Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Social

Les enseignants sont en colère

Luc Ferry, le ministre de l’Education nationale, doit rencontrer mardi et mercredi les représentants des organisations syndicales pour essayer de débloquer une situation très tendue. La grogne des enseignants a, en effet, pris ces dernières semaines des airs de révolte. De grèves en manifestations, les professeurs ont décidé, alors que l’on arrive bientôt à la période des examens, d’accentuer la pression sur le ministre pour obtenir qu’il abandonne son projet de réforme.
Non à la réforme des retraites, non à la décentralisation, non aux restrictions budgétaires, les enseignants ne veulent pas entendre parler des ces questions et le font clairement savoir. Le 13 mai dernier, lors de la grève nationale contre le projet de réforme des retraites, ils formaient l’un des plus gros bataillons de manifestants dans les cortèges qui ont défilé dans les grandes villes françaises. Et ils ont décidé de ne pas s’en tenir là car leurs revendications dépassent le cadre du seul projet défendu par le ministre des Affaires sociales François Fillon.

Les enseignants refusent avant toute chose la réforme que leur propose leur propre ministre Luc Ferry. Le principal point d’achoppement concerne la décentralisation qui devrait mener au transfert de la gestion des personnels non enseignants (assistantes sociales, surveillants, éducateurs…) de l’Education nationale aux collectivités locales, dans le cadre d’une nouvelle politique budgétaire. Dans un contexte où les enseignants se plaignent depuis des années du manque d’effectifs, des suppressions de postes, de l’insuffisance de moyens débloqués pour eux, de conditions de travail insupportables, les propositions de Luc Ferry ont provoqué un véritable tollé.

Les enseignants dénoncent une réforme qui selon eux va aboutir à remettre en cause le statut d’un certain nombre de personnels et à créer un système scolaire à deux vitesses avec toutes les injustices qui en découlent. «Les écarts de financement selon les communes sont vraiment flagrants, d’un quotient de 1 à 11 par tête d’enfants. A Villepinte, où on scolarisait dès 2 ans dans les quartiers difficiles, on ne peut même plus accueillir les 3 ans», explique Claire Jadaud, une élue du SNUIpp (syndicat d’instituteurs).

Des grèves à répétition

L’année scolaire 2002/2003 a donc battu un certain nombre de records en matière de mouvement social. Depuis septembre, les enseignants ont fait la grève quatre fois tout seuls et trois fois avec leurs collègues de la fonction publique. Sans compter les établissements situés dans des zones sensibles qui ont engagé des mouvements spécifiques et dans lesquels les professeurs ont parfois arrêté de faire cours. Et ce n’est pas fini. Après le mouvement du 19 mai, un nouvel appel à cesser le travail a été lancé pour le 22, en attendant les manifestations contre les retraites prévues pour le 25 mai.

Dans ce contexte, Luc Ferry et son ministre délégué Xavier Darcos doivent recevoir les représentants des fédérations de l’Education nationale mardi et mercredi pour essayer de désamorcer la crise et de reprendre les négociations. Ce ne sera pas chose facile. Jusqu’à présent, Luc Ferry n’a pas su trouver les mots pour parler aux enseignants. Sa «Lettre à tous ceux qui aiment l’école», réforme-programme éditée sous forme d’ouvrage et envoyée d’office à tous les enseignants, ne les a pas convaincus du tout. Lors des dernières manifestations, le livre est sorti des rayons des bibliothèques où il aurait dû trouver sa place et a remplacé les briques pour ériger des barricades symboliques contre une réforme rejetée.

S’il a affirmé qu’il n’entendait pas renoncer à réformer le système «pour acheter la paix sociale», Luc Ferry a quand même laissé la porte ouverte à la négociation en estimant qu’il pouvait y avoir des «aménagements possibles» et que si les syndicats avaient «de bonnes idées» il était prêt à les examiner avec eux. Il a fait part de sa compréhension face «au malaise des enseignants» et de son désir de renouer le dialogue. Mais il a aussi mis en garde : «Ce qui serait désastreux, c’est que nous donnions à nouveau le sentiment que le système est bloqué et qu’on ne peut rien réformer, alors qu’il y a des réformes à faire, sur la décentralisation, sur les retraites». D’autres ministres se sont, en effet, avant lui heurtés à la résistance du corps enseignant et s’y sont cassés les dents. Son prédécesseur socialiste Claude Allègre, devenu célèbre pour avoir voulu «dégraisser le mammouth», par exemple.

Le ministre de l’Education nationale est donc dans une position bien inconfortable, obligé d’expliquer, de communiquer pour convaincre, tout en restant ferme pour ne pas renier ses convictions et renoncer à sa réforme sous la pression des enseignants. Il a ainsi annoncé la mise en place d’un comité interministériel chargé d’engager une réflexion sur le métier d’enseignant et donc d’ouvrir le grand débat sur l’éducation tant réclamé par les professeurs. Mais il a aussi prévenu ces derniers qu’ils ne devaient pas aller trop loin et perturber le passage des examens, comme certains l’ont fait ces derniers jours pour des épreuves de BTS, en brandissant la menace des réquisitions et des sanctions.



par Valérie  Gas

Article publié le 20/05/2003