Iran
Les Moudjahidine du peuple sous pression en France
Les forces de police françaises ont investi à l’aube plusieurs sites de l’organisation iranienne Moudjahidine du peuple. Des moyens considérables ont été mis en œuvre. Du matériel informatique a été saisi, ainsi qu’une très importante somme d’argent. Cent soixante-cinq personnes ont été interpellées.
Auvers-sur-Oise, six heures du matin. D’importantes forces de police investissent treize sites de l’organisation iranienne Moudjahidine du peuple, dont onze dans le département du Val d’Oise parmi lesquels celui d’Auvers considéré comme le poste de commandement européen, voire mondial, de l’organisation. L’«Opération Théo» est déclenchée. Mille trois cents policiers et gendarmes sont mobilisés. «C’est la police, nous allons procéder à une perquisition dans le cadre d’une commission rogatoire du juge Bruguière», annonce le mégaphone avant le passage à l’action. Immédiatement, la grille de la résidence est enfoncée et les villas et bungalows sont investis. Des cris retentissent à l’intérieur des bâtiments.
La surprise est totale. Quelques minutes plus tard, quelques cent soixante-cinq personnes sont interpellées et dirigées vers différents centres pour interrogatoire. Parmi elles figure Myriam Radjavi, l’épouse du principal dirigeant des Moudjahidine du peuple, Massoud Radjavi qui ne fait pas partie des interpellés. La plupart d’entre eux affirment qu’ils ne parlent pas le français ; une trentaine d’interprètes a donc été requis. Du «très gros matériel informatique» est saisi, annonce la police, ainsi qu’une centaine de paraboles et un million trois cent mille dollars, en liquide.
Selon la commission rogatoire émise par le juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière, les policiers agissent dans le cadre d’une enquête pour «association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme et de financement d’entreprise terroriste». D’ailleurs, outre la gendarmerie et les troupes d’élites de la police nationale, participent également à l’opération des fonctionnaires de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière. Des sources proches des milieux du renseignement français, cités par l’AFP, déclarent qu’il n’existe «aucun élément permettant de les soupçonner de vouloir commettre des attentats en France». Les mêmes sources n’écartent pas, en revanche, la possibilité que les Moudjahidine du peuple préparaient des attentats à l’étranger.
«Ces accusations sont complètement grotesques», déclare un porte-parole de l’organisation, joint à Londres par l’AFP. Ali Safavi déclare que des militants de l’organisation sont établis en France depuis de nombreuses années «et il n’y a eu aucun problème». «Où qu’ils soient, précise-t-il, ils ne sont absolument pas impliqués dans des activités illégales dans leur pays d’accueil». Selon Ali Safavi, la France «tente de s’attirer les bonnes grâces du régime fondamentaliste en Iran» et l’opération de ce 17 juin fait partie d’un «complot concerté» entre Paris et Téhéran.
«Noircissement» d’argent
L’explication est certainement un peu courte en raison du principe de séparation des pouvoirs et de l’indépendance dont le juge Bruguière a déjà fait preuve en d’autres occasions. Néanmoins ce dernier épisode n’en constitue pas moins un spectaculaire coup de théâtre dans les relations entre Paris et le groupe d’opposants iranien. Les Moudjahidine du peuple apparaissent en 1965 et la plupart de ses fondateurs périrent dans les prisons du Chah. Ils accompagnent la révolution de 1979 mais leur projet politique, qui associe islamisme et marxisme, n’est pas compatible avec le régime des mollahs qui s’est emparé du pays. En 1981, ils sont déclarés hors-la-loi et s’installent en France où ils demeureront jusqu’à l’épuisement du contentieux franco-iranien et la normalisation des relations entre Paris et Téhéran, en 1986. Contraint de quitter la France avec un millier de ses partisans, Massoud Radjavi s’installe en Irak et engage son mouvement sur le terrain militaire : l’Armée de libération nationale d’Iran (Alni) est créée et mène des opérations spectaculaires. Aujourd’hui, les Moudjahidine du peuple sont toujours le principal mouvement d’opposition armée au régime iranien et, malgré les pressions de Téhéran, ils restent solidement implantés en France où, interdits, ils travaillent désormais sous le couvert d’une organisation politique, qui est leur émanation : le Conseil national de la résistance iranienne (Cnri).
Comme nombre d’organisations de ce type, le Cnri cultive la clandestinité et le secret et, dans un contexte international marqué par l’actualité au Proche et au Moyen-Orient, ses activités intéressent au plus haut point les autorités du pays-hôte. Ainsi, l’enquête du juge Bruguière a démarré voici deux ans et porte essentiellement sur les flux financiers dont les mouvements auraient pu alimenter «des achats d’armes et des actions terroristes», déclare une source judiciaire à l’AFP. Le Cnri passe pour être une formidable machine à lever des fonds auprès de ses militants et sympathisants. Le juge Bruguière le soupçonne d’être également un instrument exceptionnel au service du «noircissement» de l’argent en l’acheminant vers des projets illégaux comme le financement du terrorisme.
Enfin cette affaire survient dans une situation générale toujours marquée par l’ambivalence. Depuis 2002, les Moudjahidine du peuple figurent sur la liste des mouvements terroristes de l’Union européenne et sur celle du département d’État américain. Mais dans le même temps, l’armée américaine s’accommode parfaitement d’un mouvement avec lequel elle a conclu un accord de désarmement et de non-intervention dans le conflit irakien, au grand désarroi de Téhéran qui attendait de la guerre contre l’Irak qu’elle le débarrasse aussi de son opposition armée en exil. Aujourd’hui des militaires et des personnalités politiques américaines s’interrogent même sur la question de la pertinence de le maintenir sur leur liste noire.
Les autorités iraniennes ont salué l’«Opération Théo» comme un «pas positif» de la part de la France. Dans l’après-midi, devant les députés français, le ministre de l’Intérieur a assuré que «les Moudjahidine voulaient faire de la France leur base arrière, nous ne pouvions l’accepter». Nicolas Sarkozy a précisé que cent cinquante-neuf interpellés étaient maintenus en garde à vue en fin de journée.
A écouter également:
Addala Benraad, journaliste à RFI
revient sur l'arrestation en France de membres des Moudjahidines du peuple iraniens.
La surprise est totale. Quelques minutes plus tard, quelques cent soixante-cinq personnes sont interpellées et dirigées vers différents centres pour interrogatoire. Parmi elles figure Myriam Radjavi, l’épouse du principal dirigeant des Moudjahidine du peuple, Massoud Radjavi qui ne fait pas partie des interpellés. La plupart d’entre eux affirment qu’ils ne parlent pas le français ; une trentaine d’interprètes a donc été requis. Du «très gros matériel informatique» est saisi, annonce la police, ainsi qu’une centaine de paraboles et un million trois cent mille dollars, en liquide.
Selon la commission rogatoire émise par le juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière, les policiers agissent dans le cadre d’une enquête pour «association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme et de financement d’entreprise terroriste». D’ailleurs, outre la gendarmerie et les troupes d’élites de la police nationale, participent également à l’opération des fonctionnaires de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière. Des sources proches des milieux du renseignement français, cités par l’AFP, déclarent qu’il n’existe «aucun élément permettant de les soupçonner de vouloir commettre des attentats en France». Les mêmes sources n’écartent pas, en revanche, la possibilité que les Moudjahidine du peuple préparaient des attentats à l’étranger.
«Ces accusations sont complètement grotesques», déclare un porte-parole de l’organisation, joint à Londres par l’AFP. Ali Safavi déclare que des militants de l’organisation sont établis en France depuis de nombreuses années «et il n’y a eu aucun problème». «Où qu’ils soient, précise-t-il, ils ne sont absolument pas impliqués dans des activités illégales dans leur pays d’accueil». Selon Ali Safavi, la France «tente de s’attirer les bonnes grâces du régime fondamentaliste en Iran» et l’opération de ce 17 juin fait partie d’un «complot concerté» entre Paris et Téhéran.
«Noircissement» d’argent
L’explication est certainement un peu courte en raison du principe de séparation des pouvoirs et de l’indépendance dont le juge Bruguière a déjà fait preuve en d’autres occasions. Néanmoins ce dernier épisode n’en constitue pas moins un spectaculaire coup de théâtre dans les relations entre Paris et le groupe d’opposants iranien. Les Moudjahidine du peuple apparaissent en 1965 et la plupart de ses fondateurs périrent dans les prisons du Chah. Ils accompagnent la révolution de 1979 mais leur projet politique, qui associe islamisme et marxisme, n’est pas compatible avec le régime des mollahs qui s’est emparé du pays. En 1981, ils sont déclarés hors-la-loi et s’installent en France où ils demeureront jusqu’à l’épuisement du contentieux franco-iranien et la normalisation des relations entre Paris et Téhéran, en 1986. Contraint de quitter la France avec un millier de ses partisans, Massoud Radjavi s’installe en Irak et engage son mouvement sur le terrain militaire : l’Armée de libération nationale d’Iran (Alni) est créée et mène des opérations spectaculaires. Aujourd’hui, les Moudjahidine du peuple sont toujours le principal mouvement d’opposition armée au régime iranien et, malgré les pressions de Téhéran, ils restent solidement implantés en France où, interdits, ils travaillent désormais sous le couvert d’une organisation politique, qui est leur émanation : le Conseil national de la résistance iranienne (Cnri).
Comme nombre d’organisations de ce type, le Cnri cultive la clandestinité et le secret et, dans un contexte international marqué par l’actualité au Proche et au Moyen-Orient, ses activités intéressent au plus haut point les autorités du pays-hôte. Ainsi, l’enquête du juge Bruguière a démarré voici deux ans et porte essentiellement sur les flux financiers dont les mouvements auraient pu alimenter «des achats d’armes et des actions terroristes», déclare une source judiciaire à l’AFP. Le Cnri passe pour être une formidable machine à lever des fonds auprès de ses militants et sympathisants. Le juge Bruguière le soupçonne d’être également un instrument exceptionnel au service du «noircissement» de l’argent en l’acheminant vers des projets illégaux comme le financement du terrorisme.
Enfin cette affaire survient dans une situation générale toujours marquée par l’ambivalence. Depuis 2002, les Moudjahidine du peuple figurent sur la liste des mouvements terroristes de l’Union européenne et sur celle du département d’État américain. Mais dans le même temps, l’armée américaine s’accommode parfaitement d’un mouvement avec lequel elle a conclu un accord de désarmement et de non-intervention dans le conflit irakien, au grand désarroi de Téhéran qui attendait de la guerre contre l’Irak qu’elle le débarrasse aussi de son opposition armée en exil. Aujourd’hui des militaires et des personnalités politiques américaines s’interrogent même sur la question de la pertinence de le maintenir sur leur liste noire.
Les autorités iraniennes ont salué l’«Opération Théo» comme un «pas positif» de la part de la France. Dans l’après-midi, devant les députés français, le ministre de l’Intérieur a assuré que «les Moudjahidine voulaient faire de la France leur base arrière, nous ne pouvions l’accepter». Nicolas Sarkozy a précisé que cent cinquante-neuf interpellés étaient maintenus en garde à vue en fin de journée.
A écouter également:
Addala Benraad, journaliste à RFI
revient sur l'arrestation en France de membres des Moudjahidines du peuple iraniens.
par Georges Abou
Article publié le 17/06/2003