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Iran

Les klaxons de protestation remplacent les slogans

Malgré toutes les mesures préventives, notamment le déploiement de deux à trois mille policiers et de membres des forces anti-émeutes, et l’interdiction de tout rassemblement le 9 juillet, des dizaines de milliers de Téhéranais sont descendus dans la rue pour converger en voiture vers le quartier de l’université de Téhéran, dans le centre de la capitale.
Depuis le mouvement de protestation qui a débuté le 10 juin et a duré environ une dizaine de jours, les Téhéranais semblent avoir inventé une nouvelle forme de protestation. En famille ou en groupe d’amis, ils descendent le soir en voiture ou en moto vers le quartier de l’université. Les concerts de klaxons remplacent les slogans politiques. Mercredi soir, jour anniversaire des manifestations étudiantes de juillet 1999, devenu un symbole, des milliers de voitures ont convergé vers la place Enghelab (Révolution), située à une centaine de mètres de l'université de Téhéran, créant un embouteillage sur l'avenue qui borde l'institution.

Le 9 juillet 1999, une petite manifestation nocturne de 200 étudiants devant l'entrée du campus de Téhéran avait provoqué l'intervention de la police et d'extrémistes islamistes. Un étudiant avait été tué et des centaines d'autres avaient été blessés ou arrêtés dans des affrontements avec la police. Depuis, chaque année, le 9 juillet est le théâtre de manifestation. Cette année, le pouvoir avait interdit toute manifestation à l’intérieur et à l’extérieur des universités. Le campus universitaire d’Amir Abad, où vivent normalement 8 000 étudiants ainsi que la plupart des dortoirs universitaires de la capitale avaient été évacués depuis plusieurs jours afin d’empêcher tout risque de manifestation.

Pendant une semaine, du 7 au 14 juillet, les associations des étudiants bassidjis (membre de la milice islamiste) organisent tous les soirs des cérémonies religieuses dans une mosquée située juste en face du campus d’Amir Abad. La télévision, aux mains des conservateurs, n’a cessé d’appeler les Téhéranais à venir nombreux à ces cérémonies de deuil.

Téhéran défie le pouvoir

Reste que, malgré toutes ces mesures et les risques encourus, en juin 4 000 personnes ont été arrêtées lors des manifestations à travers le pays et plusieurs centaines d’entres elles sont toujours en prison risquant de très lourdes peines, entre 20 000 et 30 000 Téhéranais ont défié le pouvoir. Dans le calme, assis tranquillement dans leur voiture ou en motos, quelquefois à trois ou quatre, avec femme et enfants, ils ont convergé vers le quartier de l’université. Face à ces automobilistes et motocyclistes, les policiers anti-émeutes, qui quadrillaient le quartier, et les centaines de jeunes islamistes, ne pouvaient rien faire. Des groupes de jeunes bassidjis marchaient entre les voitures au cri de «hezbollah, hezbollah», signe de ralliement des extrémistes religieux. D'autres circulaient en moto par groupe de 40 ou 50, pour bien montrer leur présence. Les automobilistes se contentaient alors de klaxonner en signe de protestation.

Parallèlement à cette nouvelle forme de protestation, le pouvoir doit tenir compte d’une radicalisation des revendications étudiantes qui s’exprime désormais ouvertement. Empêchés de célébrer les événements de juillet 1999, les mouvements étudiants, en particulier le Bureau de consolidation de l’unité (BCU), qui réunit de nombreuses associations islamiques des étudiants, proches des réformateurs ou de l’opposition libérale, semble de plus en plus enclin à rompre les amarres avec le pouvoir. Début juillet, après l’arrestation de plusieurs leaders étudiants par la justice, une centaine de leaders étudiants ont écrit une lettre ouverte au président Khatami pour lui expliquer que les derniers liens entre le pouvoir et les étudiants étaient en train de se rompre. A la veille du 9 juillet, les membres du BCU ont pris l’initiative d’écrire une lettre ouverte pour lancer un «appel à l’aide» au secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, dénonçant «cette période noire» et «l'apartheid politique et social» en Iran, dans une lettre ouverte de huit pages. En tant que principal groupe étudiant, «nous vous envoyons cette lettre pour énumérer la longue liste de violations de la déclaration internationale des droits de l'Homme par le pouvoir iranien et demandons à l'Onu de l'examiner», affirme la lettre. Le BCU dénonce pêle-mêle les cas de tortures, l'assassinat d'intellectuels et d'opposants politiques en 1998, les arrestations politiques, notamment d'étudiants, de journalistes, ainsi que l'interdiction d'organiser des rassemblements à l'occasion du 9 juillet. A la suite de cette lettre, d’autres responsables étudiants ont été également arrêtés.

Alors que les réformes promises par le président Khatami semblent plus que jamais dans l’impasse, le mouvement étudiant prend donc ses distances avec le pouvoir. Ce qui risque d’aggraver la crise politique. En effet, face à ces mouvements de protestation et les revendications des étudiants, les conservateurs qui contrôlent l’essentiel du pouvoir semblent n’avoir d’autres réponse que l’utilisation de la force, accusant les étudiants et les manifestants d’être à la solde des Etats-Unis ou de faire le jeu des Américains en affaiblissant le pouvoir.



par Siavosh  Ghazi

Article publié le 12/07/2003