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Maroc

Inquiétudes dans la communauté juive

Une semaine après les attentats qui ont fait 42 morts et une centaine de blessés à Casablanca, la communauté juive du Maroc, touchée symboliquement, est encore en état de choc. L’heure est à la solidarité et à la dénonciation de la barbarie, les juifs d’ici sont avant tout Marocains, mais l’inquiétude est réelle dans la communauté.
De notre correspondante à Casablanca

«Tous les chrétiens, juifs et adeptes des autres croyances qui vivent dans notre pays, terre de guerre, ne bénéficient d’aucun pacte, ni protection, car ils combattent les musulmans.» Ce paragraphe, extrait d’un tract intégriste distribué récemment à la sortie des mosquées, est explicite: le jihad contre les infidèles, à mener armes à la main, car «nul moyen pacifique ne saurait s’avérer efficace», se doit d’exterminer les non-musulmans, mais aussi les «mécréants» musulmans.
Un discours qui semble avoir été mis en application à Casablanca, il y a une semaine. Cinq cibles clairement religieuses ont été ainsi touchées: le Cercle de l’alliance israélite, un ancien cimetière juif, un restaurant italien dont le propriétaire est de confession juive, un club où l’on peut boire de l’alcool et jouer au bingo le vendredi soir, et un hôtel où se concentrent plus ou moins tous ces «fléaux». Les attentats qui n’ont fait aucune victime juive n’ont pas été revendiqués, mais la traque se poursuit dans les milieux intégristes, tandis que la communauté juive s’interroge sur ces «horribles attentats qui ont frappé des lieux chers à [sa] communauté et ôté la vie à de nombreux frères musulmans».

«Pour l’instant, il est trop tôt pour mesurer l’impact de ces attentats pour nous. Mais une chose est sûre, si cela devait se reproduire, les réactions seraient totalement différentes.» Danièle explique ainsi les sentiments ambigus qui la traversent. Marocaine depuis plusieurs générations, avant d’être juive, elle est chez elle au Maroc et se dit juste un peu «déçue» que de tels actes, «auxquels toute la communauté est sensibilisée, au regard de ce qui se passe en Israël, aient été possibles au Maroc».

«Nous refusons de céder à la panique»

En fait, si tous s’accordent aujourd’hui à avouer, du bout des lèvres, que ce type de terreur ils l’ont vue monter, ils reconnaissent plus ou moins qu’ils ne voulaient pas y croire, tant il leur semblait que le Maroc avait une histoire exceptionnelle en matière de tolérance religieuse. Ce que Simon Levy, qui a fondé en 1997 le musée juif de Casablanca, une exception dans le monde arabe, appelle, en traduisant un proverbe local, «voir avec des yeux de mica», se voiler la face en d’autres termes. «J’étais un pessimiste militant, jusqu’alors. Après les législatives du 27 septembre, les gens n’ont pas réalisé que ces islamistes que l’on disait «modérés» allaient diriger nos villes. Aujourd’hui, je suis moins pessimiste, le peuple entier a compris le double langage des islamistes qui sont entrés au Parlement. Ils se révèlent pour ce qu’ils sont, j’espère que les Marocains, qui sont un peuple tolérant sauront leur dire non

Un sentiment qui domine dans les quartiers «juifs» de Casablanca. Ici, des gens modestes, qui ont toujours vécu en bonne entente, ne peuvent imaginer que l’on cherche à séparer ainsi des communautés ayant une histoire commune. Un sentiment probablement renforcé du fait que, si les cibles étaient pour la plupart «juives», les victimes sont, en très grande majorité, marocaines. Monsieur Kadosh, le propriétaire du restaurant italien, fait, lui, la distinction entre des cibles comme l’Alliance israélite et son restaurant, fréquenté essentiellement par des Marocains. «En fait, je réagis d’abord comme citoyen, juif, certes, mais enraciné dans ce pays depuis 2000 ans. Nous refusons de céder à la panique, si l’objectif était de mettre tous les juifs dans l’avion pour qu’ils quittent ce pays – vers quelle destination ?- c’est, pour l’instant raté.» Paradoxalement, il ajoute: «pour une fois, nous nous sommes sentis concernés, comme tout le monde au Maroc.» Un sursaut, un réveil, que tous souhaitent voir se concrétiser de façon éclatante lors de la manifestation prévue à Casablanca dimanche 25 mai, pour dire non au terrorisme et à la haine.

Le malaise est pourtant perceptible, en dépit de ceux qui parlent ainsi. Dans ces quartiers touchés la semaine dernière, beaucoup se taisent. Ceux qui se laissent aller à la confidence s’interrogent, même si, pour eux, le terrorisme est avant tout mondial. Ils racontent un quotidien difficile, des affaires qui, «depuis deux ou trois ans» vont mal. Tous sont conscients de la montée de discours haineux contre lesquels rien n’a été fait. Des réactions hostiles aux juifs après la seconde Intifada d’octobre 2000, à «l’affaire» Laurent Gerra en janvier 2003, qui s’est produit à Casablanca dans un quartier bouclé par la police après que des activistes islamistes aient manifesté contre la présence d’un «sioniste» au Maroc, en passant par les manifestations pro-palestiniennes appelant «l’armée de Mahomet à écraser les Juifs» ou encore par les fatwas lancées par des imams fanatiques dénonçant la cérémonie oecuménique de la cathédrale de Rabat, après le 11 septembre.

«Vigilante», la communauté juive, aujourd’hui restreinte à quelque 5000 personnes au Maroc, a renforcé elle-même les mesures de sécurité devant ses écoles et synagogues. Personne ne cède à la panique, mais beaucoup avouent «qu’il est trop tôt pour réaliser», que la situation est préoccupante, d’autant plus qu’un instituteur figure parmi les kamikazes du 16 mai, et, qu’à l’heure actuelle on espère que ces attentats n’en appelleront pas d’autres. Au lycée Maïmonide on se fait discret, l’angoisse n’est pas de mise, mais l’inquiétude est réelle. Si l’on a évité le traumatisme parce qu’aucun juif ne figure parmi les victimes, on est touché au même titre que tous ceux qui vivent au Maroc, tout en s’interrogeant sur les rumeurs qui font état de lettres de menaces que recevraient actuellement les commissaires des quartiers défavorisés où vivaient les kamikazes, qui viennent de mettre les pieds «à la ville» pour s’y faire exploser.



par Isabelle  Broz

Article publié le 24/05/2003