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Argentine

Kirchner, l’ambitieux venu du froid

Peu médiatique mais doté d’une forte personnalité, le nouveau chef d’Etat argentin, jusqu’ici gouverneur d’une lointaine province de Patagonie, se dit prêt à rompre avec un certain passé.
De notre correspondant à Buenos Aires

«Quoi que fasse l’autre candidat, un ancien président constitutionnel qui tire sur les institutions, j’assumerai mes responsabilités. Le 25 mai, les Argentins auront un président élu dans le respect de la Constitution». Cette phrase est sans doute la plus significative du message adressé mercredi par Nestor Kirchner à ses concitoyens, avant que Carlos Menem n’officialise son retrait de la course à la présidence. En une sorte de discours d’investiture avant la lettre, le gouverneur de la province de Santa Cruz faisait aussi savoir qu’il ne serait l’otage de personne: «je ne suis pas arrivé jusqu’ici pour pactiser avec le passé». Il visait évidemment Menem, qui le privait d’un second tour qui en aurait fait le chef de l’Etat le mieux élu de l’histoire de son pays, mais aussi Eduardo Duhalde, président sortant qui lui avait apporté le soutien décisif de l’appareil du parti péroniste au premier. Pour Kirchner, le temps des accords secrets et des parrainages, d’une certaine politique argentine «à l’ancienne» est révolu.

Cet ancien militant de gauche âgé de 53 ans a commencé sa carrière politique aux côtés de son épouse, Cristina Fernandez de Kirchner, lorsqu’ils étaient tous les deux à la faculté de droit. Extrêmement médiatique, elle est devenue l’une des figures marquantes du Sénat. Lui s’est révélé plus tard, se montrant alors sous son véritable jour. C’est un homme décidé et non le personnage falot présenté par certains, notamment ceux qui le connaissaient mal au début de la campagne. Aussi peu charismatique que Menem est flamboyant, «Kirchner», explique Rosendo Fraga, l’un des analystes politiques les plus réputés, «est un grand solitaire, qui ne manque ni de courage ni de constance, et qui rêvait depuis longtemps de devenir président».

Premier président venu du froid, Kirchner est né en Patagonie, dans ce Sud lointain qui a toujours occupé une place marginale dans la vie politique nationale. Santa Cruz, la province dont il est le gouverneur depuis 1991, la plus australe du pays à l’exception de la Terre de Feu, est un territoire vaste comme la moitié de la France, battu par des vents glacés et peuplé d’à peine 250 000 habitants. Une terre de pionniers, comme l’était son arrière-grand-père, arrivé de Suisse alémanique à la fin du XIXe siècle. Son grand-père, premier Kirchner né en Argentine, commerçant et télégraphiste dans la capitale provinciale, Rio Gallegos, épousa une chilienne d’origine croate, Maria Juana Oistoc, née à Punta Arenas, de l’autre côté des Andes.

Un gouverneur au nez creux

Comparée à un «émirat» à cause de ses richesses pétrolières, la province de Santa Cruz a été gérée avec prudence par Kirchner, un gouverneur dont les administrés louent le sens de l’épargne. Contrairement à beaucoup d’autres provinces argentines, très endettées et qui accumulent les déficits, ses comptes sont équilibrés, avec un budget alimenté par les intérêts d’un important placement dans une… banque suisse. En l’occurrence, le gouverneur a eu le nez creux: grâce à ce placement, Santa Cruz échappa au «corralito», un système de restriction bancaire limitant les retraits, alors que San Luis, province également bien gérée par un autre candidat à la présidence, Adolfo Rodriguez Saa, a vu les dépôts en dollars bloqués puis dévalués.

Légitimé par la massive majorité virtuelle qui s’apprêtait à l’élire, Kirchner n’est pas contesté par l’opinion. Mais il sait qu’il devra rechercher des consensus et des alliances, faute de majorité à l’Assemblée. A cet égard, son gouvernement, dont les principaux membres devraient être connus en début de semaine prochaine fait figure de test. Aux côtés de l’actuel ministre de l’Economie Roberto Lavagna, dont on savait déjà qu’il se succèderait à lui-même, et de celui de la Santé, Gines Gonzalez García, la présence de personnalités venues d’autres horizons que le parti péroniste donnera la mesure du changement que le nouveau président entend incarner.



par Jean-Louis  Buchet

Article publié le 16/05/2003