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Grande-Bretagne

Blair perd sa caution de gauche

Deux mois après la démission retentissante de l’ancien ministre des Relations avec le parlement, Robin Cook, c’est au tour de la très médiatique Clare Short, ministre du Développement international, connue pour son franc-parler, de jeter l’éponge. Elle accuse Tony Blair de ne pas avoir respecté les promesses qu’il lui avait faite concernant un mandat des Nations unies dans la reconstruction de l’Irak. Clare Short avait déjà menacé de démissionner avant le déclenchement de l’intervention américano-britannique contre le régime de Saddam Hussein. Elle n’avait pas mis sa menace à exécution, ayant selon elle reçu des assurances du gouvernement sur le rôle central de l’ONU dans l’après-guerre. Cette démission, qui prive Tony Blair d’une des dernières figures de gauche de son cabinet, le coupe un peu plus de ses racines travaillistes.
Plus d’un mois après la chute du régime de Saddam Hussein, la guerre en Irak continue à faire des remous dans le gouvernement travailliste de Tony Blair. Si un ministre –Robin Cook– et deux secrétaires d’Etat avaient déjà démissionné pour protester contre une intervention militaire décidée sans l’aval des Nations unies, Clare Short a elle claqué la porte pour dénoncer la gestion de l’après-guerre au moment où les discussions autour de la résolution américaine, soutenue par Londres, concernant une levée des sanctions contre l’Irak piétinent au Conseil de sécurité. L’ancienne ministre du Développement international, qui expliquait devant la Chambre des communes les raisons de sa démission, a ni plus ni moins accusé Tony Blair d’aider Washington à «tyranniser» l’organisation internationale au sujet de l’Irak. Selon elle, la politique du gouvernement britannique «appuie les Etats-Unis en tentant de tyranniser le Conseil de sécurité pour qu’il adopte une résolution offrant à la coalition le pouvoir d’établir un gouvernement irakien et de contrôler l’utilisation du pétrole pour la reconstruction, avec seulement un rôle mineur pour l’ONU».

Clare Short a en outre affirmé avoir «honte» de voir le gouvernement britannique soutenir une résolution qui «perpétuera les divisions de la communauté internationale». Selon elle, c’est à l’ONU de faire émerger un nouveau gouvernement légitime en Irak. «Cette résolution que nous soutenons à New York trahit cela», a-t-elle expliqué en insistant sur son caractère «illégal». «Je pense, a-t-elle ainsi déclaré, que ce texte est en violation du droit international et qu’il est probable qu’il ne sera pas adopté, ce qui maintiendra la marginalisation des Nations unies». Clare Short avait déjà menacé de démissionner avant le déclenchement de la guerre en Irak. Elle avait à l’époque qualifié Tony Blair d’«irresponsable». Le Premier ministre avait toutefois réussi à la convaincre de revenir sur sa décision, en lui donnant, affirme-t-elle aujourd’hui, des assurances sur le future rôle de l’ONU dans l’après-guerre en Irak. Mais devant l’alignement de Londres sur les positions de Washington sur la reconstruction de l’Irak, Clare Short a choisi de rendre son tablier. «Je suis arrivée au bout de la route, a-t-elle déclaré. J’ai essayé et essayé d’être utile et constructive, mais je ne peux pas défendre cela».

Clare Short dénonce le pouvoir centralisé de Tony Blair

Mais au delà de la crise irakienne, l’ancienne ministre, qui jouissait d’une liberté de parole sans égal au sein du gouvernement, a vivement attaqué le style même de Tony Blair et sa façon de travailler de plus en plus autoritaire, selon elle. Elle s’en est notamment prise au pouvoir «centralisé» qui se retrouve «aux mains du Premier ministre et d’un nombre de plus en plus réduit de conseillers qui prennent les décisions en privé, sans véritable discussion». A l’écouter, lors des réunions du conseil des ministres, «il n’y a plus de collectif, seulement des diktats en faveur d’initiatives politiques de plus en plus bâclées qui viennent d’en haut». Après cette attaque en règle de la politique de Tony Blair, Clare Short a récidivé au lendemain de sa démission en appelant le Premier ministre à quitter son poste. «Je pense, a-t-elle déclaré aux quotidiens Guardian et Financial Times, que Tony Blair a à son actif des réalisations gigantesques et qu’il serait très triste s’il se cramponnait à son poste et gâchait sa réputation».

Cette condamnation sans appel de la politique de Tony Blair devrait avoir un large écho auprès des militants de base du parti travailliste qui entretiennent déjà des rapports tumultueux avec le Premier ministre. Clare Short était en effet devenu la caution de gauche d’un gouvernement de plus en plus marqué au centre. Elle avait certes perdu un peu de sa crédibilité en renonçant à démissionner avant la guerre contre l’Irak. Mais grâce à son franc-parler et son engagement dans la lutte contre la pauvreté, elle avait gardé l’affection des militants et gagné le respect des organisations d’aide humanitaire. Elle avait notamment réussi à obtenir pour son ministère un budget quatre fois supérieur à celui du Foreign Office.

Ses détracteurs affirment que Clare Short est partie pour ne pas être remerciée. Ses jours au gouvernement, soulignent-ils, étaient comptés depuis qu’elle avait qualifié Tony Blair d’«irresponsable». La nomination sans délai à son poste d’une proche du Premier ministre, la baronne Valerie Amos, prouve en tous cas que sa démission n’était pas une surprise.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 13/05/2003