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Liban

Khatami prêche sagesse, ouverture et modération

Conseils de modération au Hezbollah, ouverture envers les chrétiens, conciliation avec les Etats-Unis plutôt que confrontation: le président iranien Mohammed Khatami a choisi Beyrouth pour délivrer une série de messages reflétant l'orientation qu'il entend donner à la politique étrangère de son pays à l'ère du «Moyen-Orient remodelé» que Washington ambitionne de mettre en place.
De notre correspondant à Beyrouth.

A travers le programme de sa visite minutieusement étudié, les discours qu'il a prononcés et les personnalités qu'il a reçues, Mohammed Khatami a voulu adresser, à partir de Beyrouth, un message sans équivoque: l'Iran, ou du moins le courant réformiste qu'il représente, prêche l'apaisement dans un Moyen-Orient en proie à de fortes tensions, et évite les provocations dans une région ou les points chauds se multiplient dangereusement.

En maintenant une visite que les conservateurs jugeaient inopportune en raison des développements militaires et politiques dans la région, et en rejetant l'idée d'un report de six mois proposée par certaines forces politiques iraniennes, Khatami a voulu, avant tout, venir au Liban, un des principaux points de frictions entre Washington et Téhéran, pour y prôner l'ouverture. D'ailleurs, le programme de sa visite reflète parfaitement cette volonté: une rencontre avec le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, mais aussi un entretien avec le chef de l'Eglise maronite, le Patriarche Nasrallah Sfeir; un discours à la cité sportive devant une foule de dizaines de milliers de chiites, mais également une rencontre-débat avec un auditoire de plusieurs centaines d'étudiants à l'université Saint-Joseph, fief politique et rempart intellectuel de l'opposition chrétienne. Le message ne pourrait être plus clair: le Hezbollah n'est plus l'interlocuteur exclusif de l'Iran au Liban, et Téhéran veut développer des relations d'Etat à Etat avec le pays des cèdres.

Le principal discours prononcé par Khatami lors de son périple libanais illustre ces orientations. La foule de chiites enthousiastes aurait sans doute souhaité entendre un appui inconditionnel à l'option de la résistance armée, que défendait il y a encore quelques jours Hassan Nasrallah, ou un renouvellement du soutien sans faille au Hezbollah, longtemps considéré comme un instrument de la politique régionale de l'Iran. Au lieu de cela, Khatami a déclaré que son pays ne «ferait pas partie d'une politique d'escalade dans la région et qu'il appuierait ce que décident les Libanais». Ces prises de positions sont d'autant plus importantes qu'elles interviennent à un moment où Beyrouth et Damas sont la cible de très fortes pressions de la part de Washington qui réclame le désarmement du Hezbollah, un parti figurant sur la liste des «organisations terroristes» établies par les autorités américaines.

Etat de non-belligérance

Le discours de Khatami ne constitue pas vraiment un tournant mais la continuation d'une politique amorcée par l'Iran au lendemain des attentats du 11 septembre et plus particulièrement lors de la campagne militaire américaine en Afghanistan. Certes, les autorités iraniennes ont vu d'un bon oeil la chute du régime intégriste sunnite des talibans, mais elles auraient pu compliquer la tâche des Américains. Or c'est le contraire qui s'est passé. Les partis chiites afghans ont accepté de s'intégrer à la stratégie américaine, Téhéran a fermé ses frontières devant les fuyards d'al-Qaida, et en aurait même livré quelques uns, et a expulsé Gulbuddin Hekmatyar, qui appelait à la résistance contre les Américains.

La réussite de cette expérience de non-alliance/non-belligérance, a encouragé les deux pays à la rééditer en Irak. En dépit des déclarations incendiaires et belliqueuses de certains hommes politiques des deux bords, la coexistence entre les mouvances pro-iraniennes et pro-américaines ne se passe pas si mal que cela en Irak. Le Conseil supérieur de la révolution islamique en Irak, pro-iranien, fait parti du comité de coordination de l'(ex)opposition irakienne issu du Congrès de Salaheddine, organisé avec la bénédiction et la participation des Etats-Unis.

Le chef du Conseil supérieur, Mohammed Baker el-Hakim, est rentré en Irak après 23 ans d'exil sans être inquiété. Il avait été précédé par les hauts cadres et des milliers de combattants armés de l'organisation. Plus important encore, l'annonce par Washington du désarmement des Moudjahidins du peuple, la principale formation de l'opposition armée iranienne. Basés en Irak non loin de la frontière iranienne, les 20 000 hommes de cette organisation ont été regroupés et placés sous haute surveillance par l'armée américaine. Les centaines de chars et de véhicules blindés des Moudjahidins ont été rassemblés dans un camp contrôlé par les GI's. Un geste de bonne volonté sans équivoque de la part des Américains.

L'Afghanistan, l'Irak et la question palestinienne, qui a été superbement ignorée par Khatami à Beyrouth, ont fait l'objet de discussions directes entre l'Iran et les Etats-Unis lors de quatre réunions organisées à Genève. La dernière en date s'est tenue il y a moins de deux semaines.

Dans cet Orient compliqué où les frontières entre neutralité positive, alliance tacite et état de non-belligérance deviennent presque invisibles, il y a un pays qui doit se sentir bien seul. Désormais encerclé de trois côtés, la Syrie regarde, impuissante, son fidèle allié pendant vingt ans s'éloigner lentement. Décidément, à Damas et à Téhéran, on ne voit plus les choses à travers le même prisme.



par Paul  Khalifeh

Article publié le 14/05/2003