Maroc
Les homosexuels entre résignation et optimisme
En France, la traditionnelle «Gay Pride», la marche des fiertés homosexuelles, a réuni plus de 500.000 personnes samedi 28 juin. Une marche qui dénonçait cette année «l'homophobie», c'est-à-dire les discriminations dont sont l'objet les hommes et les femmes homosexuels. Comment vit-on cette différence dans un pays musulman comme le Maroc?
De notre envoyé spécial à Casablanca.
Comme dans tous les pays de tradition musulmane, l'homosexualité est sévèrement condamnée au Maroc. Du moins officiellement. La législation prévoit six mois à trois ans d'emprisonnement pour toute personne convaincue de «déviance sexuelle», comme on dit ici.
Khalid, un fonctionnaire de 45 ans, se définit comme un «homo de chair de sang et d'esprit». Issu d'une famille modeste qui vit en milieu rural près de la ville d'Oujda, à la frontière avec l'Algérie, il raconte l'impossibilité d'exprimer et de vivre sa différence dans un tel contexte: «Dans une famille comme la mienne, avoir un enfant homosexuel, c'est la honte absolue».
A 19 ans, Khalid décide donc de partir pour la France. A Paris, au début des années 80, il découvre une autre façon de parler de l'homosexualité et de la vivre surtout. «C'était le début de la libération homo chez vous». Premières rencontres, première histoire d'amour avec un Français plus âgé. Puis l'installation à Marseille. Et les contacts dans une association, avec d'autres «gays» maghrébins. «Une véritable révélation pour moi. Au Maroc, la chape de plomb était si pesante que je pensais être le seul dans mon cas. Là, j'ai vu qu'on pouvait être arabe et homosexuel. J'étais prêt à rentrer au pays».
Mais pas n'importe où. Khalid décide d'aller vivre à Casablanca, «dans une grande ville, loin de ma famille». Aujourd'hui, il vit dans un quartier populaire de la métropole: «Pour s'en sortir, il faut savoir se faire respecter. Ne pas provoquer, mais ne pas cacher non plus son homosexualité. Quand je croise les jeunes du quartier en bande, j'entends les commentaires pas très fins sur moi. Je dis bonjour et je passe mon chemin en ayant l'air de n'avoir rien entendu. Et ces jeunes, si je les croise et qu'ils sont seuls, tout change: ils sont très polis avec moi, très gentils. Certains me font même comprendre qu'ils aimeraient bien une petite aventure...».
Dans un café discret du centre-ville, Hakim, trente ans, explique que «dans la culture arabe, l'homosexuel n'est pas défini comme tel. Ce qui est répréhensible, c'est qu'un homme adopte le comportement d'une femme, en clair qu'il soit passif... Il n'y a donc pas d'identité sexuelle aussi déterminée que dans votre culture, entre les homos, les bisexuels, les hétéros. Ca ne se passe pas comme ça chez nous. Les gens ont avant tout des pratiques sexuelles. Des hommes couchent avec d'autres hommes voilà tout. Ca ne veut pas dire qu'ils vont se penser homosexuels. Souvent, les rapports d'argent entre un homme mûr et un jeune permettent de vivre le rapport sans trop culpabiliser. Ces rapports monnayés sont encore très fréquents, y compris entre Marocains, pas seulement avec des étrangers...».
«Tout le temps sur ses gardes»
Originaire de «Casa», Hakim s'estime plutôt bien loti. Dans la plus grande ville marocaine - 4 millions d'habitants-, la plus développée économiquement, la plus occidentalisée aussi, il est possible de vivre son homosexualité... A condition de rester très discret. «Il n'y a pas de lieu de rencontre pour les gays, et encore moins pour les lesbiennes comme on peut en trouver aux États-Unis ou en France. Mais nous savons très bien où nous retrouver, dans certains restaurants, bars, boîtes, sur le bord de mer...Tout est dans l'ambiguïté, le non-dit... Et puis, il y aussi les parcs publics, certains boulevards, qui deviennent des lieux de drague à la nuit tombée...».
Des lieux qui ne sont pas exempt de tout danger... de la part de la police: «Il faut tout le temps être sur ses gardes, raconte Khalid. Régulièrement, les flics font des rafles, surtout quand il s'agit de ‘nettoyer’ la ville lors d'un congrès ou de la venue à Casa d'une personnalité importante. Sans parler du harcèlement très fréquent. On s'en sort souvent avec beaucoup de sang-froid et un petit backshish...».
«Au Maroc, explique Hakim, tout est officiellement interdit concernant l'homosexualité. Mais en fait, tout est possible. Il faut être vigilant, c'est tout. Et puis, les choses commencent à bouger dans la jeune génération. Certains jeunes de 20 ans osent s'afficher ouvertement...».
Voilà pourquoi ni Khalid, ni Hakim n'envisagent de quitter leur pays: «J'ai vécu plusieurs années en France. Je ne retournerai pas là-bas pour vivre mon homosexualité, comme le font beaucoup de jeunes. Je connais les deux pays. Bien sûr, être homo au Maroc, c'est plus compliqué à gérer, plus difficile à vivre, notamment pour avoir une relation stable et visible. Mais je sais aussi que je vis dans un des pays arabo-musulmans les plus tolérants vis-à-vis de l'homosexualité. En fait, c'est une longue tradition chez nous. Chez vous, les choses sont plus avancées. Mais tout n'est pas rose non plus pour les gays français». Dans un sourire, Hakim ajoute: «Le thème de la Gay Pride à Paris cette année, c'était bien l'homophobie, non ?».
A écouter :
L'homosexualité au Maroc, un reportage de Bruno Daroux (30/06/2003).
Comme dans tous les pays de tradition musulmane, l'homosexualité est sévèrement condamnée au Maroc. Du moins officiellement. La législation prévoit six mois à trois ans d'emprisonnement pour toute personne convaincue de «déviance sexuelle», comme on dit ici.
Khalid, un fonctionnaire de 45 ans, se définit comme un «homo de chair de sang et d'esprit». Issu d'une famille modeste qui vit en milieu rural près de la ville d'Oujda, à la frontière avec l'Algérie, il raconte l'impossibilité d'exprimer et de vivre sa différence dans un tel contexte: «Dans une famille comme la mienne, avoir un enfant homosexuel, c'est la honte absolue».
A 19 ans, Khalid décide donc de partir pour la France. A Paris, au début des années 80, il découvre une autre façon de parler de l'homosexualité et de la vivre surtout. «C'était le début de la libération homo chez vous». Premières rencontres, première histoire d'amour avec un Français plus âgé. Puis l'installation à Marseille. Et les contacts dans une association, avec d'autres «gays» maghrébins. «Une véritable révélation pour moi. Au Maroc, la chape de plomb était si pesante que je pensais être le seul dans mon cas. Là, j'ai vu qu'on pouvait être arabe et homosexuel. J'étais prêt à rentrer au pays».
Mais pas n'importe où. Khalid décide d'aller vivre à Casablanca, «dans une grande ville, loin de ma famille». Aujourd'hui, il vit dans un quartier populaire de la métropole: «Pour s'en sortir, il faut savoir se faire respecter. Ne pas provoquer, mais ne pas cacher non plus son homosexualité. Quand je croise les jeunes du quartier en bande, j'entends les commentaires pas très fins sur moi. Je dis bonjour et je passe mon chemin en ayant l'air de n'avoir rien entendu. Et ces jeunes, si je les croise et qu'ils sont seuls, tout change: ils sont très polis avec moi, très gentils. Certains me font même comprendre qu'ils aimeraient bien une petite aventure...».
Dans un café discret du centre-ville, Hakim, trente ans, explique que «dans la culture arabe, l'homosexuel n'est pas défini comme tel. Ce qui est répréhensible, c'est qu'un homme adopte le comportement d'une femme, en clair qu'il soit passif... Il n'y a donc pas d'identité sexuelle aussi déterminée que dans votre culture, entre les homos, les bisexuels, les hétéros. Ca ne se passe pas comme ça chez nous. Les gens ont avant tout des pratiques sexuelles. Des hommes couchent avec d'autres hommes voilà tout. Ca ne veut pas dire qu'ils vont se penser homosexuels. Souvent, les rapports d'argent entre un homme mûr et un jeune permettent de vivre le rapport sans trop culpabiliser. Ces rapports monnayés sont encore très fréquents, y compris entre Marocains, pas seulement avec des étrangers...».
«Tout le temps sur ses gardes»
Originaire de «Casa», Hakim s'estime plutôt bien loti. Dans la plus grande ville marocaine - 4 millions d'habitants-, la plus développée économiquement, la plus occidentalisée aussi, il est possible de vivre son homosexualité... A condition de rester très discret. «Il n'y a pas de lieu de rencontre pour les gays, et encore moins pour les lesbiennes comme on peut en trouver aux États-Unis ou en France. Mais nous savons très bien où nous retrouver, dans certains restaurants, bars, boîtes, sur le bord de mer...Tout est dans l'ambiguïté, le non-dit... Et puis, il y aussi les parcs publics, certains boulevards, qui deviennent des lieux de drague à la nuit tombée...».
Des lieux qui ne sont pas exempt de tout danger... de la part de la police: «Il faut tout le temps être sur ses gardes, raconte Khalid. Régulièrement, les flics font des rafles, surtout quand il s'agit de ‘nettoyer’ la ville lors d'un congrès ou de la venue à Casa d'une personnalité importante. Sans parler du harcèlement très fréquent. On s'en sort souvent avec beaucoup de sang-froid et un petit backshish...».
«Au Maroc, explique Hakim, tout est officiellement interdit concernant l'homosexualité. Mais en fait, tout est possible. Il faut être vigilant, c'est tout. Et puis, les choses commencent à bouger dans la jeune génération. Certains jeunes de 20 ans osent s'afficher ouvertement...».
Voilà pourquoi ni Khalid, ni Hakim n'envisagent de quitter leur pays: «J'ai vécu plusieurs années en France. Je ne retournerai pas là-bas pour vivre mon homosexualité, comme le font beaucoup de jeunes. Je connais les deux pays. Bien sûr, être homo au Maroc, c'est plus compliqué à gérer, plus difficile à vivre, notamment pour avoir une relation stable et visible. Mais je sais aussi que je vis dans un des pays arabo-musulmans les plus tolérants vis-à-vis de l'homosexualité. En fait, c'est une longue tradition chez nous. Chez vous, les choses sont plus avancées. Mais tout n'est pas rose non plus pour les gays français». Dans un sourire, Hakim ajoute: «Le thème de la Gay Pride à Paris cette année, c'était bien l'homophobie, non ?».
A écouter :
L'homosexualité au Maroc, un reportage de Bruno Daroux (30/06/2003).
par Bruno Daroux
Article publié le 30/06/2003