Proche-Orient
«Ce n’est pas la paix, juste un répit»
Instruits par les retombées factices des grands messes diplomatiques de la période d’Oslo, les Palestiniens ne croient pas que le sommet d’Aqaba préfigure un règlement du conflit avec Israël.
De notre correspondant dans les Territoires occupés
La rue Roukab est la colonne vertébrale de Ramallah. Les étudiants avec cheveux gominés et Rolex au poignet y côtoient les vendeurs de fruits et légumes en charrette. On vient là pour pianoter dans un café internet, déguster une glace avec sa fiancée, ou plus simplement siroter un narguilé dans un café baladi (populaire). Il fait bon vivre, rue Roukab ! La Palestine s’y invente une identité, un avenir, à la fois populeux et branché, dans un savoureux charivari de couleurs, de klaxons et d’odeurs.
Près de la place aux Lions, au début de la rue, Yasser, 33 ans, est serveur dans un petit restaurant, qui sert des demi-poulets et des assiettes de hommus en rafales. A la vue de la une d’un quotidien israélien, avec la photo de la poignée de main entre Mahmoud Abbas et Ariel Sharon au sommet d’Aqaba, il s’exclame : «Tout ça c’est de la rigolade ! Sharon n’a pas changé, c’est un serpent. Songez que la veille de la rencontre, il y avait un couvre feu à Ramallah. Alors qu’on ne me parle pas d’espoir de paix». Ses collègues qui admirent à égalité Yasser Arafat et le cheikh Ahmed Yassine, le leader du Hamas, approuvent. «Sans Jérusalem, il n’y aura pas de paix», dit l’un deux, posté derrière une marmite de cuivre pleine de foul (purée de fèves).
Quelques pas plus loin, Ghassan, 42 ans, travaille dans le magasin de journaux de son oncle. Lui aussi n’accorde aucun poids aux déclarations faites par le Premier ministre israélien dans la station balnéaire jordanienne. «Sharon veut juste faire une pause. Les mesure qu’il a annoncées n’ont aucune valeur. Démanteler des colonies sauvages ? Très bien, mais on fait quoi des autres, celles ou des milliers d’Israéliens vivent ? Enlever des check-points ? D’accord, mais il y a trois ans, il n’y avait pas de check points et pourtant, il n’y avait pas non plus la paix. Sharon cherche à repousser indéfiniment le moment où l’on parlera des vrais problèmes. Or tant qu’il n’y aura pas d’accord sur Jérusalem et sur les réfugiés, il n’y aura d’accord sur rien».
Qui fait la guerre, peut aussi faire la paix
Un peu plus en contrebas, le café Karameh baigne dans l’air conditionné. Baptisé du nom d’une bataille fondatrice du nationalisme palestinien, il est l’un des repaires préférés des fonctionnaires de l’Autorité palestinienne et des cadres locaux du Fatah. Fouad, 31 ans, employé au ministère des Affaires étrangères a lu en détail les discours des deux Premiers ministres à Aqaba. Il en retire un sentiment partagé. «C’est la première fois que j’entends Sharon dire qu’il va démanteler des colonies et la première fois aussi, qu’il parle en public d’un État palestinien. Pour moi, c’est quelque chose d’important. Jamais je n’ai pensé qu’il en serait capable. Pour ce qui est d’Abou Mazen [le premier ministre Mahmoud Abbas, ndlr]), il m’a surpris aussi en parlant de 'terrorisme' à propos des attaques palestiniennes. C’est une première pour un officiel de l’Autorité. Cependant je ne pense pas qu’il s’agisse des prémisses de la paix. Je ne vois pas de happy end pour la feuille de route. C’est juste un répit, l’opportunité pour nous, Palestiniens, de respirer».
Dans son débit d’alcool, Sami, un chrétien, pense au contraire que les manœuvres diplomatiques en cours peuvent être l’être l’amorce d’une véritable paix. «Je pense que les États-Unis sont fatigués de mettre des millions de dollars dans la défense d’Israël. Bush veut régler cette question et il a en face de lui, les gens qu’il faut. Côté palestinien, Abou Mazen a raison de vouloir mettre un terme à l’Intifada. On ne peut pas négocier d’un côté et tirer de l’autre. Avec Mohamed Dahlan au ministère de la Sécurité, il a les moyens d’être efficace. En face côté israélien, je pense que Sharon peut être l’homme de la situation. Rappelez-vous que c’est le Likoud, son parti, qui a signé la paix avec l’Égypte. Qui fait la guerre, peut aussi faire la paix».
Mais l’optimisme de Sami est totalement iconoclaste, rue Roukab. La plupart des riverains, échaudés par les promesses non tenus de la période d’Oslo, épuisés par les difficultés économiques et congénitalement méfiants à l’égard d’Ariel Sharon, n’ont guère la tête à spéculer sur l’avenir. Il faudra que leur quotidien s’améliore véritablement pour qu’ils renoncent à leur scepticisme de rigueur. Comme le dit Peter, un brocanteur : «Enlevez les check-points, on parlera ensuite».
La rue Roukab est la colonne vertébrale de Ramallah. Les étudiants avec cheveux gominés et Rolex au poignet y côtoient les vendeurs de fruits et légumes en charrette. On vient là pour pianoter dans un café internet, déguster une glace avec sa fiancée, ou plus simplement siroter un narguilé dans un café baladi (populaire). Il fait bon vivre, rue Roukab ! La Palestine s’y invente une identité, un avenir, à la fois populeux et branché, dans un savoureux charivari de couleurs, de klaxons et d’odeurs.
Près de la place aux Lions, au début de la rue, Yasser, 33 ans, est serveur dans un petit restaurant, qui sert des demi-poulets et des assiettes de hommus en rafales. A la vue de la une d’un quotidien israélien, avec la photo de la poignée de main entre Mahmoud Abbas et Ariel Sharon au sommet d’Aqaba, il s’exclame : «Tout ça c’est de la rigolade ! Sharon n’a pas changé, c’est un serpent. Songez que la veille de la rencontre, il y avait un couvre feu à Ramallah. Alors qu’on ne me parle pas d’espoir de paix». Ses collègues qui admirent à égalité Yasser Arafat et le cheikh Ahmed Yassine, le leader du Hamas, approuvent. «Sans Jérusalem, il n’y aura pas de paix», dit l’un deux, posté derrière une marmite de cuivre pleine de foul (purée de fèves).
Quelques pas plus loin, Ghassan, 42 ans, travaille dans le magasin de journaux de son oncle. Lui aussi n’accorde aucun poids aux déclarations faites par le Premier ministre israélien dans la station balnéaire jordanienne. «Sharon veut juste faire une pause. Les mesure qu’il a annoncées n’ont aucune valeur. Démanteler des colonies sauvages ? Très bien, mais on fait quoi des autres, celles ou des milliers d’Israéliens vivent ? Enlever des check-points ? D’accord, mais il y a trois ans, il n’y avait pas de check points et pourtant, il n’y avait pas non plus la paix. Sharon cherche à repousser indéfiniment le moment où l’on parlera des vrais problèmes. Or tant qu’il n’y aura pas d’accord sur Jérusalem et sur les réfugiés, il n’y aura d’accord sur rien».
Qui fait la guerre, peut aussi faire la paix
Un peu plus en contrebas, le café Karameh baigne dans l’air conditionné. Baptisé du nom d’une bataille fondatrice du nationalisme palestinien, il est l’un des repaires préférés des fonctionnaires de l’Autorité palestinienne et des cadres locaux du Fatah. Fouad, 31 ans, employé au ministère des Affaires étrangères a lu en détail les discours des deux Premiers ministres à Aqaba. Il en retire un sentiment partagé. «C’est la première fois que j’entends Sharon dire qu’il va démanteler des colonies et la première fois aussi, qu’il parle en public d’un État palestinien. Pour moi, c’est quelque chose d’important. Jamais je n’ai pensé qu’il en serait capable. Pour ce qui est d’Abou Mazen [le premier ministre Mahmoud Abbas, ndlr]), il m’a surpris aussi en parlant de 'terrorisme' à propos des attaques palestiniennes. C’est une première pour un officiel de l’Autorité. Cependant je ne pense pas qu’il s’agisse des prémisses de la paix. Je ne vois pas de happy end pour la feuille de route. C’est juste un répit, l’opportunité pour nous, Palestiniens, de respirer».
Dans son débit d’alcool, Sami, un chrétien, pense au contraire que les manœuvres diplomatiques en cours peuvent être l’être l’amorce d’une véritable paix. «Je pense que les États-Unis sont fatigués de mettre des millions de dollars dans la défense d’Israël. Bush veut régler cette question et il a en face de lui, les gens qu’il faut. Côté palestinien, Abou Mazen a raison de vouloir mettre un terme à l’Intifada. On ne peut pas négocier d’un côté et tirer de l’autre. Avec Mohamed Dahlan au ministère de la Sécurité, il a les moyens d’être efficace. En face côté israélien, je pense que Sharon peut être l’homme de la situation. Rappelez-vous que c’est le Likoud, son parti, qui a signé la paix avec l’Égypte. Qui fait la guerre, peut aussi faire la paix».
Mais l’optimisme de Sami est totalement iconoclaste, rue Roukab. La plupart des riverains, échaudés par les promesses non tenus de la période d’Oslo, épuisés par les difficultés économiques et congénitalement méfiants à l’égard d’Ariel Sharon, n’ont guère la tête à spéculer sur l’avenir. Il faudra que leur quotidien s’améliore véritablement pour qu’ils renoncent à leur scepticisme de rigueur. Comme le dit Peter, un brocanteur : «Enlevez les check-points, on parlera ensuite».
par Benjamin Barthe
Article publié le 06/06/2003