Maroc
Un terreau favorable à l’extrémisme
Les autorités marocaines se refusent pour l’instant à ouvertement mettre en cause al-Qaïda, l’organisation terroriste d’Oussama Ben Laden, dans les attentats qui ont ensanglanté vendredi soir la capitale économique du royaume, Casablanca. Elles soutiennent en revanche que les kamikazes à l’origine de ce drame faisaient tous partie d’un groupe qui avait des liens «directs» avec un réseau international. Certains des terroristes seraient même «récemment venus d’un Etat étranger». Mais même si cette dernière information devait se confirmer, il n’en demeure pas moins que les kamikazes qui ont choisi de frapper le cœur économique du royaume sont tous des Marocains. Des jeunes de la rue, issus d’un des nombreux quartiers populaires de Casablanca, à qui l’on aura sans doute promis de mourir en martyre et d’échapper ainsi à une vie de misère. Car l’immense attente, l'immense espoir qui a suivi l'arrivée au pouvoir du roi Mohammed VI, alors qualifié par la rue de «roi des pauvres», a peu à peu disparu au cours des mois créant un climat favorable à tous les désespoirs.
Le mode opératoire ainsi que la date choisie –quatre jours après l’attentat de Ryad– invitent à penser que le drame de Casablanca ne peut être qu’une initiative d’al-Qaïda, le réseau terroriste d’Oussama Ben Laden. Le milliardaire saoudien n’avait-il pas en effet appelé il y a quelques mois «les musulmans à se mobiliser pour se libérer des régimes apostats, asservis aux Etats-Unis» ? Dans un enregistrement qui lui était attribué en février, il citait la Jordanie, le Nigeria, le Pakistan, l’Arabie saoudite, le Yémen mais également le Maroc. Le choix des cibles, des lieux supposés fréquentés par des étrangers, pourraient également confirmer cette thèse avancée par les autorités marocaines qui préfèrent voir la main de l’étranger dans cet acte qui a surpris par sa violence et son organisation. L’alignement du royaume à la politique américaine de lutte contre le terrorisme et sa coopération active avec Washington pouvaient en outre représenter une raison suffisante aux yeux de la nébuleuse islamiste.
Mais toutes ces apparences n’expliquent pas pourquoi de jeunes Marocains, âgés de 20 à 24 ans ont choisi de mourir dans ces conditions, embarquant avec eux dans la mort des dizaines d’innocents. L'absence des réformes promises et la grave crise sociale que traverse le pays, combinée à la situation dans les territoires palestiniens qui engendre au Maroc plus qu'ailleurs la frustration et la colère de la rue, y sont sans doute pour quelque chose. Ce sont ces trois éléments, en tout cas, qui expliquent manifestement l'évidente montée d'un certain islamisme au Maroc et la prolifération de femmes vêtues de foulards, dans les classes populaires, certes, mais aussi dans la petite bourgeoisie naguère nettement tournée vers l'Occident. La montée en puissance des islamistes lors des dernières législatives a d’ailleurs montré à quel point la population ne croyait plus aux promesses des partis politiques traditionnels. Et de nombreux Marocains ont choisi de voter pour le Parti de la justice et du développement (PJD), seul mouvement islamiste candidat aux élections puisque l'association de cheikh Abdessalam Yassine, Al Adl Wal Ihssane -toujours interdite par le pouvoir-, avait refusé de présenter des candidats. A leurs yeux, ce parti qui ne s’était pas encore trop compromis avec les autorités, était le seul capable de redresser la situation.
Mais ce retour vers un islam plus traditionaliste n’explique par pour autant le recours à des attaques suicide. Les mouvements islamistes marocains ont en effet toujours dénoncé la violence et ils ont d’ailleurs été parmi les premiers à condamner les attentats de Casablanca. Mais tous pointent les espoirs déçus et les promesses de l’avènement d’un Etat de droit, respectueux des libertés publiques, non tenues. Nadia Yassine, la porte-parole de l’association Al Adl Wal Ihssane (Justice et Spiritualité, toujours interdite), se plait d’ailleurs à rappeler que tous les jours des dizaines de jeunes Marocains «se suicident» en se jetant dans les courants du détroit de Gibraltar pour tenter de gagner l’eldorado européen.
Désaveu pour les services de renseignement
Si les attentats de Casablanca ont surpris par leur violence, ils ont surtout étonné par leur organisation. Treize kamikazes déclenchant quasi-simultanément leur charge à cinq endroits différents de la capitale économique témoignent d’une préparation minutieuse. Dans ce contexte, ce drame représente surtout un désaveu cinglant pour les services de renseignements marocains qui n’ont pas su prévenir un tel événement. Les autorités s’étaient pourtant, sous couvert de lutte contre le terrorisme, entourées de tout un arsenal juridique autorisant arrestations et mises au secret des suspects. Elles avaient annoncé l’année dernière le démantèlement d’une cellule d’al-Qaïda composée de Saoudiens et de Marocains qui s’apprêtaient à commettre un attentat contre les navires de l’Otan croisant dans le détroit de Gibraltar. Un procès s’en était suivi sans qu’aucune preuve n’ait été réellement faite de la présence sur le territoire marocain de fidèles d’Oussama Ben Laden. Le royaume, et surtout les services de renseignement, en étaient ressortis renforcés.
Mais réelle ou non, cette affaire, qui aurait dû théoriquement mettre la police marocaine sur les dents, n’a pas empêché les attentats de Casablanca. L’étau s’est plus resserré ces derniers mois sur la presse indépendante que sur les groupuscules islamistes. Et quoiqu’en disent les autorités, l’ennemi était inconnu car il venait de l’intérieur. Selon les derniers éléments de l’enquête, les kamikazes étaient en effet tous des jeunes issus d’un même quartier populaire de la capitale économique. Ils ne faisaient donc pas parti de ces Marocains surnommés «les Afghans», qui étaient partis faire le jihad en Afghanistan, en Tchétchénie ou en Bosnie. Ces derniers, dont le nombre selon les estimations varie de 250 à 400, sont connus des services de police et sont à ce titre étroitement surveillés.
Ecouter Egalement : Nadia Yassine, Porte parole du Mouvement associatif marocain Al Adl wal Ihsane, Justice et spiritualité. Elle répond aux questions de Pierre Ganz.
Mais toutes ces apparences n’expliquent pas pourquoi de jeunes Marocains, âgés de 20 à 24 ans ont choisi de mourir dans ces conditions, embarquant avec eux dans la mort des dizaines d’innocents. L'absence des réformes promises et la grave crise sociale que traverse le pays, combinée à la situation dans les territoires palestiniens qui engendre au Maroc plus qu'ailleurs la frustration et la colère de la rue, y sont sans doute pour quelque chose. Ce sont ces trois éléments, en tout cas, qui expliquent manifestement l'évidente montée d'un certain islamisme au Maroc et la prolifération de femmes vêtues de foulards, dans les classes populaires, certes, mais aussi dans la petite bourgeoisie naguère nettement tournée vers l'Occident. La montée en puissance des islamistes lors des dernières législatives a d’ailleurs montré à quel point la population ne croyait plus aux promesses des partis politiques traditionnels. Et de nombreux Marocains ont choisi de voter pour le Parti de la justice et du développement (PJD), seul mouvement islamiste candidat aux élections puisque l'association de cheikh Abdessalam Yassine, Al Adl Wal Ihssane -toujours interdite par le pouvoir-, avait refusé de présenter des candidats. A leurs yeux, ce parti qui ne s’était pas encore trop compromis avec les autorités, était le seul capable de redresser la situation.
Mais ce retour vers un islam plus traditionaliste n’explique par pour autant le recours à des attaques suicide. Les mouvements islamistes marocains ont en effet toujours dénoncé la violence et ils ont d’ailleurs été parmi les premiers à condamner les attentats de Casablanca. Mais tous pointent les espoirs déçus et les promesses de l’avènement d’un Etat de droit, respectueux des libertés publiques, non tenues. Nadia Yassine, la porte-parole de l’association Al Adl Wal Ihssane (Justice et Spiritualité, toujours interdite), se plait d’ailleurs à rappeler que tous les jours des dizaines de jeunes Marocains «se suicident» en se jetant dans les courants du détroit de Gibraltar pour tenter de gagner l’eldorado européen.
Désaveu pour les services de renseignement
Si les attentats de Casablanca ont surpris par leur violence, ils ont surtout étonné par leur organisation. Treize kamikazes déclenchant quasi-simultanément leur charge à cinq endroits différents de la capitale économique témoignent d’une préparation minutieuse. Dans ce contexte, ce drame représente surtout un désaveu cinglant pour les services de renseignements marocains qui n’ont pas su prévenir un tel événement. Les autorités s’étaient pourtant, sous couvert de lutte contre le terrorisme, entourées de tout un arsenal juridique autorisant arrestations et mises au secret des suspects. Elles avaient annoncé l’année dernière le démantèlement d’une cellule d’al-Qaïda composée de Saoudiens et de Marocains qui s’apprêtaient à commettre un attentat contre les navires de l’Otan croisant dans le détroit de Gibraltar. Un procès s’en était suivi sans qu’aucune preuve n’ait été réellement faite de la présence sur le territoire marocain de fidèles d’Oussama Ben Laden. Le royaume, et surtout les services de renseignement, en étaient ressortis renforcés.
Mais réelle ou non, cette affaire, qui aurait dû théoriquement mettre la police marocaine sur les dents, n’a pas empêché les attentats de Casablanca. L’étau s’est plus resserré ces derniers mois sur la presse indépendante que sur les groupuscules islamistes. Et quoiqu’en disent les autorités, l’ennemi était inconnu car il venait de l’intérieur. Selon les derniers éléments de l’enquête, les kamikazes étaient en effet tous des jeunes issus d’un même quartier populaire de la capitale économique. Ils ne faisaient donc pas parti de ces Marocains surnommés «les Afghans», qui étaient partis faire le jihad en Afghanistan, en Tchétchénie ou en Bosnie. Ces derniers, dont le nombre selon les estimations varie de 250 à 400, sont connus des services de police et sont à ce titre étroitement surveillés.
Ecouter Egalement : Nadia Yassine, Porte parole du Mouvement associatif marocain Al Adl wal Ihsane, Justice et spiritualité. Elle répond aux questions de Pierre Ganz.
par Mounia Daoudi
Article publié le 19/05/2003