Grande-Bretagne
Une enquête ambiguë et bien encadrée
Avant même que le juge Lord Brian Hutton ne démarre l’enquête sur le suicide du docteur David Kelly que vient de lui confier Tony Blair, celui-ci est soupçonné d’avoir rendu public le nom de la «taupe» de la BBC, et donc d’être à l’origine d’une série d’événements ayant conduit à la mort tragique de l’expert en armes biologique.
Sur le papier, il s’agit bien d’une enquête. Elle sera dirigée par un juge, Lord Brian Hutton, âgé de 72 ans, dont le curriculum vitae paraît plus que bien rempli: il a été Lord of Appeal (juge des appels) à partir de 1997, et chef de la Justice en Irlande du Nord dix années durant. Il fait donc partie de la plus haute instance juridique du Royaume-Uni. Plutôt conservateur, il a souvent plaidé la cause du gouvernement de Londres, notamment lorsque la Grande-Bretagne a été traînée devant la Cour européenne des droits de l’Homme, à propos de mauvais traitements subis par des détenus politiques. Et, lors de la longue affaire Pinochet, il a été parmi les juges qui ont vivement critiqué son extradition pour crimes contre l’humanité. Enfin, il n’a jamais refusé de se charger d’affaires dites «sensibles», intéressant la sécurité et les «secrets d’Etat» de la couronne britannique: on se souvient qu’il s’était opposé à un ancien agent du MI5 (le contre-espionnage britannique), David Shayler, qui avait déclaré qu’il avait révélé des secrets d’Etat «dans l’intérêt du public».
Lors de l’annonce de sa nomination, le porte-parole du ministre britannique de la Défense a précisé que cette enquête portera sur «les circonstances entourant la mort du Docteur Kelly», qu’elle «devrait commencer aussi vite que possible» et que «compte tenu du degré d’urgence, elle devrait durer des semaines plutôt que des mois». Et le porte-parole de Geoff Hoon d’ajouter: «C’est un homme d’intégrité, un homme d’indépendance et par conséquent parfaitement qualifié». «Evidemment, il déterminera les champs d’investigation qu’il souhaite couvrir et nous coopérerons avec lui», a-t-il conclu.
54% des Britanniques sont mécontents du Premier ministre
Lord Hutton a aussitôt déclaré pour sa part qu’il comptait se mettre vite au travail, qu’il souhaitait tenir de nombreuses séances en public, et qu’il lui revient de décider des questions qui feront l’objet de l’enquête, avant d’ajouter: «dans les termes de mon mandat». Lequel au juste ? «Les termes de mon mandat sont les suivants : mener de façon urgente une enquête sur les circonstances de la mort du Docteur Kelly». Question: s’agit-il donc d’enquêter uniquement sur des circonstances qui pour l’essentielles sont déjà connues, ou plutôt -comme le souhaite une partie de l’opinion publique et de la classe politique- sur l’ensemble de cette affaire, et donc sur les éventuelles responsabilités dans ce qui est devenue une véritable «tragédie nationale», impliquant notamment le gouvernement de Tony Blair, sinon le Premier ministre lui-même ?
Interrogé sur l’éventuelle nécessité d’accorder à Lord Hutton les pouvoirs d’ordonner à des témoins récalcitrants de comparaître, le porte-parole de Tony Blair a été pour le moins ambigu, en affirmant qu’il «ne pensait pas qu’une telle situation puisse se produire». Alors que depuis le début, cette affaire est parsemée de réticences en tous genres et de toutes parts, car elle met en cause un fonctionnement politique et médiatique souvent basé sur l’understatement, voire sur des non-dits ou des allusions qui ont d’ores et déjà engendré de nombreuses incompréhensions et, peut-être, le dramatique suicide de David Kelly: un scientifique honnête et scrupuleux qui avait sans doute cru rendre un grand service à son pays en confiant à des journalistes de la BBC des «secrets» quelques peu inavouables mettant en cause le Premier ministre et son entourage.
Et c’est bien cela qui est plus que jamais au centre de cette affaire. Moins d’une semaine après le suicide de David Kelly, Tony Blair a été obligé mardi de démentir ce qu’un quotidien de centre-gauche, The Independent, avait écrit quelques heures plus tôt, à savoir: Downing Street -le siège du Premier ministre- a obligé le ministère de la Défense à dévoiler le nom de la «taupe» de la BBC mettant en cause le responsable de la communication gouvernementale, Allistair Campbell. Et cela en dépit des réticences des responsables de la Défense qui avait assuré à David Kelly que son nom ne serait pas rendu public. «Je n’ai pas donné l’autorisation pour que soit divulgué le nom du Docteur Kelly», a dit Tony Blair, actuellement en visite en Chine. Mais son porte-parole avait admis la veille que le ministère de la Défense avait «consulté» Downing Street à propos de David Kelly, avant de confirmer officiellement que la «taupe» de la BBC était bel et bien David Kelly. Peut-on imaginer un seul instant que Geoff Hoon ait pu outrepasser un éventuel véto de Tony Blair ? Plus grave, The Independent écrit que certains fonctionnaires du ministère de la Défense étaient inquiets de voir le nom de Kelly «livré délibérément à des journalistes favorables à Downing Sreet, qui ont ensuite appelé» les responsables de la communication pour confirmation.
On assiste désormais à un véritable bras de fer, à l’intérieur même de l’équipe gouvernementale, entre un Premier ministre de plus en plus déstabilisé et qui a du mal à protéger son conseiller pour la communication Allistair Campbell, et un ministre de la Défense qui par son comportement est soupçonné d’être à l’origine de la décision qui a déclenché le suicide de David Kelly. Peut-être sans l’avoir vraiment voulu.
Aujourd’hui Blair et Hoon sont tous les deux plus que jamais sur la sellette. Et ce d’autant plus que les services de Tony Blair ne cessent de rappeler discrètement aux médias que la Défense «assurait la direction» dans cette affaire. Une façon quelque peu cavalière de se décharger d’une affaire brûlante, tout en chargeant les responsables de la Défense, qui ne semble pas plaire à l’opinion publique britannique.
La cote de popularité de Blair a en effet de nouveau chuté: 54% des Britanniques sont mécontents du Premier ministre, qui ne recueille plus que 37% d’opinions favorables, selon un sondage de l’institut ICM réalisé après le suicide de David Kelly. Un autre sondage, effectué par l’institut Mori, montre pour sa part qu’un quart des électeurs travailistes lors des élections de 2001 accordent maintenant leur préférence à d’autres partis. Enfin, selon une troisième enquête d’opinion réalisée par YouGov, 39% des Britanniques (contre 41%) estiment que le Premier ministre devrait démissionner.
Dans ces conditions, le juge Brian Hutton aura-t-il le courage de mener une véritable enquête indépendante et exhaustive ? Robin Cook, l’ex-ministre des Affaires étrangères, autrefois proche de Tony Blair n’y croit guère: «On a demandé à Lord Hutton l’impossible : on lui a confié la tâche d’enquêter sur les événements ayant conduit à la mort tragique du Docteur Kelly et, dans le même temps, on l’a mis en garde contre un examen des événements qui ont conduit à la guerre en Irak… Comment une enquête sur la mort de Kelly peut-elle éviter d’examiner les raisons de la guerre en Irak ?».
Pour l’éditorialiste politique de la BBC Nick Assinder, la mort de Kelly «change tout». «Quelle que soit l’issue finale de cette enquête judiciaire, cette affaire restera suspendue au-dessus de ce gouvernement pour le restant de ses jours».
Lors de l’annonce de sa nomination, le porte-parole du ministre britannique de la Défense a précisé que cette enquête portera sur «les circonstances entourant la mort du Docteur Kelly», qu’elle «devrait commencer aussi vite que possible» et que «compte tenu du degré d’urgence, elle devrait durer des semaines plutôt que des mois». Et le porte-parole de Geoff Hoon d’ajouter: «C’est un homme d’intégrité, un homme d’indépendance et par conséquent parfaitement qualifié». «Evidemment, il déterminera les champs d’investigation qu’il souhaite couvrir et nous coopérerons avec lui», a-t-il conclu.
54% des Britanniques sont mécontents du Premier ministre
Lord Hutton a aussitôt déclaré pour sa part qu’il comptait se mettre vite au travail, qu’il souhaitait tenir de nombreuses séances en public, et qu’il lui revient de décider des questions qui feront l’objet de l’enquête, avant d’ajouter: «dans les termes de mon mandat». Lequel au juste ? «Les termes de mon mandat sont les suivants : mener de façon urgente une enquête sur les circonstances de la mort du Docteur Kelly». Question: s’agit-il donc d’enquêter uniquement sur des circonstances qui pour l’essentielles sont déjà connues, ou plutôt -comme le souhaite une partie de l’opinion publique et de la classe politique- sur l’ensemble de cette affaire, et donc sur les éventuelles responsabilités dans ce qui est devenue une véritable «tragédie nationale», impliquant notamment le gouvernement de Tony Blair, sinon le Premier ministre lui-même ?
Interrogé sur l’éventuelle nécessité d’accorder à Lord Hutton les pouvoirs d’ordonner à des témoins récalcitrants de comparaître, le porte-parole de Tony Blair a été pour le moins ambigu, en affirmant qu’il «ne pensait pas qu’une telle situation puisse se produire». Alors que depuis le début, cette affaire est parsemée de réticences en tous genres et de toutes parts, car elle met en cause un fonctionnement politique et médiatique souvent basé sur l’understatement, voire sur des non-dits ou des allusions qui ont d’ores et déjà engendré de nombreuses incompréhensions et, peut-être, le dramatique suicide de David Kelly: un scientifique honnête et scrupuleux qui avait sans doute cru rendre un grand service à son pays en confiant à des journalistes de la BBC des «secrets» quelques peu inavouables mettant en cause le Premier ministre et son entourage.
Et c’est bien cela qui est plus que jamais au centre de cette affaire. Moins d’une semaine après le suicide de David Kelly, Tony Blair a été obligé mardi de démentir ce qu’un quotidien de centre-gauche, The Independent, avait écrit quelques heures plus tôt, à savoir: Downing Street -le siège du Premier ministre- a obligé le ministère de la Défense à dévoiler le nom de la «taupe» de la BBC mettant en cause le responsable de la communication gouvernementale, Allistair Campbell. Et cela en dépit des réticences des responsables de la Défense qui avait assuré à David Kelly que son nom ne serait pas rendu public. «Je n’ai pas donné l’autorisation pour que soit divulgué le nom du Docteur Kelly», a dit Tony Blair, actuellement en visite en Chine. Mais son porte-parole avait admis la veille que le ministère de la Défense avait «consulté» Downing Street à propos de David Kelly, avant de confirmer officiellement que la «taupe» de la BBC était bel et bien David Kelly. Peut-on imaginer un seul instant que Geoff Hoon ait pu outrepasser un éventuel véto de Tony Blair ? Plus grave, The Independent écrit que certains fonctionnaires du ministère de la Défense étaient inquiets de voir le nom de Kelly «livré délibérément à des journalistes favorables à Downing Sreet, qui ont ensuite appelé» les responsables de la communication pour confirmation.
On assiste désormais à un véritable bras de fer, à l’intérieur même de l’équipe gouvernementale, entre un Premier ministre de plus en plus déstabilisé et qui a du mal à protéger son conseiller pour la communication Allistair Campbell, et un ministre de la Défense qui par son comportement est soupçonné d’être à l’origine de la décision qui a déclenché le suicide de David Kelly. Peut-être sans l’avoir vraiment voulu.
Aujourd’hui Blair et Hoon sont tous les deux plus que jamais sur la sellette. Et ce d’autant plus que les services de Tony Blair ne cessent de rappeler discrètement aux médias que la Défense «assurait la direction» dans cette affaire. Une façon quelque peu cavalière de se décharger d’une affaire brûlante, tout en chargeant les responsables de la Défense, qui ne semble pas plaire à l’opinion publique britannique.
La cote de popularité de Blair a en effet de nouveau chuté: 54% des Britanniques sont mécontents du Premier ministre, qui ne recueille plus que 37% d’opinions favorables, selon un sondage de l’institut ICM réalisé après le suicide de David Kelly. Un autre sondage, effectué par l’institut Mori, montre pour sa part qu’un quart des électeurs travailistes lors des élections de 2001 accordent maintenant leur préférence à d’autres partis. Enfin, selon une troisième enquête d’opinion réalisée par YouGov, 39% des Britanniques (contre 41%) estiment que le Premier ministre devrait démissionner.
Dans ces conditions, le juge Brian Hutton aura-t-il le courage de mener une véritable enquête indépendante et exhaustive ? Robin Cook, l’ex-ministre des Affaires étrangères, autrefois proche de Tony Blair n’y croit guère: «On a demandé à Lord Hutton l’impossible : on lui a confié la tâche d’enquêter sur les événements ayant conduit à la mort tragique du Docteur Kelly et, dans le même temps, on l’a mis en garde contre un examen des événements qui ont conduit à la guerre en Irak… Comment une enquête sur la mort de Kelly peut-elle éviter d’examiner les raisons de la guerre en Irak ?».
Pour l’éditorialiste politique de la BBC Nick Assinder, la mort de Kelly «change tout». «Quelle que soit l’issue finale de cette enquête judiciaire, cette affaire restera suspendue au-dessus de ce gouvernement pour le restant de ses jours».
par Elio Comarin
Article publié le 22/07/2003