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Congo démocratique

La paix à l’épreuve de la réalité

Le gouvernement de transition doit tenir son premier conseil des ministres le 19 juillet et présenter son programme à l’Assemblée nationale le 4 août. La passation des pouvoirs, prévue le 14 juillet, entre les sortants et les 35 nouveaux ministres (et 25 vice-ministres), a été reportée sine die. Dimanche, à Goma, les 12 représentants du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) ont refusé de prendre l’avion de la Monuc pour Kinshasa, sans les 180 gardes du corps (quinze chacun) qu’ils entendaient embarquer. Leurs partenaires souhaitent suivre le calendrier au plus près. Le 17 juillet devrait voir la prestation de serment des quatre vice-présidents, dont sera désormais flanqué le président Kabila, conformément au partage du pouvoir finalisé le 2 avril 2003 à Sun City (Afrique du Sud). Cet accord «global et inclusif» promet la paix et la stabilité au Congo. Mais il consacre le retour d’anciens piliers du mobutisme, l’avènement de seigneurs de la guerre et la mise à l’écart de partis historiques.
«Il s’agit de réunifier 60 millions de Congolais, de rétablir l’intégrité du territoire et de rendre la dignité au peuple qui a passé près de six ans sous les bottes d’armées étrangères», explique le président Joseph Kabila, successeur désigné en 2001 de son père, Laurent-Désiré (lui-même arrivé à Kinshasa en mai 1997 dans les fourgons de l’armée rwandaise). Aujourd’hui, le secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan estime réalisé le «désengagement des forces armées étrangères et de leurs alliés». Officiellement, les troupes rwandaises et ougandaises ont quitté le sol congolais (les derniers en mai dernier). Mais cinq ans de pouvoir Kabila et deux rébellions scissipares ( RCD, Mouvement de libération du Congo – MLC) plus tard, le président congolais prophétise quand même une transition vers la paix «agitée» parce que, dit-il, «vont arriver à des postes de responsabilité, des personnes qui ne sont pas habituées à la démocratie» mais aussi «dans les valises de certaines rébellions vont arriver des crocodiles». Il est vrai que certains traînent les pieds avant de rejoindre le marigot de la transition.

L’installation des institutions de transition avait été retardée fin mai en raison des exigences du RCD sur la répartition des postes de commandement dans la future armée nationale. La question réglée, l’ex rébellion basée à Goma a proclamé samedi 12 juillet «la fin de la guerre initiée le 2 août 1998 par le RCD» mais aussi «la fin du RCD en tant que mouvement politico-militaire». Le RCD est désormais «un parti politique comme un autre». Son armée, l’ANC, «fait partie de la nouvelle armée nationale» mais avant de s’envoler pour Kinshasa occuper l’une des vice-présidences, le chef du RCD, Azarias Ruberwa, a créé trois régions militaires dans son fief. Il aurait grignoté au passage des territoires adverses si l’on en croit la Commission de suivi de la transition. L’organe de surveillance dirigé par Joseph Kabila a dénoncé là «une trahison» des accords. Le RCD a répliqué qu’il se contentait d’imiter les autres anciens belligérants «avant d’aller discuter du nouveau découpage du pays en régions militaires», assurant qu’il était très ouvert, «même sur l’attribution de ces régions à de nouveaux responsables».

L’Onu mise sur la transition

Les autres membres du gouvernement de transition ont préféré ne pas alimenter la polémique sur les régions militaires, une création «nulle et non avenue» du RCD, selon le Comité international d’accompagnement à la transition (CIAT), qui rassemble notamment des représentants des cinq pays membres du Conseil de sécurité, de la Belgique et de l’Afrique du Sud. Le 14 juillet, le CIAT appelait les «parties congolaises à former immédiatement un groupe de travail pour la constitution d’une police neutre intégrée et la mise en place des gardes du corps» et déplorait le nouveau désaccord avec le RCD. Dimanche, ce dernier a refusé de laisser partir ses ministres. Il reprochait à la Mission des Nations unies au Congo (Monuc) d’avoir mis seulement à sa disposition un avion de 17 places, insuffisant selon lui pour transporter sa délégation et «sa garde rapprochée». La Monuc a déjà affecté 700 hommes à la sécurité des déplacements des très nombreux animateurs de la transition. Le MLC par exemple a envoyé 51 personnes, dont quatre généraux et quatre colonels, à Kinshasa où les ministres du RCD se font attendre.

Certains ont déjà pris officieusement leurs fonctions dans le gouvernement de la transition annoncé par Joseph Kabila le 30 juin dernier, le jour anniversaire de l’indépendance du Congo (1960). Le chef du RCD-ML-K (Une scission du RCD Goma), par exemple, Mbusa Nyamwisi, a participé au sommet de l’Union africaine (10-12 juillet), comme ministre de la Coopération régionale au côté de son nouveau pair aux Affaires étrangères, Antoine Ghonda Mangalibi, issu du MLC de Jean-Pierre Bemba. A Maputo, ce dernier a représenté Joseph Kabila «très occupé par la mise en place des institutions de transition». De son côté, l’Onu presse le pas. Le Conseil de sécurité à prorogé jusqu’au 30 juillet prochain le mandat de la Monuc qui arrivait à échéance fin juin. Toutefois le secrétaire général recommande de jouer les prolongations jusqu’au 30 juin 2004 et de porter les effectifs à 10 800 hommes. Il n’envisage d’ailleurs pas de sortie du Congo avant les élections qui sont prévue à la fin des deux ans de transition. Mais surtout l’objectif de la Monuc s’est sensiblement modifié. En effet, même si le «désarmement, le rapatriement ou la réinsertion des groupes armés étrangers» – le DDRR qui concerne en particulier les rebelles rwandais – reste «un objectif important», il n’est plus, selon l’Onu, «une condition préalable à l’instauration d’une paix durable, mais plutôt un résultat dérivé». En clair, l’Onu mise désormais sur la transition pour stabiliser le Congo, voire désarmer les "forces négatives".

Dans l’immédiat, souligne Kofi Annan, «le pays reste profondément divisé, la pauvreté y règne et le conflit actuel dans l’Ituri constitue une catastrophe humanitaire qui menace de faire échouer le processus de paix». D’ici le 15 août, 3 800 casques bleus du Bengladesh doivent relayer la force européenne sous commandement français qui conduit l’opération Artemis à Bunia (chef-lieu de l’Ituri) depuis le 11 juin dernier. Artemis va plier bagage d’ici le 1er septembre. Entre temps, elle aura conforté une Administration intérimaire en Ituri contre la rébellion de l’Union des patriotes congolais (UPC) qui avait pris Bunia en mai dernier. Cela ne va pas sans rappels à l’ordre international incessants au chef de l’UPC, Thomas Lubanga. En imposant la mesure «Bunia, ville sans armes visibles», le 25 juin dernier, la force a dépouillé Lubanga de son pouvoir militaire. La Monuc a commencé à former les premiers policiers locaux, seuls Congolais habilités à circuler armés. Mais en ville comme dans toute la région, la situation reste extrêmement tendue entre groupes rivaux d’une part et entre ces derniers et la force européenne d’autre part.

Qu’ils s’affichent comme ses bons élèves ou qu’ils marquent le rapport des forces par des récriminations, les anciens belligérants entrent en transition comme des poids lourds. Faute d’avoir obtenu une vice-présidence, un parti historique comme l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) d’Etienne Tshisekedi boycottera l’Assemblée nationale. Il se positionne d’ores et déjà dans l’opposition à la transition. Du côté de la société civile, la cooptation a été de rigueur, mais pas forcément rigoureuse. Au total 51,8% de Kinois seraient mécontents du retour «massif» aux affaires des anciens dignitaires du régime Mobutu, si l’on en croit un sondage publié le 12 juillet par le quotidien congolais Le Potentiel. Le sondage a été réalisé par l’Institut Facilitas Consulting auprès d’un échantillon de 637 hommes et 443 femmes majeurs dans les 24 communes de Kinshasa. 48,2% des sondés sont quand même satisfaits du lancement de la transition. Pour eux, estime le journal, le retour des mobutistes est «le prix à payer pour la paix». Ils sont effectivement très nombreux, recyclés dans les rébellions ou entrés assez vite dans les allées du pouvoir Kabila.

Selon Le Potentiel, les Kinois déplorent l’absence dans la transition de l’UDPS et du Parti lumumbiste, le Palu d’Antoine Gizenga. Une majorité de 59 % se déclare hostiles à la désignation d’Arthur Zahidi Ngoma à la vice-présidence dévolue à l’opposition politique. En revanche, 65,9% estiment que Joseph Kabila devait en effet rester à la présidence de la République. Enfin, quand à l’ordre des priorités que doit se fixer le nouveau gouvernement de transition, les Kinois placent (35,4%) la pacification et la reconstruction du pays devant l’organisation d’élections libres (28, 4%) et l’amélioration des conditions de vie des populations ( 27,3%). C’est dire que dans tous les cas, ils aspirent au retour à l’ordre civil.





par Monique  Mas

Article publié le 14/07/2003