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Iran

Des Moudjahidine du peuple s'immolent par le feu

Face à la tournure dramatique prise par les événements le patron du contre-espionnage français a donné une conférence de presse pour justifier l’intervention contre les Moudjahidine du peuple. Au cours de ces deux derniers jours, 6 Iraniens ont tenté de s’immoler par le feu, dont 3 en France. Vingt-sept personnes demeuraient en garde à vue jeudi matin, parmi lesquelles Maryam Radjavi, l’épouse du leader du mouvement.
C’est un cas de figure très inhabituel : le contre-espionnage français communique en empruntant le canal ordinaire de la conférence de presse. Mercredi soir, le patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST) a longuement justifié la spectaculaire intervention, mardi à l’aube, contre les Moudjahidine du peuple. Selon Pierre de Bousquet de Florian, l’organisation «représentait un danger pour notre pays et nos concitoyens» car elle «envisageait de commettre des attentats contre les intérêts iraniens en dehors de l’Iran (…) notamment ses représentations diplomatiques y compris en Europe, mais pas en France», a-t-il précisé. Selon lui, la DST avait acquis l’assurance que l’organisation transformait son siège français en lieu de commandement, de financement et de soutien logistique. Ces éléments «ne figurent pas dans les procédures judiciaires en cours», mais son service en a acquis la conviction «en renseignement», précise-t-il. En somme : «il était temps d’intervenir».

Mais cette nécessité de communiquer obéit également à d’autres impératifs. L’affaire a pris une tournure dramatique lors des manifestations qui accompagnent depuis mardi l’opération de la police française et auxquelles se sont joints des soutiens venus de toute l’Europe et principalement de Belgique, d’Allemagne, du Danemark et de Suède. Toutes les médias du monde ont retransmis ces terribles images de militants ou sympathisants tentant de s’immoler par le feu en signe de protestation. Ils ont été six à s’infliger ce martyr : deux à Londres, devant l’ambassade de France, un à Berne en suisse, devant la représentation diplomatique française et trois à Paris, près des locaux de la DST où vingt-sept des cent soixante-cinq Moudjahidine interpellés initialement demeuraient en garde à vue ce jeudi matin. Un geste attribué par le directeur de la DST au caractère fanatique des militants et au culte qu’ils vouent à Maryam Radjavi, l’épouse du chef des Moudjahidine Massoud Radjavi, interpellée lors de l’opération et toujours interrogée par la police. Mercredi soir, la rumeur du décès de l’une des victimes avait circulé, mais l’information était démentie un peu plus tard. Reste que deux personnes luttaient toujours contre la mort, mercredi matin.

Face à cette situation, autre fait inhabituel dans le cadre d’une garde à vue, la police a autorisé Maryam Radjavi à transmettre un message à ses partisans : «Je vous aime et vous demande d’arrêter de vous immoler (…) cela m’inquiète et cela me choque de savoir que certains d’entre vous sont allés jusqu’à s’immoler, s’il vous plait, arrêtez», déclare le texte lu par la sœur de l’épouse de l’opposant iranien. Toutefois Maryam Radjavi demande à ses compatriotes de «continuer la manifestation pacifique jusqu’à ce que vous atteignez votre but». Quant aux militants gardés à vue, un communiqué de leur organisation indique qu’ils ont entamé une grève de la faim illimitée pour protester contre leur arrestation.

Devant la tournure prise par le mouvement, le préfet de police de Paris a décidé d’interdire «jusqu’à nouvel ordre» tout rassemblement de l’organisation des Moudjahidine du peuple. Le préfet annonce que les forces de l’ordre ont reçu des consignes de fermeté pour procéder à l’interpellation immédiate des contrevenants. Dés mercredi soir, une Iranienne a été arrêtée en possession d’une bouteille d’essence prés du siège de la DST «alors qu’elle s’apprêtait à s’immoler», annonce la police.

À Auvers-sur-Oise, en banlieue parisienne où est établi le principal foyer français des Moudjahidine iranien, les militants ont passé une deuxième nuit à la belle étoile, devant le site investi et toujours bouclé par les forces de l’ordre. Selon un porte-parole, «le ministère de l’Intérieur (…) a promis d’ouvrir la porte de nos maisons jeudi matin et de libérer Maryam Radjavi vendredi». «On va attendre pour voir si les promesses vont être tenues», annonce Behzad Naziri. En attendant, on s’organise : distribution de sandwichs et de bouteilles d’eau, des voisins apportent du café, ouvrent leurs toilettes aux expulsés, rendent services. Ces derniers ne manifestent pas d’inquiétude particulière et la partie de football du mercredi après-midi a pu avoir lieu normalement sur le terrain situé juste en face du site.

Parmi les réactions, des associations de défense des droits de l’homme «s’étonnent des conditions dans lesquelles plus de cent cinquante personnes ont été arrêtées». «Quelle que soit l’appréciation que l’on porte sur cette organisation, il convient de constater qu’elle est établie en France et en Europe depuis plusieurs années sans que les autorités publiques n’y aient trouvé à redire», écrivent dans un communiqué conjoint la Fédération des ligues des droits de l’homme (FIDH), la Ligue des droits de l’homme (LDH) et France-Libertés.

Rien de nouveau depuis vingt ans

Sur place, à Auvers-sur-Oise, c’est l’incompréhension qui domine. Le maire de la petite commune du Val d’Oise, mieux connue pour avoir été la résidence du peintre impressionniste Vincent Van Gogh que pour avoir accueilli un éventuel centre du terrorisme international, semble sceptique sur le caractère dangereux de ses administrés. «Pourquoi ont-ils été protégés pendant vingt ans si ce sont des terroristes ?», s’interroge une voisine. Car, en effet, les Moudjahidine du peuple bénéficiaient de la protection de la gendarmerie nationale. A part ça, des réfugiés ordinaires dont certains implantés de longue date dans le village, et disposant de passeports français, puisque leur installation locale remonte à 1981.

Les observateurs les mieux informés de la politique iranienne semblent troublés par ce coup d’éclat de la police française. L’ancien président Abolhassan Bani Sadr, en exil en France depuis 1981, partage l’opinion des autorités françaises selon laquelle «les Moudjahidine, après leur désorganisation en Irak, ont fait de la France leur poste de commandement mondial». Mais, pour autant, rien d’autre ne justifie cette opération que d’essayer «d’utiliser une organisation moribonde comme monnaie d’échange à l’égard des mollahs» car, selon lui, ce mouvement «est fini en tant qu’organisation militaire». Pour le directeur de la rédaction de la revue les Cahiers de l’Orient, «soit c’est un coup de main des Français aux Américains, qui négocient avec les Moudjahidine du peuple en Irak et qui peuvent ainsi dire : ‘vous n’avez plus de base arrière en France, vous n’avez donc qu’une solution, négocier avec nous’. Soit c’est au contraire un coup de pouce de Paris au gouvernement iranien, aux prises avec la contestation, et qui pourrait avoir demandé à la France d’accélérer les enquêtes sur les Moudjahidine, sur les attentats commis à l’intérieur de l’Iran et revendiqués par eux». Quant à la thèse soutenue par le ministre de l’Intérieur selon laquelle ils voulaient installer leur base arrière en France, Antoine Sfeir estime qu’il n’y a là rien de nouveau depuis vingt ans.

Geste politique envers Washington qui, malgré ses relations ambiguës avec les Moudjahidine les a couchés sur la liste des organisations terroristes ? Envers Téhéran, qui a d’excellentes raisons de se féliciter du coup porté à son pire ennemi intérieur par le «fameux juge antiterroriste Bruguière», comme l’écrit le journal réformateur iranien Yas-e-No ? Les deux capitales envoient en tout cas des signaux de satisfaction, au lendemain de l’opération. Téhéran tente même de pousser sont avantage en réclamant leur extradition pour «qu'ils soient jugés là où ils ont commis leurs crimes», a déclaré mercredi à Téhéran le président Mohammad Khatami. Et il a demandé aux Etats-Unis de prendre exemple sur la France car, a-t-il dit, «malheureusement l'attitude des Américains à l'égard de ce groupe en Irak est suspecte et nous laisse soupçonner, malgré leurs affirmations, qu'ils peuvent l'utiliser contre nous».

Citant des sources judiciaires françaises, l’agence Reuters précise que ni armes, ni faux-papiers n’ont été retrouvés sur les lieux des sites perquisitionnés mardi.



par Georges  Abou

Article publié le 19/06/2003