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Iran

Des Moudjahidine du peuple s'immolent par le feu

Les manifestations d’opposition à l’opération menée mardi par la police et la gendarmerie françaises ont soulevé une vague de protestation particulière vigoureuse de la part de militants et sympathisants de l’organisation d’opposition iranienne des Moudjahidine du peuple. Outre les protestations traditionnelles, plusieurs personnes ont tenté de s’immoler par le feu. L’une d’entre elles est décédée des suites de ses blessures. Au lendemain des faits, une vingtaine de prévenus demeuraient en garde à vue.
Marzieh Babakhani avait mis le feu à ses vêtements mercredi matin, lors de la manifestation de protestation parisienne. Elle n’a pas survécu aux «brûlures étendues et profondes» qu’elle s’est infligée. Elle avait quarante ans. Mais elle n’est pas la seule à avoir tenté de s’immoler par le feu, à Paris. Deux autres militants ont enflammé leurs vêtements mercredi dans la capitale française. Des images diffusés par la télévision ont notamment montré des sauveteurs se précipitant sur des corps en flammes. Mais, de toute évidence, malgré la rapidité des secours, les blessures qu'ils se sont infligées peuvent faire redouter le pire. La France n’a pas eu l’exclusivité d’avoir à affronter ce mode radical de protestation. En Suisse, un homme a tenté aussi d’en recourir aux mêmes méthodes devant l’ambassade de France à Berne. Mardi, jour de l’opération menée par les forces de l’ordre françaises, un manifestant iranien avait tenté de faire la même chose devant l’ambassade de France à Londres. Brûlé à 40%, il a été hospitalisé dans un état grave.

Une soixantaine de sympathisants du mouvement s’étaient également réunis mercredi matin à proximité du site d’Auvers, en signe de soutien aux militants et une centaine de personnes, essentiellement des femmes, ont manifesté au cours de la nuit, «dans le calme» selon une source policière, devant la caserne où avaient été conduits la plupart des interpellés. Quelques dizaines d’autres militants, venus de Belgique et d’Allemagne, s’étaient aussi retrouvés dans la soirée à proximité d’Auvers-sur-Oise afin de réclamer la libération de Maryam Radjavi, épouse du chef des opposants iraniens et figure emblématique du mouvement. En Suisse, une trentaine d’opposants se sont rassemblés mardi soir devant l’ambassade de France, à Berne.

Parmi les réactions, des associations de défense des droits de l’homme «s’étonnent des conditions dans lesquelles plus de cent cinquante personnes ont été arrêtées». «Quelle que soit l’appréciation que l’on porte sur cette organisation, il convient de constater qu’elle est établie en France et en Europe depuis plusieurs années sans que les autorités publiques n’y aient trouvé à redire», écrivent dans un communiqué conjoint la Fédération des ligues des droits de l’homme (FIDH), la Ligue des droits de l’homme (LDH) et France-Libertés.

Rien de nouveau depuis vingt ans

Sur place, à Auvers-sur-Oise, c’est l’incompréhension qui domine. Le maire de la petite commune du Val d’Oise, mieux connue pour avoir été la résidence du peintre impressionniste Vincent Van Gogh que pour avoir accueilli un éventuel centre du terrorisme international, semble sceptique sur le caractère dangereux de ses administrés. «Pourquoi ont-ils été protégés pendant vingt ans si ce sont des terroristes ?», s’interroge une voisine. Car, en effet, les Moudjahidine du peuple bénéficiaient de la protection de la gendarmerie nationale. A part ça, des réfugiés ordinaires dont certains implantés de longue date dans le village, et disposant de passeports français, puisque leur installation locale remonte à 1981.

Les observateurs les mieux informés de la politique iranienne semblent troublés par ce coup d’éclat de la police française. L’ancien président Abolhassan Bani Sadr, en exil en France depuis 1981, partage l’opinion des autorités françaises selon laquelle «les Moudjahidine, après leur désorganisation en Irak, ont fait de la France leur poste de commandement mondial». Mais, pour autant, rien d’autre ne justifie cette opération que d’essayer «d’utiliser une organisation moribonde comme monnaie d’échange à l’égard des mollahs» car, selon lui, ce mouvement «est fini en tant qu’organisation militaire». Pour le directeur de la rédaction de la revue les Cahiers de l’Orient, «soit c’est un coup de main des Français aux Américains, qui négocient avec les Moudjahidine du peuple en Irak et qui peuvent ainsi dire : ‘vous n’avez plus de base arrière en France, vous n’avez donc qu’une solution, négocier avec nous’. Soit c’est au contraire un coup de pouce de Paris au gouvernement iranien, aux prises avec la contestation, et qui pourrait avoir demandé à la France d’accélérer les enquêtes sur les Moudjahidine, sur les attentats commis à l’intérieur de l’Iran et revendiqués par eux». Quant à la thèse soutenue par le ministre de l’Intérieur selon laquelle ils voulaient installer leur base arrière en France, Antoine Sfeir estime qu’il n’y a là rien de nouveau depuis vingt ans.

Geste politique envers Washington qui, malgré ses relations ambiguës avec les Moudjahidine les a couchés sur la liste des organisations terroristes ? Envers Téhéran, qui a d’excellentes raisons de se féliciter du coup porté à son pire ennemi intérieur par le «fameux juge antiterroriste Bruguière», comme l’écrit le journal réformateur iranien Yas-e-No ? Les deux capitales envoient en tout cas des signaux de satisfaction, au lendemain de l’opération. Téhéran tente même de pousser sont avantage en réclamant leur extradition pour «qu'ils soient jugés là où ils ont commis leurs crimes», a déclaré mercredi à Téhéran le président Mohammad Khatami. Et il a demandé aux Etats-Unis de prendre exemple sur la France car, a-t-il dit, «malheureusement l'attitude des Américains à l'égard de ce groupe en Irak est suspecte et nous laisse soupçonner, malgré leurs affirmations, qu'ils peuvent l'utiliser contre nous».

Mercredi soir, 26 des 165 militants interpellés mardi à l’aube dans 13 sites, dont celui d’Auvers-sur-Oise, étaient encore gardés à vue dans les locaux de la Direction de la surveillance des territoires.



par Georges  Abou

Article publié le 18/06/2003