre d’actions violentes». Nadia Yassine, la fille du chef spirituel du mouvement islamiste radical «Al Adl wa Lhissane» déclarait, elle, que son père prône la non violence, ajoutant que «la politique américaine récolte ce qu’elle a semé».

Inquiétude dans la communauté juive

Simon Levy, l’initiateur du petit musée juif de Casablanca, récuse l’idée selon laquelle seuls des intérêts juifs seraient visés. Le fait que l’hôtel «Al Farah» aurait abrité, ces derniers jours, des Israéliens en voyage au Maroc à l’occasion du pèlerinage judéo-marocain qui se déroule en ce moment ne peut seul faire sens. «Si ces gens étaient aussi bien renseignés, l’attaque contre le Cercle de l’alliance israélite un soir de fermeture est illogique. Le choix des restaurants indique plutôt la volonté de nettoyer ce pays de ses mécréants, les juifs, mais aussi les Musulmans qui sortent et boivent de l’alcool, par exemple». Les curieux qui se hasardaient dans la rue se demandaient, eux, comment on en était arrivé là : 41 victimes, dont 13 kamikazes et 6 étrangers, 3 Français, 2 Espagnols et 1 Italien. Au lendemain des attentats, les autorités marocaines faisaient état de rapides progrès dans l’enquête, des perquisitions effectuées au domicile d’un kamikaze blessé ayant permis de découvrir du matériel nécessaire à la fabrication de bombes artisanales. Plusieurs arrestations et d’autres perquisitions ont été menées par la police. Une trentaine de suspects étaient arrêtés dimanche matin, selon les autorités.

La partie s’annonce donc délicate pour le Maroc. Depuis son accession au trône à la mort de son père, en juillet 1999, Mohammed VI s’est toujours publiquement engagé à conduire son pays sur la voie de la modernité et de la démocratisation. Les divers groupes islamistes, sur lesquels Hassan II s’est appuyé dès les années 70 pour contrer une gauche radicale qui menaçait son pouvoir autoritaire, sont devenus une donne incontournable du paysage socio-politique marocain. La frontière entre les «modérés», entrés en force au parlement à l’automne dernier, et les fondamentalistes, qui prônent un islam pur et dur, n’est pas toujours très nette, en raison de l’existence de multiples associations regroupant les uns et les autres. Le pouvoir est donc confronté à un choix difficile.

En poursuivant le processus démocratique comme il a affirmé qu’il le ferait au lendemain des attentats de Casablanca, Mohammed VI ouvre la voie à la contestation de ceux qui rejettent les bonnes relations du Maroc avec les Etats Unis, par exemple, en muselant les islamistes, il engagerait le pays vers une radicalisation, néfaste, au premier plan pour les relations économiques du royaume avec ses partenaires internationaux. Ces contradictions sont perceptibles à la lumière des crispations enregistrées depuis cinq ou six mois. Début 2003, la presse américaine révélait que le Maroc collaborait activement avec la CIA pour l’après 11 septembre, tandis que le gouvernement marocain réagissait très modérément aux prises de positions radicales du PJD contre les écoles ou les centres culturels étrangers, par exemple. Les attentats de Casablanca, condamnés par le monde entier, y compris le voisin algérien, fragilisent donc considérablement le royaume chérifien qui doit faire preuve de fermeté, tout en évitant une spirale répressive, qui crisperait davantage encore les rapports de force en place.



par Isabelle  Broz

Article publié le 18/05/2003