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Grande-Bretagne

Tony Blair ne démissionnera pas

Au lendemain de l’identification du cadavre de David Kelly, la BBC a finalement confirmé que c’est bien lui qui avait renseigné ses journalistes. Cette révélation est loin de calmer la polémique engagée depuis deux jours en Grande-Bretagne. Au contraire, elle relance la terrible querelle entre le gouvernement et la chaîne publique, et les attaques fusent de toutes parts. Même si Tony Blair, toujours en Asie, tente de calmer les esprits et de reprendre l’initiative dans cette crise où il est fortement mis en cause, en affirmant qu’il n’a pas l’intention de démissionner.
Pas de session extraordinaire du Parlement, pas de démission mais une coopération sans réserve avec Lord Brian Hutton, le juge siégeant à la chambre des Lords chargé de diriger l’enquête judiciaire indépendante demandée par le gouvernement pour faire la lumière sur la mort de l’expert en armement David Kelly. Tony Blair a donc affirmé devant les caméras de Sky News qu’il était même prêt à témoigner en personne si cela était nécessaire. «Je peux vous assurer que le juge pourra avoir accès à tous les éléments, tous les gens et tous les documents qu’il veut».

Le Premier ministre britannique qui a décidé de poursuivre sa tournée en Asie malgré la grave crise liée à la mort de David Kelly qui se déroule actuellement en Grande-Bretagne, a donc affirmé sa détermination à poursuivre sa tâche à la tête du gouvernement britannique envers et contre tous. «Il faut avoir les épaules solides pour faire ce métier. Je les ai.» Il va en avoir besoin car l’ambiance est lourde en Grande-Bretagne. Et le débat qui avait commencé avant la mort de l’expert autour du rapport sur l’armement irakien qui aurait été «gonflé» par l’un des plus proches collaborateurs de Tony Blair, son directeur de la Communication Alastair Campbell, en vue de justifier la guerre, est loin d’être fini.

L’enquête qui va débuter pour éclaircir les circonstances du décès de celui que la presse britannique présente comme un «bouc-émissaire» donné en pâture par le gouvernement, risque de mettre au jour des informations embarrassantes. D’autant que le New York Times révèle que quelques heures avant sa disparition David Kelly a envoyé un e-mail à l’un de ses journalistes dans lequel il évoque de nombreux «acteurs de l’ombre se jouant de lui». Selon le journal, David Kelly faisait référence à des responsables avec lesquels il était en désaccord. Si l’enquête sur la mort de l’expert permet d’établir les raisons qui semblent l’avoir poussé au suicide, elle risque aussi de faire apparaître un certain nombre de vérités concernant la polémique entre la chaîne de télévision publique britannique BBC et le gouvernement sur les dessous du dossier irakien.

Qui a menti ?

Déjà le ministère de la Défense (MoD) a finalement admis, dimanche, avoir été à l’origine de la divulgation du nom de David Kelly à la presse. «Nous n’avons pas révélé le nom mais nous avons fait savoir clairement à nos interlocuteurs dans les médias et au docteur Kelly que si quelqu’un venait à citer le bon nom, nous serions obligés de le confirmer», a déclaré la directrice de la communication du MoD au Sunday Telegraph. Une révélation qui contredit les précédentes affirmations du ministre de la Défense Geoff Hoon qui avait nié être à l’origine de la diffusion de cette information auprès du grand public et qui montre les chemins fluctuants empruntés pour arriver à la vérité dans cette affaire.

La BBC a de son côté décidé dimanche de répondre à la question que tout le monde se posait : le docteur Kelly était-il l’informateur anonyme d’Andrew Gilligan, le journaliste qui a accusé Alastair Campbell d’avoir inséré de fausses informations dans un rapport sur l’armement irakien ? Le directeur de l’information de la chaîne Richard Sambrook a déclaré : «Ayant désormais informé la famille nous pouvons confirmer que le Dr Kelly était la source principale des enquêtes d’Andrew Gilligan et de Susan Watts.» Jusqu’ici la BBC avait refusé de donner le nom de sa source et s’était contentée d’affirmer qu’il s’agissait d’un responsable qui souhaitait rester anonyme.

Lors de son audience devant la commission des Affaires étrangères des Communes, David Kelly avait reconnu s’être entretenu avec Andrew Gilligan mais avait affirmé qu’il ne pouvait pas être la source principale du journaliste au vu des informations diffusées dans le reportage qui allaient bien plus loin que ce qu’il avait pu dire, notamment sur le rôle d’Alastair Campbell. La question qui se pose aujourd’hui est donc de savoir si c’est la BBC ou le docteur Kelly qui a dit la vérité. Une question à laquelle Richard Sambrook a tenté de répondre en déclarant : «La BBC pense avoir interprété et rapporté de manière exacte les informations factuelles qu’elle a obtenues lors de ses entretiens avec le Dr Kelly». Puis il a ajouté : «Nous continuons de croire que nous avons eu raison de rendre publique l’opinion du Dr Kelly…Cependant la BBC est profondément désolée que son rôle en tant que source ait abouti à une telle tragédie».

Ces déclarations ont provoqué une nouvelle série de réactions virulentes de la part des proches de Tony Blair qui ont insisté sur la responsabilité de la chaîne publique britannique dans cette histoire. Peter Mandelson, un ancien ministre qualifié d’éminence grise de Tony Blair, a déclaré que «c’est l’obsession de la BBC [envers Alastair Campbell] qui -plus que tout autre chose- a conduit à la rupture des relations entre le gouvernement et le principal média audiovisuel public. Avec le résultat que l’on a vu». Un membre de la Commission des Affaires étrangères où David Kelly avait pourtant été passé sur le grill sans ménagement, le travailliste Eric Illsey a été encore plus loin : «Je pense que la BBC doit à présent se regarder longuement et sérieusement dans la glace». David Kelly est mort mais la querelle entre la BBC et le gouvernement est loin d’être terminée. D’autant que celle des deux parties qui réussira à prouver sa bonne foi dans cette affaire se soulagera d’une bien lourde responsabilité : avoir rendu la vie d’un homme «intolérable».



par Valérie  Gas

Article publié le 20/07/2003