Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Mexique

Les milliardaires latino-américains préoccupés par les multinationales

Entre le sommet de Rio et le G8, Carlos Slim, propriétaire de Telmex, la principale compagnie de téléphone du Mexique, a invité, très discrètement, dans sa villa d’Ixtapa, sur le Pacifique, trente-quatre milliardaires d’Amérique latine pour un conclave singulier.
De notre correspondant au Mexique.

Carlos Slim est l’un des dix hommes les plus riches du monde, mais les transnationales lui donne des maux de tête. Il craint que la globalisation, la faiblesse des Etats, la perte du poids des partis politiques, ne fassent disparaître les grandes entreprises nationales latino-américaines comme Televisa, Globo, Bimbo, Cemex ou la sienne, Telmex. Ces sociétés, sont de plus en plus concurrencées par les entreprises transnationales qui menacent leurs intérêts. Cette rencontre entre amis, dont étaient exclus les milliardaires du gotha de la finance internationale et des transnationales, avait pour objectif d’étudier les stratégies permettant de contrecarrer la pénétration des multinationales et le rôle de plus en plus envahissant du gouvernement américain et des institutions financières internationales, intéressés par les richesses de l’Amérique latine mais fort peu par son développement.

Ces hommes immensément riches ont bâti leur fortune grâce aux Etats-nations. Durant les deux dernières décennies, ils ont, pour la plupart, gouverné derrière le siège présidentiel, promouvant les «réformes», soutenant les restrictions budgétaires et autres transformations bien peu sociales, profitant des dévaluations de leurs monnaies, des dénationalisations et des positions de monopole commercial. Aujourd’hui leur pouvoir se dilue á cause de la prééminence du capital transnational dans la prise de décision en matière politique, économique et sociale. Dans le fond, ces «rois du plastique, du pain mou, de la téléphonie, du cuivre ou du textile» craignent les effets de l’entrée en vigueur de la ZLEA (Accord de libre commerce des Amériques), en 2005, qui favorisera une plus grande intégration économique de la région.

Se sauver par les pauvres

Celle-ci a déjà sérieusement commencé : entre 1990 et 1999, le nombre de transnationales répertoriées parmi les 500 plus grandes entreprises d’Amérique latine a augmenté de 55 %, et leurs ventes de 179 %. En 2000, elles dépassaient de 4 milliards de dollars l’ensemble des ventes des entreprises privées nationales (24 milliards de dollars). En effet, les compagnies européennes et nord-américaines sont de plus en plus fréquemment propriétaires de pans entiers des secteurs clefs en Amérique latine, comme la banque, les télécommunications, l’agroalimentaire, la pharmacie, l’informatique ou l’énergie. Les secteurs du grand capital national de ces pays se trouvent donc, tout à coup, trop petits par rapport aux groupes mondialisés et craignent d’être à leur tour absorbés ou contraints à disparaître.

Paradoxalement, la seule planche de salut de ces milliardaires serait de promouvoir un véritable développement de la région latino-américaine qui compte 250 millions de pauvres. C’est à dire réactiver l’économie nationale mais aussi l’éducation et la santé pour que la population retrouve un pouvoir d’achat laminé par les années d’ajustements monétaires et puissent consommer les biens qu’ils fabriquent. Les 34 milliardaires, réunis dans leur petit paradis, au bord de trois plages privées ou sur le green d’un golf de 18 trous, ont donc passé un accord pour favoriser la création d’entreprises d’orientation sociale comme premier pas d’un repositionnement du capital local. Autrement dit : pour récupérer le terrain perdu, ces entrepreneurs proposent de mieux coordonner leurs efforts et leurs politiques afin de soutenir ceux qui occupent les postes de gouvernements et ainsi influencer leurs politiques qui devront être beaucoup plus sociale. Curieux retournement de situation pour ces hommes qui ont participé au démantèlement de l’appareil productif de l’Etat, et qui aujourd’hui, sont prêts à renier le libre marché, à dénoncer le libéralisme qui ne favorise que l’investissement étranger à la recherche de rendements et des bénéfices extraordinaires, et à s’en remettre à un programme de développement durable de l’Amérique latine qui n’avait pas jusqu’alors attiré leur attention.



par Patrice  Gouy

Article publié le 01/06/2003