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Mexique

Un tortionnaire argentin extradé vers l’Espagne

Après une session de deux heures, et des mois d’instruction, le Tribunal supérieur de justice a accepté d’extrader en Espagne Miguel Cavallo où il est réclamé par le juge de l’Audience nationale espagnole, Baltasar Garzón, pour torture, assassinats, vol d’enfants nés en captivité et crimes contre l’humanité durant la dictature militaire d’Argentine (1976-1983).
De notre correspondant à Mexico

En 1999, Ricardo Miguel Cavallo arrive au Mexique. Il est nommé directeur du Registre national de véhicules (Renave). Homme d’affaires, il a été choisi par le gouvernement d’Ernesto Zedillo, pour mettre en place, à travers sa société Talsud, un système informatique d’enregistrement des automobiles, avec dossiers complets de leurs propriétaires. Cette société internationale avait établi les mêmes registres dans plusieurs pays d’Amérique centrale où son action avait été fortement contesté.
Reforma, un journal mexicain à grand tirage, irrité de voir que le gouvernement allait confier un tel registre confidentiel à une société étrangère douteuse, fouilla dans le passé de Cavallo, découvrant que derrière cet homme d’affaires, se cachait un tortionnaire de la dictature argentine. Sa photo diffusée dans tout le Mexique et à l’étranger permit de l’identifier. Lorsqu’il a été détenu en août 2000 à l’aéroport de Cancun, il était en fuite pour Buenos Aires. En novembre 1999, le juge Garzón avait en effet lancé contre lui un mandat d’arrêt international.

Cavallo, alias el Serpico, alias Miguel ou Ricardo, a participé à de nombreux enlèvements, tortures, assassinats dans la funeste Esma, l’Ecole de mécanique de l’armée de Buenos-Aires, l’un des 64 centres de détention et de torture. Cavallo avait alors 25 ans, il n’était qu’un simple marin au service de l’appareil répressif; en quelques années de services spéciaux, il est parvenu au grade de capitaine de corvette. Il est même fortement soupçonné de s’être enrichi en enlevant et en assassinant de riches argentins, les faisant passer pour de dangereux éléments subversifs, pour leur voler leurs biens. Les survivants de ce génocide qui a fait plus de 30 000 morts et qui sont passés dans les locaux de l’Esma, se rappellent un homme d’une cruauté froide qui torturait des enfants sous les yeux de leurs parents, assassinait les détenus devant leurs familiers, ordonnant qu’on leur ouvre le ventre pour en sortir les tripes, d’autres étant jetés vivants depuis des hélicoptères dans la mer…

Sentence historique

En 2001, le ministère des Affaires étrangères mexicain avait tenté d’extrader une première fois Miguel Cavallo en Espagne mais les avocats de l’Argentin étaient parvenu à faire appel en argumentant que les délits de torture étaient prescrits. Sur le point d’être libéré et blanchi, ce qui fit hurler les victimes ou leurs parents, le ministère mexicain fit appel à son tour, ce qui a permis à la Cour suprême de justice de rouvrir le dossier en mars dernier et de se prononcer sur le fond.
La décision ne fut pas facile à prendre car la pression nationale et internationale pouvait influencer les juges et nuire au strict respect du droit et de la constitution. Pour éviter tout amalgame, la cour a choisi de voter point par point. Pour le délit de génocide, elle s’est prononcée par 6 voix en faveur de l’extradition, 4 contre, pour le terrorisme 10 à faveur pour une contre, et pour le délit de torture, il y a eu unanimité pour considérer qu’il était prescrit. Miguel Cavallo sera donc extradé en Espagne dans les deux mois dès que le ministère des Affaires étrangères en aura réglé les modalités avec la chancellerie espagnole, mais il ne pourra être jugé exclusivement que pour génocide et terrorisme.

Même si le délit de torture a été exclu, cette extradition est un véritable fait historique. C’est la première fois que des crimes contre l’humanité commis dans un pays pourront être jugés dans un autre. Ainsi les frontières ne pourront plus être utilisées comme des barrières d’impunité. En effet, si la cour mexicaine avait décidé d’extrader Cavallo vers l’Argentine, il aurait pu échapper à la justice car les délits de génocide et de torture ont été amnistiés, dans ce pays, par une loi de réconciliation nationale, dite de point final.
Ricardo Cavallo est le second argentin détenu à l’étranger pour violation des droits de l’homme. Détenu à Rome, il y a trois ans, l’adjudant à la retraite, Jorge Olivera, avait été remis en liberté pour erreur de procédure. On se souvient également que le juge Baltasar Garzón avait tenté de faire extrader Augustin Pinochet qui s’était rendu en Angleterre pour subir une opération chirurgicale. Les autorités anglaises après avoir longtemps pesé le pour et le contre, avait finalement choisi de ne pas coopérer avec l’Audience Espagnole, renvoyant le dictateur chilien dans son pays. C’est donc avec fierté et satisfaction que les Mexicains qui, pourtant, ont souvent des doutes sur leur justice, ont accueilli ce verdict qui fera certainement jurisprudence.



Article publié le 16/06/2003