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Algérie

Abassi Madani et Ali Benhadj : retour en politique ?

Les autorités algériennes n’auront fait preuve d’aucune clémence. Le numéro 2 du Front islamique du salut, le très radical Ali Benhadj, condamné en juillet 1991 à douze ans de prison, aura purgé sa peine jusqu’au dernier jour. Quant au vieux leader, Abassi Madani, condamné à la même peine mais libéré en 1997 avant d’être assigné à résidence, il aura attendu six longues années le droit de quitter le petit deux pièces dans lequel il a vécu sans être autorisé à communiquer avec l’extérieur. Les deux hommes qui, en 1991, avaient fait vaciller le pouvoir, sont donc aujourd’hui libres de leurs mouvements. Mais leur isolement, loin d’avoir brisé leur engagement, semble au contraire avoir galvanisé leur détermination. Avant même la levée de son assignation à résidence, Abassi Madani a en effet appelé ses partisans à manifester leur soutien lors de la grande prière de vendredi. Un appel qui sonne comme un défi au pouvoir algérien.
L’histoire du mouvement islamiste algérien est indissociable de ces deux dirigeants du Front islamique du salut, Abassi Madani et Ali Benhadj. Ces deux hommes à la personnalité pourtant radicalement opposée ont réussi à former un tandem qui, depuis la création de leur mouvement en mars 1989 à leur arrestation en juin 1991, aura admirablement fonctionné au point de mettre sérieusement en danger le pouvoir des militaires. Si Abassi Madani, aujourd’hui âgé de 76 ans et à la santé chancelante, était le plus politique des deux, chargé notamment de vendre les idées de son parti à coup d’interviews tantôt radicales tantôt modérées, son coreligionnaire Ali Benhadj, de trente ans son cadet, avait pour mission de mobiliser les foules qui chaque vendredi écoutaient avec dévotion ses prêches enflammés prononcés dans ses deux fiefs algérois, les mosquées Ibn Badis de Kouba et al Sunna de Bab-el-Oued.

Les sanglantes émeutes d’octobre 1988, qui seront suivies de l’instauration du multipartisme en Algérie, vont réunir ces deux hommes aux parcours, aux tempéraments et aux physiques différents. Barbe rousse, œil pétillant, tout en rondeur, Abassi Madani était professeur de psychopédagogie à l’université d’Alger avant de s’engager et de prendre la tête de l’islam politique dans son pays. Né en 1933 à Sidi Okba dans le sud-est algérien, cet enseignant qui a parfait sa formation dans une université londonienne et qui se flatte d’avoir «lu Marx en arabe, en anglais et en français», n’est ni un bon théologien, ni un bon orateur. Mais sa capacité de travail, son flair politique –il a commencé son parcours dans les rangs du Front de libération national– et sa maîtrise de soi lui permettent de s’imposer, dès sa création, à la tête du Front islamique du salut.

Sec, le regard fiévreux voire illuminé, un visage taillé au couteau, l’imam Ali Benhadj est quant à lui né en Tunisie dans une famille originaire de la région de Béchar dans le sud-ouest algérien. Au début des années 80, ce jeune professeur des collèges découvre les prêches contestataires et s’engage dans un groupuscule clandestin. Il n’est encore qu’un militant de base lorsqu’il est arrêté et condamné à cinq ans de prison. A sa libération, auréolé de son nouveau statut de martyr, il prêche à son tour dans les mosquées attirant par milliers des jeunes exclus avides de l’entendre vouer aux gémonies «le socialisme, le communisme, la démocratie et la dictature, ces fientes parmi les immondices de l’esprit humain». Lors des émeutes d’octobre 1988, il organise une manifestation qui se termine dans un bain de sang et devient à 32 ans le plus charismatique des leaders islamistes algériens. C’est donc tout naturellement que lui échoit le poste de numéro 2 au sein du Front islamique du salut.

Retour à la case départ ?

Vingt-six ans de parti unique et une crise sociale sans précédent vont pousser les Algériens dans les bras du FIS. Lors des élections locales de juin 1990, le mouvement de Abassi Madani et d’Ali Benhadj enlève ainsi la plupart des municipalités et des assemblées départementales. Six mois avant les législatives de décembre 1991, le pays est au bord du chaos et les deux hommes qui dénoncent le nouveau découpage électoral organisent grèves et manifestations à travers le pays. Arrêtés après cinq semaines de marches contre le pouvoir réprimées dans le sang, ils sont mis au secret avant d’être condamnés par le tribunal militaire de Blida à 12 ans de réclusion criminelle pour «complot armé contre la sûreté de l’Etat». C’est donc de prison qu’ils assisteront à la seconde victoire de leur parti qui remportera le premier tour des législatives du 26 décembre. Cette nouvelle victoire ne sera toutefois que de courte durée puisque dès le 11 janvier, l’armée «démissionne» le président Chadli Bendjedid et annule le premier scrutin pluraliste libre de l’Algérie indépendante. L’état d’urgence est proclamé, des milliers de militants islamistes sont arrêtés et le pays sombre dans une décennie de violence qui coûtera la vie à 200 000 personnes.

Aujourd’hui, après douze d’isolement, les deux chefs historiques du FIS sont de nouveau libres de leurs mouvements. Abassi Madani, qui a bénéficié d’une remise de peine en juillet 1997, n’a passé que 45 jours en liberté avant d’être assigné à résidence après avoir accordé une interview à un journaliste étranger. Cloîtré dans son petit deux pièces de Belcourt à Alger, il n’a reçu pour seule visite pendant six ans que celle des quelques membres proches de sa famille. Il lui était interdit de communiquer avec l’extérieur et de consulter un médecin de son choix. Le sort d’Ali Benhadj a été beaucoup moins enviable. Détenu dans différentes prisons civiles et militaires, soumis à un isolement draconien et à des conditions de détentions particulièrement difficiles –il aurait fait l’objet de brutalités physiques à de nombreuses reprises, selon un rapport de la Commission des droits des Nations unies–, le prédicateur a purgé sa peine jusqu’au dernier jour.

L’élargissement des deux hommes intervient dans un contexte explosif puisque jamais le désespoir n’a été aussi grand en Algérie. Le dossier kabyle, la crise sociale ou encore les récents tremblements de terre qui ont jeté à la rue des milliers d’Algériens n’ont fait que creuser le gouffre entre les dirigeants et leur population. En libérant les deux hommes, les autorités ont annoncé qu’ils étaient interdits d’activités politiques. Une interdiction qui risque bien de n’avoir aucun effet tant l’isolement semble avoir radicalisé les positions des deux hommes.

Ecouter également

Le rendez-vous de la rédaction, 02/07/2003
Laurent Chaffard

Ecoutez Rachid Mesli, l'avocat de Abassi Madani (Christophe Boisbouvier, 03/07/2003, 5'37")



par Mounia  Daoudi

Article publié le 02/07/2003