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Zimbabwe

Robert Mugabe campe sur ses positions

Le chef du principal parti d’opposition, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC), Morgan Tsvangirai a été interpelé lundi matin à Harare, à l’aube d’une semaine d’action contre le régime du président Robert Mugabe. Les policiers l’ont conduit devant la Haute cour de justice qui, depuis février dernier, instruit son procès en «trahison» pour «tentative d’assassinat» du chef de l’Etat. Morgan Tsangirai et ses deux co-inculpés du MDC ont été laissés en liberté conditionnelle. Mais ils risquent la peine de mort. Samedi soir, la Haute cour a «interdit à l’opposition d’organiser ou de tenir une action populaire destinée à renverser un président légitimement élu et le gouvernement». Inculpé cette fois pour «outrage»le chef du MDC a maintenu son mot d’ordre de grèves et de marches «pacifiques» du 2 au 6 juin dans tout le pays. Il appelle les Zimbabwéens à rejoindre le mouvement «par millions» pour donner «l’assaut final» au régime Mugabe.
Pour le ministre de la Justice, Patrick Chinamasa, «l’intention claire qui se cache derrière la menace de ces actions, c’est de mener un coup d’Etat». L’armée, la police et les anciens combattants de la guerre de libération proches du régime ont formé le carré autour de Mugabe et menacé les opposants de riposter «d’une manière encore jamais vue au Zimbabwe». «Si les Zimbabwéens se laissent intimider par la présence de l’armée ou de la police, alors ils doivent accepter le statu quo pour toujours», répond Tsvangirai. Son parti a déjà payé le prix fort de la répression depuis sa création en 1999. Il avance le chiffre de 200 militants ou sympathisants tués et de plusieurs milliers de victimes de tortures ou de mauvais traitements. Mais cette fois, plus que jamais depuis les présidentielles de mars 2002 où Robert Mugabe a emporté un nouveau mandat «par la fraude et la violence», Morgan Tsvangirai joue très gros dans la rue : la présidence sinon rien.

Faillite économique

Depuis qu’en février 2000 ses administrés ont rejeté, avec 54,6% de non, le projet de Constitution, qui devait en particulier renforcer ses pouvoirs, Robert Mugabe a le dos au mur. De son côté, avec près de la moitié des sièges de députés emportés en juin 2000, Morgan Tsvangirai a le vent en poupe. Chacun des deux adversaires puise à sa manière dans le vivier des victimes de la faillite économique. La crise fait galoper le chômage au delà de 70 % - si ce chiffre a un sens - , l’inflation à 269,2% (en avril) et les prix à des sommets inaccessibles pour les trois quarts de la population qui survit en dessous du seuil de pauvreté. Du reste, ceux qui disposent encore d’un vague pouvoir d’achat sont confrontés aux pénuries en tout genre : électricité, essence, devises et même dollars zimbabwéens, mangés par l’inflation. La nourriture aussi manque cruellement. La sécheresse de 2002 est venue aggraver les chutes de production engendrées par la réforme agraire. La redistribution des terres «blanches» aux Noirs s’est surtout soldée par leur gel, à défaut d’intrants et de matériel.

Manifestations contre l’augmentation de 30 % du prix du pain en octobre 2000, émeutes de la faim en janvier 2003, grève de la centrale syndicale en mars et en avril dernier pour dénoncer la hausse des prix du carburant ont été des bancs d’essai pour Morgan Tsvangirai. Le chef du MDC a construit son parti sur les fondements d’un long militantisme syndical. Il a été une décennie durant le très charismatique président du puissant Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU). Morgan Tsvangirai a su en outre rallier les fermiers commerciaux blancs. Ceux-ci étaient quelque 5 000 producteurs à l’exportation, jusqu’à ce que Robert Mugabe fasse de leur expropriation un thème de campagne majeur et porteur auprès de nombre d’anciens combattants, voués jusque là au chômage ou à l’agriculture de subsistance.

L’approche Tsvangirai de la réforme agraire lui vaut la sympathie de Londres mise en demeure de dédommager les fermiers blancs par Robert Mugabe. Le chef de l’Etat s’était bien gardé lui-même de pourvoir les agriculteurs noirs des moyens nécessaires à leur développement pendant ses quinze premières années de règne. Mais autoriser les intéressés à se servir comme il le fait depuis deux ans, c’est aussi délivrer un message en noir et blanc qui menace de fonctionner, en Afrique du Sud par exemple, où le problème des terres reste entier. Jusqu’à présent, Pretoria restait sur son quant à soi, de crainte de voir le populisme voisin bousculer son très fragile équilibre. Mais ces derniers jours, le porte-parole du président Thabo Mbeki a déclaré qu’il ne censurerait pas la presse nationale, malgré les protestations d’Harare contre un éditorial du Sunday Times «diabolisant le président, le gouvernement et le peuple du Zimbabwe pour chercher à diviser Zimbabwéens et Sud-Africains». L’article en question faisait notamment état d’un rapport des autorités australiennes au Commonwealth, accablant pour le régime Mugabe en matière de droits de l’homme et d’économie.

De toute évidence, Mugabe dérange de plus en plus. A tel point que Britanniques et Américains en particulier n’ont de cesse de suggérer un plan de sortie. Cela arrangerait tout le monde, sauf Robert Mugabe. Il s’est en tout cas inscrit en faux contre l’idée d’un départ rapide comme l’exige Morgan Tsvangirai. Celui-ci demande que le chef de l’Etat soit remplacé par un président transitoire, chargé d’organiser des élections sous trois mois. Robert Mugabe répète qu’il n’est pas pressé de partir, mais on sait que, le cas échéant, il entend passer la main à un successeur de son choix pour achever son mandat qui courre jusqu’en 2008. D’ici là, Robert Mugabe campe sur ses positions de premier «freedom fighter». Il les a jadis conquises de haute lutte, contre ses compagnons de la guerre d’indépendance. Aujourd’hui, il menace de démontrer par l’absurde que sa chute vaudrait le chaos du Zimbabwe. A moins que sonne l’heure des négociations.



par Monique  Mas

Article publié le 02/06/2003