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Iran

Tension extrême entre réformateurs et conservateurs

La tension s’est fortement aggravée entre réformateurs et conservateurs ces iraniens ces dernières semaines. Dernière en date le président réformateur iranien Mohammad Khatami a dénoncé catégoriquement la décision du Conseil des gardiens de la constitution, qui a rejeté deux projets de loi présentés par le président et qui visaient à limiter la domination des conservateurs dans les instances du pouvoir.
De notre correspondant à Téhéran

Sortant de son silence, le président Khatami a affirmé que la décision du Conseil des gardiens de la Constitution, instance contrôlée par les conservateurs, de rejeter ses deux projets de lois était «inacceptable». Selon le président, les modifications prônées par le Conseil des gardiens au projet de loi définissant les prérogatives présidentielles, «limitent tellement [son] autorité qu'à certains égards celle-ci devient moindre que celle d'un simple citoyen, et cela est dans tous les cas inacceptable».

Le président régissait à la décision du Conseil des gardiens de la constitution qui a rejeté les deux projets de lois présentés en septembre 2002 par le président Khatami et défini par les réformateurs comme primordiaux pour la poursuite des réformes. Le premier projet de loi vise à empêcher le conseil de surveillance de rejeter massivement et arbitrairement les candidats réformateurs aux prochaines législatives de 2004 et présidentielles de 2005. Le second projet vise à permettre au président iranien de suspendre une décision de la justice jugée contraire à la constitution. Le président veut empêcher la justice de fermer les journaux réformateurs et de mener des procès politiques contre ses amis et les membres de l’opposition libérale. Ces trois dernières années, la justice, contrôlée par les conservateurs, a fermé plus de 90 journaux réformateurs et emprisonnées des dizaines de responsables réformateurs ou encore de l’opposition libérale.

«Je respecte le travail de supervision du Conseil, j'ai confiance en lui, mais je ne crois pas que supervision signifie gardiennage», a lâché le président, dont le camp dénonce une obstruction croissante des conservateurs à la libéralisation depuis sa première élection triomphale en 1997. Le président Khatami est allé même plus loin puisqu’il a affirmé que si ces deux projets étaient «contraires à la constitution, alors nous devons modifier la constitution».

Ces dernières semaines, les conservateurs ont en effet accentué la pression. Quinze dirigeants de l’opposition libérale ont en effet été condamnés à de lourdes peines de prison. D’autres signes inquiétants sont également visibles. Ainsi, le pouvoir a décidé de limiter l’accès à internet. Outre les sites pornographiques, plusieurs dizaines de sites politiques ont été interdit d’accès par un système de «filtrage». De même, les contrôles policiers se sont multipliés ces dernières semaines dans les rues de la capitale, visant essentiellement les jeunes circulant en voiture ou en moto.

Une interprétation rétrograde de l’islam

Dans cette situation tendue, la lettre ouverte de 116 personnalités du camp réformateur et de l’opposition libérale, demandant des réformes profondes et mettant les dirigeants iraniens en garde contre un sort identique à celui de Saddam Hussein ou des Talibans n’a fait qu’accroître la tension.

Les signataires de cette lettre, parmi lesquels il y a des députés, des journalistes, des intellectuels, des leaders étudiants ou encore des religieux réformateurs, invoquent le spectre d'une «dictature religieuse». «Nous voulons un Iran libre et indépendant. Autant nous craignons le retour de la domination étrangère ou une attaque étrangère, autant nous détestons la dictature religieuse et la suppression des libertés du peuple», dit la lettre faisant directement allusion aux pressions américaines accrues sur l'Iran depuis la guerre en Irak.

Les 116 personnalités dénoncent une «interprétation rétrograde de l'islam» par les conservateurs et affirment que «l'instrumentalisation de principes sacrés religieux pour conserver le pouvoir a porté un dur coup à la confiance du peuple». «Nous devons tirer les leçons de ce qui est arrivé aux talibans et à Saddam Hussein et nous pouvons être sûrs que la dictature, quelle qu'en soit la forme, n'a pas d'autre vocation que d'être renversée», ajoutent les signataires.

Ces derniers demandent que soit mis un terme aux «arrestations et les convocations illégales (…), la libération des militants et des journalistes emprisonnés ainsi que la reparution des journaux interdits». Ils demandent aussi l'indépendance de la justice, la suppression de la torture, la présence de jurys dans les tribunaux et une réforme du droit de la presse.

Appuyant les deux projets de loi du président Khatami, ils demandent que «le Conseil des gardiens de la Constitution soit démis de son pouvoir de censure sur les candidats aux élections» ainsi que la suppression des «obstacles» au travail du Parlement, dominé par les réformateurs et empêché depuis trois ans de voter les lois promises aux électeurs.

La lettre a été paraphée par de hauts dirigeants du Front de la participation, principal parti réformateur, dirigé par le frère du président iranien, le chef du Mouvement de libération de l'Iran (MLI, interdit) Ibrahim Yazdi et plusieurs autres membres de cette organisation libérale, nationaliste et islamique, l'intellectuel Hachem Aghajari, condamné à mort pour blasphème, des religieux réformateurs comme Hassan Youssefi Echkevari, qui avait également été condamné à mort pour blasphème avant que la peine soit transformée en peine de prison.

Indéniablement, l’Iran est entré dans une phase de très fortes tensions, alimentées par les pressions américaines qui accusent avec de plus en plus d’insistance Téhéran de soutenir le terrorisme international et surtout de chercher à se doter de l’arme atomique. En affirmant que le rejet de ses deux projets de lois était «inacceptable», le président Khatami a une nouvellement fois agité la menace d’une démission sans toutefois l’évoquer ouvertement. Mais déjà sont nombreux les réformateurs qui sont arrivés à cette conclusion qu’ils n’auront pas vraiment le choix et seront contraints de quitter le pouvoir.



par Siavosh  Ghazi

Article publié le 21/05/2003