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Congo démocratique

«<i>Les enfants sont de bons guerriers</i>»

Positionné à l’un des ronds points de Bunia, un militaire français du Commandement des opérations spéciales (COS) contemple les rues désertes. Son ordre : «interdire toute arme visible» dans cette localité martyr du Nord Est de la République Démocratique du Congo.
De notre envoyé spécial à Bunia

Depuis le départ de l’armée ougandaise mai dernier, Bunia est tombée aux mains des milices Héma de l’Union des Patriotes Congolais (UPC), une armée d’enfants, les plus jeunes n’ayant que sept ans. Thomas Lubanga, le chef de cette milice tribale, est conscient de l’interdit qui pèse aux yeux de la communauté internationale sur l’enrôlement des enfants. Il s’est souvent engagé à démobiliser ses enfants soldats. En réalité, ces enfants ont été délesté de leurs papiers d’identité et ont reçu l’ordre de ne pas donner leur vrai age. Ils racontent toujours la même histoire aux étrangers qui les interroge. Ainsi de Rémy, un jeune adolescent élancé, qui garde l’entrée de la résidence de Thomas Lubanga en tenant une lance dans sa main gauche et une Kalachnikov dans sa main droite.

«Mon village a été attaqué par les Lendu (une tribu rivale). Ils ont massacré mes parents, mes frères mes sœurs à coups de machette et m’ont laissé pour mort. Je n’ai plus personne au monde. Ma famille c’est désormais l’Union des Patriotes Congolais», déclare-t-il, droit comme un «i». L’UPC, ce mouvement tribal Héma-Gerere, a exigé que toutes les familles de la tribu participent à la guerre qu’il mène pour le contrôle des richesses de l’Ituri avec le soutien du Rwanda. Chacune doit ainsi, sous peine de sanctions, donner au mouvement une vache –les Héma sont avant tout des éleveurs–, sinon son équivalent en argent ou un enfant.

L’UPC, dans tous ses excès, n’est pas un cas à part. C’est devenu une constante dans la région des grands lacs depuis la guerre civile rwandaise, au début des années 1990 : plus on se rapproche de la ligne de front ou des chefs militaires, plus les soldats sont jeunes.

Le Rwanda est le plus impliqué dans le recrutement forcé des enfants pour le compte du RCD-Goma, son principal mouvement armé en République Démocratique du Congo. Le RCD -Goma a ainsi été accusé à plusieurs reprises par l’organisation des Droits de l’Homme basée à New York, Human Rights Watch, d’enlever des enfants congolais à la sortie des écoles pour les amener dans des camps d’entraînement mis en place par le Rwanda dans l’Est du Congo Démocratique.

Le Burundi et l’Ouganda ne sont pas en reste. Certains gardes du corps de Salim Saleh, le petit frère du président ougandais Yoweri Museveni, ont des voix qui n’ont pas encore mué. Ils portent pourtant l’uniforme de la Police militaire ougandaise. Le terme même d’»enfants» est devenu synonyme de «guerriers» dans la région des Grands Lacs. Ainsi Thomas Lubanga dit-il «mes enfants» en parlant de ses miliciens. «Quand ils attaquent nos villages, ils tuent tout le monde, sans faire la distinction entre les enfants et les adultes. Il s’agit donc pour tout le monde de se défendre», explique-t-il.

Ils se croient immortels
La notion de légitime défense n’explique pas cependant l’effrayante dimension qu’a atteint le phénomène des enfants soldats. L’Organisation des Nations Unies pour l’Enfance (Unicef) estime à plus de 300 000 les enfants soldats dans le monde. Plus des deux tiers sont sur le seul continent africain, essentiellement dans la région des Grands lacs (Ouganda, République Démocratique du Congo, Soudan, Burundi).

Si dans les années 80 la principale image donnée à l’occident du continent africain était celle d’un enfant affamé. Désormais, l’image la plus répandue est bien celle d’un enfant recouvert de cartouches dorées qui brandit une kalachnikov. Ces deux stéréotypes tendent d’ailleurs à se confondre en un seul : Celui d’un enfant qui ne va pas à l’école, un enfant en arme, victime et acteur de la misère de tout un continent.

«Les enfants sont de bons guerriers. Ils sont disciplinés et ils n’ont pas peur de mourir», remarque un cadre de l’UPC. L’on se demande en effet si ces enfants imaginent qu’ils puissent mourir quand on les voit se tenir debout au milieu des balles à tirer rageusement sur des ennemis tout proches ? Gavés d’alcool et de marijuana, battus, humiliés, convaincus par leurs chefs et bourreaux qu’ils sont protégés par les esprits, ils se croient probablement immortels ou déjà morts. Ils sont d’ailleurs les premiers à mourir car se sont toujours les plus jeunes qui sont envoyés en première ligne. Les plus âgés sont à l’arrière ou ont déjà déserté.



par Gabriel  Kahn

Article publié le 25/06/2003