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Maroc

Un journaliste condamné à quatre ans de prison

La justice marocaine, parfois décriée pour ses lenteurs, a fait preuve de diligence le 21 mai en condamnant le journaliste Ali Lmrabet à quatre ans de prison fermes et en procédant à son arrestation au cours de l’audience. Accusé, entres autres, d’«outrage à la personne du roi», le journaliste a été aussitôt conduit, à la prison de Salé, la ville jumelle de Rabat, alors qu’il en était à son seizième jour de grève de la faim. Une procédure dénoncée par les associations des droits humains, indignées par ce tour de vis sécuritaire.
De notre correspondante à Casablanca

Livide, mais ferme le journaliste déclarait, au terme de l’audience éclair lui signifiant le verdict : «Ils veulent terroriser la presse indépendante, mais, même en prison j’irai jusqu’au bout de ma grève de la faim, pour que soit révisé ce procès inique, pour que mon imprimeur reprenne mes publications et pour obtenir le droit de sortir librement de mon pays et d’y revenir». Lors de l’audience du 13 mai, au tribunal de 1ère instance de Rabat, le procureur du roi avait requis contre le journaliste incriminé la peine maximale en vigueur pour les faits qui lui sont reprochés : cinq ans de prison et 100 000 dirhams d’amende (10 000 euros).

La Cour s’est donc montrée sévère, ainsi que le procureur le lui avait demandé : quatre ans de prison ferme, interdiction définitive de ses deux publications hebdomadaires et 20 000 Dh (2 000 euros) d’amende. Ali Lmrabet, le journaliste «poil à gratter du pouvoir» devait répondre de trois chefs d’inculpation : outrage au roi, atteinte aux institutions sacrées du pays et à l’intégrité territoriale. Ces accusations, les plus graves qui puissent être retenues à l’encontre d’un journaliste au Maroc, ont été, par ailleurs, précédées d’autres tentatives de procès et d’intimidations sur son imprimeur, qui avait fini par lâcher son client au début du mois.

Ali Lmrabet est certes un journaliste «impertinent», puisqu’il publiait deux hebdomadaires satiriques, Demain magazine et Doumane, très prisés des lecteurs, mais pas du pouvoir. Deux publications qui tranchaient dans le paysage de la presse marocaine, peu encline à la critique, d’une façon générale. Pour envoyer Ali Lmrabet en prison, le procureur du roi a s’est appuyé sur un photomontage, sur lequel figure la amariâ –une sorte de palanquin– royale, une bande dessinée consacrée à l’histoire de l’esclavage mettant en scène baises-main et prosternations, ainsi que sur la publication, dans Doumane de la liste civile, autrement dit le budget du Palais Royal, pourtant publié au Journal Officiel et sur la reprise –auto censurée– de l’interview d’un républicain marocain notoire, Abdallah Zaâzaâ, partisan de la laïcité et de l’autodétermination des Sahraouis. Anodins sous d’autres cieux, ces articles et dessins viennent donc de conduire le directeur de publication en prison, après plus de deux semaines de grève de la faim.

La démocratisation semble marquer le pas

Une peine que le pouvoir veut probablement exemplaire, mais qui risque bien de ternir définitivement l’image d’un Maroc qui se dit volontiers démocratique sur la scène internationale, mais avoue ainsi sa méfiance vis-à-vis de ceux qui s’écartent du discours officiel. Outre le «harcèlement» dénoncé par Ali Lmrabet, d’autres publications indépendantes ont été récemment mises sur la sellette, alors que les associations des droits humains dénonçaient diverses exactions. Parmi les plus récentes, la presse indépendante a dénoncé le viol d’un militant de des droits de l’homme, interrogé par la police, ou encore la condamnation à cinq ans de prison ferme pour un vendeur ambulant de journaux, accusé d’avoir déchiré «un journal avec le roi à la Une».

Au lendemain des attentats qui ont frappé Casablanca, c’est cette presse indépendante qui est montrée du doigt, tant par le gouvernement Jettou, que par la partie de la presse nationale qui fonctionne comme une chambre d’enregistrement du ministère de l’Intérieur. Accusée d’être un danger pour «le processus de démocratisation» marocain, parce qu’elle a relaté les conditions dans lesquelles ont pu être opérées les arrestations et séquestrations de militants islamistes, ces derniers mois, on a aussitôt présenté la presse indépendante, pourtant variée, comme la tribune de ces «totalitaristes».»

Paradoxalement, c’est cette même presse qui tirait la sonnette d’alarme à propos de la misère des exclus et du désespoir d’une jeunesse où l’on découvre brutalement aujourd’hui qu’ont été recrutés les kamikazes de Casablanca. La démocratisation amorcée par Hassan II lui-même dans les dernières années de son règne semble donc marquer le pas, à la lumière de ces événements. C’est pourquoi Amnesty International a adopté, le 21 mai, Ali Lmrabet comme «prisonnier de conscience», tandis que l’association Reporters Sans Frontières s’est déclarée «horrifiée et consternée» et a tenu à «dénoncer un procès politique qui témoigne du manque d’indépendance de la justice marocaine», appelant à la révision du procès.

Une partie de la presse, y compris son syndicat national, et plusieurs associations des droits humains se mobilisaient aussitôt, via Internet, en particulier, pour organiser la protestation. Au soir du verdict, plusieurs organisations dont l’Association des Jeunes Démocrates Marocains, manifestaient à Paris contre ce retour aux «pratiques des années de plomb», tandis qu’au Maroc on préparait un rassemblement pour le 22 mai, à Rabat. Les deux avocats d’Ali Lmrabet ont décidé de faire appel, mais ce dernier ne peut être suspensif et demandera du temps, alors que le journaliste en est déjà à plus de deux semaines de grève de la faim et qu’il a déclaré à plusieurs reprises être «prêt à mourir pour la liberté d’expression au Maroc».



par Isabelle  Broz

Article publié le 22/05/2003