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Environnement

La croisade écolo du patriarche de Constantinople

Bartholomé Ier, le patriarche œcuménique de Constantinople, la plus haute autorité du monde orthodoxe, est parti en croisade pour sauver l’environnement. Un symposium a réuni dirigeants religieux, scientifiques et militants écologistes sur la Baltique, l’une des mers les plus polluée d’Europe.
De notre envoyé spécial dans la Baltique

C’est une croisière d’un genre un peu particulier qui a croisé sur la Baltique au mois de juin. A bord de l’Ocean Monarch, luxueux et bien peu écologique navire de croisière, Bartholomé 1er, patriarche œcuménique de Constantinople, a présidé aux destinées du 5e symposium «Science, religion et environnement».

Les étapes de ce symposium voulu par Barthomé 1er : Gdynia en Pologne, Kaliningrad en Fédération de Russie, Tallin en Estonie, Helsinki en Finlande, et Stockholm en Suède. L’escale de Saint-Pétersbourg, en Russie, a été annulée en raison de l’opposition de l’Église orthodoxe russe. Œcuménisme et écologie ne sont guère en odeur de sainteté auprès du Patriarcat de Moscou.

Bartholomé Ier, soixante ans, et patriarche de Constantinople depuis un peu plus de dix ans, n’a pourtant que faire des blocages nationaux et idéologiques qui entravent toujours la plupart des Églises orthodoxes. Le dialogue avec les autres confessions chrétiennes est pour lui une priorité, et la défense de l’environnement sa conviction la plus sincère. Dans son allocution liminaire, le patriarche n’a pas craint d’évoquer les aborigènes d’Australie, pour qui la terre est un bien commun qui ne saurait être privatisé, au même titre que l’air et l’eau. Les représentants protestants, anglicans et catholiques – dont les cardinaux Etchegaray et Kasper – ont poliment applaudi, tandis que jubilaient les militants venus des mouvements de l’altermondialisation.

Boudé par l’église orthodoxe russe

Les symposiums environnementaux sont désormais une opération de communication majeure du patriarcat œcuménique qui, malgré la «primauté d’honneur» que lui reconnaissent toutes les Églises orthodoxes, n’a guère de divisions à avancer. Il y a un an, le précédent symposium sur la mer Adriatique, s’était conclu par la signature à Venise d’une déclaration commune sur la protection de l’environnement par le patriarche et le pape Jean-Paul II.

Très proche du patriarche, le métropolite Jean de Pergame essaie de fonder une théologie de l’environnement. Dans la tradition orthodoxe, les liens qui unissent l’homme au cosmos sont particulièrement mis en valeur, et le métropolite invite donc les hommes à cesser de se comporter en «propriétaires de la création».

Au cours de la navigation sur la Baltique, à l’ostracisme de la puissante Église russe a répondu l’accueil chaleureux de la petite Église orthodoxe estonienne, reconstituée en 1994, après cinquante années de domination soviétique, mais forte de seulement 25 000 fidèles. L’hostilité que lui voue l’Église russe n’inquiète guère le métropolite de cette Église, Mgr Stephanos : «laissons les morts enterrer les morts, il y a aujourd’hui deux attitudes pour les Églises orthodoxes, soit celle de l’orgueil nationaliste et de la fermeture sur soi, soit celle de l’ouverture et d’un véritable témoignage».

Exceptionnellement, le symposium a pu accoster au port militaire de Baltiisk, la principale base de la flotte russe de la Baltique, toujours à moitié fermé aux étrangers. Quelques croiseurs fatigués semblent pourtant constituer l’essentiel de cette flotte. Le littoral de Kaliningrad recèle une autre richesse, qui continue à s’exporter : l’ambre, dont Kaliningrad concentre près de 90% des réserves mondiales. Pour le reste, l’économie de l’enclave est entièrement suspendue aux négociations avec l’Union européenne, le futur et déjà étouffant voisin. Vivement attaqué sur les exportations russes de pétrole, et les risques réels et majeurs que prennent des tankers souvent usagés et mal contrôlés, le directeur de l’Institut océanographique finit par lâcher : «la protection de l’environnement, d’accord, mais il faut bien vivre aussi».

Le mirage européen se ressent autrement à Tallinn. La petite république d’Estonie, comme ses consœurs baltes, prétend avoir tiré un trait définitif sur le passé soviétique. Dans le centre historique, des panneaux agressifs rappellent les ravages des bombardements soviétiques durant la Seconde Guerre mondiale, et Tallinn, ancienne cité hanséatique, essaie d’attirer les touristes en leur proposant de «vivre dans une ville du Moyen Âge». Avant-gardistes, quelques Japonais se prêtent déjà au jeu, mais la plupart des «touristes» sont les milliers de Finlandais qui, après une traversée en ferry de deux heures à peine, viennent arpenter les bars à bière et à filles et les casinos qui se multiplient aux abords du port.

La confrontation entre l’Est et l’Ouest, qui a longtemps déterminé la géopolitique de la Baltique, prend depuis dix ans l’allure d’un éclatant contraste entre Europe des riches et Europe des pauvres. L’environnement, et notamment le fragile milieu maritime, ne peuvent pas manquer de faire les frais de cette opposition. Le patriarche œcuménique ne renonce pourtant pas à essayer de faire émerger une conscience écologique commune chez tous les dirigeants de la région et, aux larges des côtes de la Finlande, depuis le pont du navire, il a béni les eaux polluées de la Baltique. Un peu gauche, et tout ignorant des chants puissants de la liturgie grecque, un évêque luthérien de Suède lui servait d’enfant de chœur.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 01/07/2003