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Argentine

Kirchner face aux lois d’amnistie

Favorable au jugement des bourreaux de la dictature et à l’abrogation des lois d’amnistie, le nouveau président argentin Nestor Kirchner doit gérer l’épineuse question de l’extradition vers l’Espagne de 46 personnes accusées de violations des droits de l’Homme dont les arrestations ont été ordonnées jeudi par un magistrat argentin.
Le temps semble loin où la plus haute autorité de l’Argentine décidait de boycotter un sommet ibéro-américain pour protester contre l’arrestation en Angleterre du dictateur chilien Augusto Pinochet. En novembre 1999, le président argentin Carlos Menem avait en effet refusé de se rendre à La Havane dans un geste de solidarité avec son homologue chilien Eduardo Frei qui dénonçait une véritable atteinte à la souveraineté de son pays. Le message de Menem était clair : la page était tournée, et aucun juge, qu’il soit argentin et étranger, ne devait pouvoir se replonger dans l’histoire douloureuse de la dictature et tenter d’enquêter sur des affaires de violations des droits de l’Homme couvertes par plusieurs lois d’amnistie.

Quatre ans après, le discours officiel a bien changé. Nestor Kirchner, élu en mai dernier à la tête du pays, estime au contraire que l’impunité doit être vaincue dans son pays. «Une société sans justice ou mémoire n’a pas d’avenir», a ainsi déclaré le président argentin dans une interview publiée jeudi par le Washington Post. Se déclarant favorable à l’abrogation des lois d’amnistie décrétées par la junte militaire au milieu des années 80, il a rappelé que «30 000 personnes ont disparu en Argentine simplement parce qu’elles pensaient différemment». Des propos très forts qu’il pourrait prochainement accompagner d’une décision de poids, l’abrogation d’un décret adopté en 2001 par le président de la République de l’époque Fernando de la Rua qui interdit les expulsions d’Argentins ayant commis un délit sur le territoire national.

Nestor Kirchner va en fait devoir se prononcer très rapidement sur la question de l’extradition des personnes accusées d’avoir commis des violations des droits de l’Homme et réclamées par des pouvoirs judiciaires étrangers. Le juge fédéral argentin Rodolfo Canicoba a ordonné jeudi l’arrestation de 45 ex-militaires et d’un civil dont l’extradition est demandée depuis plusieurs années par le juge Baltazar Garzon. La ténacité du magistrat espagnol a fini par payer puisqu’il avait déjà adressé à deux reprises une longue liste de mandats d’arrêt aux autorités judiciaires argentines dans le cadre de plaintes déposées en Espagne pour génocide, terrorisme et tortures. Jeudi, le juge Canicoba recevait à nouveau par le biais d’Interpol la pétition du juge Garzon et décidait d’ordonner dans la foulée la détention des 46 personnes. Et quelques heures plus tard, le ministère argentin de la Défense José Pampuro donnait l’instruction aux plus hauts responsables des forces armées d’adopter les mesures nécessaires pour que puissent se réaliser ces arrestations.

Astiz dans la mire de la justice

Parmi les 46 personnes requises par la justice espagnole se trouvent plusieurs personnalités militaires de haut rang, à commencer par l’ancien dictateur argentin Jorge Rafael Videla. A l’instar de Videla, plusieurs d’entre elles font d’ailleurs déjà l’objet de poursuites judiciaires en Argentine en raison de leur implication dans des affaires d’appropriation illégales de bébés nés de mères détenues pendant la dictature, un crime non couvert par les lois d’amnistie en vigueur. D’anciens militaires reconvertis dans la politique sont également visés par ces poursuites, notamment le général en retraite Antonio Bussi récemment élu maire de la ville de Tucuman. Et la liste comprend aussi le nom de l’ancien capitaine de corvette Alfredo Astiz, déjà condamné en France par contumace en 1990 à la prison à perpétuité pour la disparition de deux religieuses françaises pendant la dictature.

Le juge Canicoba a expliqué que le fait de décréter l’arrestation de ces 46 personnes n’était qu’une étape préliminaire dans la procédure d’extradition. «Il est nécessaire de préciser que le gouvernement a le dernier mot», a ainsi tenu à souligner le magistrat argentin. Le juge Garzon dispose d’un délai de trente jours à partir de leur arrestation pour demander leur extradition. Une procédure pouvant prendre plusieurs mois ou années s’ensuivra, jalonnée notamment d’échange de documents officiels transitant par les ministères des Affaires étrangères de chaque pays. Un long délai pendant lequel le gouvernement argentin devra décider s’il accepte ou non d’abroger le décret interdisant toute extradition. Saluée par de nombreuses associations de défense des droits de l’Homme, la décision du juge Canicoba laisse tout de même un goût amer chez de nombreux Argentins qui souhaiteraient que leur pays soit en mesure de juger les bourreaux de la dictature. Et ils espèrent donc que Nestor Kirchner parviendra à concrétiser son intention d’abroger les lois d’amnistie en vigueur.

Ecouter également : Le rendez-vous de la rédaction, 25/07/2003, Alejandro Valente, Rédacteur en chef de la rédaction sud-américaine de RFI.



par Olivier  Bras

Article publié le 25/07/2003 Dernière mise à jour le 24/07/2003 à 22:00 TU