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Liberia

Le criminel de guerre Charles Taylor

«Sur la base du droit, j’ai décidé de rendre publique cette mise en accusation sans avoir consulté aucun Etat. J’agis en procureur indépendant» du Tribunal spécial de la Sierra Leone, explique l’Américain David Crane qui a inculpé Charles Taylor, ce mercredi 4 juin, pour sa «responsabilité» dans les crimes de guerre commis en Sierra Leone. C’est à dessein que le procureur Crane a choisi son moment : l’ouverture des négociations inter libériennes à Akosombo au Ghana. En même temps, il a lancé un mandat d’arrêt international contre le président du Liberia. Ce mandat a été transmis à Interpol, mais aussi aux autorités ghanéennes, à la grande consternation diplomatique des hôtes de Charles Taylor, lui-même rentré sans encombres à Monrovia.
«J’ai conscience que la communauté internationale a investi beaucoup d’énergie dans les pourparlers de paix», assure le procureur David Crane, alors justement, il a voulu «envoyer un message clair à toutes les factions combattantes au Libéria», un rappel à l’ordre humanitaire qui s’adresse à tous, si chefs d’Etat soient-ils, à commencer par le président Taylor donc, mais pas seulement. «Il est temps maintenant pour toutes les Nations de renforcer leurs engagements en faveur de la paix et de la sécurité internationale», poursuit David Crane, d’autant que «L’Afrique de l’Ouest ne connaîtra pas de paix véritable jusqu’à ce que ceux qui sont derrière la violence répondent de leurs actions». Le message du procureur américain a été reçu comme un véritable pavé dans la mare diplomatique d’Akosombo où le président en exercice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), le chef de l’Etat ghanéen, John Kufuor était donc censé mettre aux fers son pair du Liberia.

Avant même de venir au Ghana, Charles Taylor avait dit qu’il ne participerait pas directement aux négociations où il avait mandaté son ministre des Affaires étrangères. Mercredi, il est resté aux cérémonies d’ouverture jusqu’à la photo de famille avant de s’envoler tranquillement pour Monrovia, au soir d’une journée «embarrassante» pour les organisateurs, comme l’a confié le ministre ghanéen des Affaires étrangères, Addo Dankwa Akufo-Ado. «Le moment choisi pour cette annonce est malheureux», cela risque de «déstabiliser» les pourparlers, a-t-il déplore. Il est vrai que le Tribunal avait déjà approuvé l’inculpation de Taylor le 7 mars dernier. Mais selon David Crane, la décision «a été retenue à la demande de la Cour» et c’est en «apprenant que Charles Taylor devait se rendre au Ghana que le greffier de la Cour a émis un mandat d’arrêt transmis aux autorités ghanéennes et à Interpol». Le greffier britannique, Robin White enfonce le clou s’il en était besoin : «Le Tribunal est extrêmement déçu d’apprendre que Taylor n’a pas pu être arrêté. Le but de cette inculpation était d’inciter le gouvernement ghanéen à procéder à son arrestation. Il lui revenait de prendre cette décision».

Taylor «ne veut pas être un problème pour le Libéria»

Accra fait mine de tomber des nues mais nul doute que Taylor retienne la mise en garde et la limitation grandissante de sa liberté de circulation. Celle-ci est déjà entravée, depuis deux ans, par des mesures onusiennes qui ne l’ont pas empêché par exemple d’être invité à Paris au début de l’année pour les négociations inter ivoiriennes. Mais cette fois, ce n’est plus de trafic d’armes ou de diamant qu’il s’agit, mais de crimes contre l’humanité – la plus grave des 17 violations des droits de l’Homme dont il est accusé – pour la décennie de soutien sans faille qu’il a apporté aux Front révolutionnaire uni, le RUF, depuis sa création en 1991. Le Tribunal spécial lui demande également des comptes pour sa complicité avec plusieurs accusés en fuite parmi lesquels l’ancien chef de la junte Johnny Paul Koroma et Sam Bockarie dont il s’est débarrassé physiquement début mai ( sa femme, sa mère et au moins trois de ses enfants auraient été tués en même temps).

En inculpant Taylor, le procureur du Tribunal spécial voulait aussi rappeler aux parties prenantes d’Akosombo qu’elles «discutent avec un criminel de guerre». Pendant la cérémonie d’ouverture, John Kufuor a estimé que le conflit libérien a gravement lésé «l’image collective de l’Afrique de l’Ouest et réduit ses capacités d’attraction des investissements». Son homologue du Nigeria, Olusegun Obasanjo, considère pour sa part (de grand pourvoyeur de casques blancs) que «les peuples d’Afrique de l’Ouest ont fait assez de sacrifices pour le Libéria». Charles Taylor a déclaré quant à lui qu’il s’en voudrait d’être un problème pour le Libéria et qu’il allait «étudier sérieusement la possibilité d’un processus» politique qui se ferait sans lui, dans le cadre d’un gouvernement «d’unité nationale à former dès l’expiration de mon mandat», en janvier 2004, mais pas avant. En attendant, le début des pourparlers a été reporté à vendredi. Mais comme l’a dit Mohammed Ibn Chambas, le secrétaire exécutif de la Cedeao, «les discussions peuvent continuer comme prévu puisque Charles Taylor est parti en laissant derrière lui une équipe de gens capables».



par Monique  Mas

Article publié le 05/06/2003