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Afghanistan

La France renvoie des réfugiés vers Kaboul

Une trentaine de réfugiés afghans ont atterri à Kaboul mardi 20 mai en provenance de Londres et de Calais, dans le premier avion «charter» de reconduite aux frontières organisé conjointement par les gouvernements britannique et français. Cette première opération commune d’expulsion, annoncé dès la fin mars par Nicolas Sarkozy, est cependant entachée de suspicions quant au respect des procédures légales.
De notre correspondant à Kaboul

A la demande de Londres et Paris, les autorités afghanes avaient imposé la plus grande discrétion à la première opération commune d’expulsion de réfugiés afghans en direction de Kaboul. Ordre avait été donné d’empêcher les journalistes d’accéder à l’intérieur de l’aéroport de Kaboul et de parler aux réfugiés avant que ceux-ci n’aient été enregistrés par les services de police et accueillis par des représentants de l’Organisation internationale des migrations (OIM). Si, à tous avait été promis une assistance à leur arrivée, ils n’ont eu droit qu’à un transport en bus en direction du centre de la capitale ou vers la ville de Jalalabad, à l’ouest du pays, dont certains sont originaires.

Mais après le départ des bus et des représentants de l’OIM, un jeune homme est resté seul devant l’aéroport ne sachant que faire ici. Trois ans après avoir perdu ses parents dans un bombardement, et deux ans après avoir quitté Kaboul pour Calais avec l’espoir de passer en Angleterre, Ismaël Darwish se retrouve à son point de départ alors qu’il n’a pas encore 18 ans. Arrivé début mai dans le Nord-Pas-de-Calais, il avait rejoint une centaine d’autres réfugiés kurdes et afghans, squatters d’un vieil entrepôt d’une société de reconstruction navale de la périphérie de Calais. Recensé par la Croix-Rouge à son arrivée, Ismaël affirme avoir moins de 18 ans, précision qui le sauvera par deux fois lors de contrôle de police opéré dans l’entrepôt, avant que les agents de la Police de l’air et des frontières (Paf) ne le contrôlent à nouveau le 13 mai.

Tout s’emballe alors. Ils sont une cinquantaine à se rendre à la soupe populaire qui a lieu chaque soir à 18 heures sur les marches de l’église Saint-Pierre-Saint-Paul. Or, les forces de l’ordre bloquent la rue de Hollande. Le groupe se trouve pris entre deux barrages de la Paf qui agit sur ordre du préfet. Ils sont huit afghans et douze kurdes a être retenus. Les autres disposent, eux, d’autorisations temporaires de séjour sur le territoire. Emmenés au Centre Hospitalier de Calais, quatre d’entre eux, dont Ismaël, passent un examen radiologique destiné à déterminer leur âge osseux. Cet examen, qui comporte pourtant une marge d’erreur, certifie que chacun d’entre eux est majeur au regard de la loi française. Et ce sont ces résultats qui précipiteront l’expulsion du jeune homme. «Âgé de moins de 18 ans, Ismaël aurait du bénéficier d’un accueil dans une famille française», explique Jean-Claude Lenoir, membre de C’Sur (comité de soutien d’urgence aux réfugiés) au contact des réfugiés de Calais.

Mal conseillé, volontairement

Plus grave, les cinq expulsés de France accusent les traductrices iraniennes qui représentent pourtant leur dernier recours devant l’administration française de collusion avec les services de police. Ce n’est que dans les bureaux de l’ambassade d’Afghanistan que Ismaël s’en rendra compte: «Elles voulaient nous renvoyer en Afghanistan. L’une nous demandait plus de 700 euros pour obtenir les services d’un avocat et nous a fait signer un document nous certifiant que nous serions libres. Or il s’est avéré que ce document indiquait que nous ne craignions rien à notre retour en Afghanistan et que nous ne demandions pas l’asile. Nous sommes libres, oui, mais dans un pays qui est toujours en guerre». Plus rien ne s’oppose alors à leur expulsion. Pour Jean-Claude Lenoir, les «traductrices, qui travaillent pour la PAF, les ont mal conseillés volontairement» et ce afin de précipiter leur expulsion. «Ni les juges de Boulogne-sur-Mer ni ceux du tribunal administratif de Lille n’ont tenu compte des réclamations des réfugiés» qui demanderont pourtant l’asile ou celles de l’avocat d’Ismaël qui insiste sur son jeune âge. «Il me fallait cinq jours seulement pour faire venir ma carte d’identité du Pakistan afin de prouver mon âge», raconte le jeune homme, «mais le juge n’a rien voulu entendre et m’a rappelé que je devais voyager avec mes papiers d’identités».

Hébergé comme tant d’autre dans le centre de rétention administrative de Coquèle, il tente la veille de son expulsion de se couper les veines avec un couteau en plastique. Les délégués de la Croix-Rouge ne pourront le voir. Le soir même l’administration française affrète un avion de Lesquin pour Londres-Gatwick d’où ils s’envoleront le lendemain matin pour la capitale afghane. Orphelin, de retour à Kaboul, Ismaël est aujourd’hui hébergé chez des amis, toujours avec la volonté bien présente de quitter l’Afghanistan pour l’Europe ou les Etats-Unis.



par Olivier  Puech

Article publié le 23/05/2003