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Francophonie

L’avenir du français passe par l’Afrique

Avec plus de 170 millions de locuteurs sur les cinq continents, le français devrait sans ambiguïté être considéré comme une langue mondiale. Et pourtant, face à la progression continue de l’anglais il a bien du mal à conserver ce statut. A tel point que certains en viennent à se demander si à terme, le français n’est pas destiné à devenir un «dialecte régional».
Sous la provocation, il y a les faits. Le passe-partout international est sans conteste l’anglo-américain. D’un bout du monde à l’autre, on parle anglais bien plus que l’on utilise le français. Au-delà de cette évidence que plus personne ne remet en cause, il n’en demeure pas moins que le français reste une langue à vocation internationale employée dans toutes les régions et sur tous les continents. Le problème est aujourd’hui de savoir si elle aura les moyens de le rester.

La bataille de la science est désormais quasiment perdue. Durant les trois dernières années, sur les quelque deux millions d’articles publiés dans le domaine des sciences exactes, seuls 25 000 l’ont été en français. Autant dire qu’aucune communication de premier plan n’est plus faite désormais dans la langue de Molière, comme l’a expliqué Jean-Didier Vincent, le président du Conseil français des Programmes de l’Education nationale, lors d’un colloque organisé à Paris par Radio France, sur le thème du français «dialecte régional ou langue mondiale». Dans les organisations internationales, la situation n’est pas plus florissante. Les traductions en français des documents de travail ne sont pas toujours immédiates, loin s’en faut. Et lors des discussions et des interventions, l’utilisation du français n’est plus qu’anecdotique. Quant aux échanges économiques et commerciaux, ils se font depuis longtemps presque exclusivement en anglais.

«Le français n’est pas une langue de colonisateur»

Il ne faut malgré tout pas tirer des conclusions trop pessimistes de cet état de lieux. Le français a des ressources même si comme l’a dit Abdou Diouf, le nouveau secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie, il y a «beaucoup à faire». L’un des principaux atouts de la langue française réside dans son implantation géographique. Alors que le chinois n’est parlé qu’en Chine, l’hindi en Inde, l’arabe dans une zone géographique concentrée (Maghreb, Moyen-Orient), l’espagnol en Espagne et en Amérique latine, le français est plus «dispersé». Et de ce fait plus, il est plus «international». D’autre part, il dispose d’un ensemble d’instruments qui aident sa diffusion. Le réseau des Alliances françaises, des centres culturels, la Fédération internationale des professeurs de français et ses 900 000 membres, participent à entretenir la vitalité d’une langue qui est enseigné dans tous les pays. Tout comme l’Organisation internationale de la Francophonie qui est pour Bernard Cerquiglini, le délégué général à la langue française, «la première alliance politique internationale fondée sur la langue».

Ce qui manque au français, c’est par contre l’affirmation d’une véritable volonté politique indispensable pour conserver une place de choix sur la scène linguistique mondiale. Le français est une langue qui n’a pas les moyens de ses ambitions. Du point de vue d’un Québécois, Sylvain Lafrance, le vice-président de Radio Canada, le plus grand frein au développement de la francophonie vient du fait que «les Français n’ont jamais senti la menace de l’anglo-américain sur les identités».

L’un des signes de ce manque de combativité est perceptible au sein des institutions européennes où le français ne cesse de céder du terrain. Une partie de l’avenir du français en tant que langue internationale se joue donc en Europe. L’étape de l’ouverture de l’Union à dix nouveaux pays est de ce point de vue fondamentale. Pour Bernard Cerquiglini : «Si nous perdons dans l’Union européenne, nous perdrons pour la terre entière». Pierre-André Wiltzer, le ministre français délégué à la Coopération et la Francophonie, partage ce point de vue et estime que «le plus difficile combat» de la francophonie est celui de l’Europe.

Par contre, c’est en Afrique que le français peut trouver le nouveau souffle qui lui permettra, dans les décennies à venir, de rester démographiquement concurrent. Pierre-André Wiltzer a ainsi déclaré que «le continent africain est une ressource considérable pour la francophonie» parce qu’il bénéficie d’une «vitalité démographique très importante». L’Afrique demeure en effet le plus grand bassin de locuteurs de français. Le passé colonial y est pour quelque chose mais pour Ahmadou Kourouma, grand écrivain ivoirien, «le français n’est pas [en Afrique] une langue provisoire, une langue de colonisateur. Il est appelé à avoir un rôle très important».

Si tant est qu’on aide les pays du continent à faire face à la grave crise du système éducatif qui les frappe et qu’on offre aux enfants des pays francophones l’accès à l’éducation de base en français. Dans le même temps, il faut être conscient que le français vit plusieurs vies dans le sens où il évolue sur chaque continent et dans chaque pays de manière différente. Le français de France, de Belgique ou d’Afrique n’est pas le même. Ce phénomène de «dialectisation» qui frappe aussi l’anglais, n’est pas forcément un handicap. Ahmadou Kourouma estime même qu’il doit être accentué. «Je pense qu’il faut adapter le français à la culture africaine».



par Valérie  Gas

Article publié le 15/06/2003