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Algérie

L’embarras d’Alger

Fallait-il ou non libérer Abassi Madani, le président du Front islamique du salut dissous par le pouvoir en 1992, et son numéro 2, le très radical et médiatique Ali Benhadj ? La question secoue la presse algérienne pour qui les deux hommes, incarcérés depuis douze ans, sont les principaux responsables de la sanglante guerre civile qui en dix ans a fait quelque 150 000 morts. Le pouvoir algérien, qui a choisi de jouer la carte de la légalité en libérant les deux chefs historiques du FIS, semble aujourd’hui très embarrassé et tente par tous les moyens de minimiser l’importance de cette libération. A un an de l’élection présidentielle, il redoute sans doute la réaction de ces deux leaders religieux dont l’engagement politique ne semble pas avoir faibli malgré douze années d’isolement.
Le ministère algérien de la Communication avait demandé dès mercredi à la presse étrangère basée en Algérie de ne plus assurer «la couverture médiatique» de la libération du numéro 2 du FIS. «Aucune couverture médiatique sur la libération de M. Benhadj n’est tolérée sur instruction de l’Etat», avait indiqué un responsable algérien, en précisant que ce leader religieux était interdit de «toute activité politique» après son incarcération douze ans durant pour «atteinte à la sûreté de l’Etat». Les envoyés spéciaux des organes de presse étrangers ont, pour leur part, été consignés dans leur hôtel avec également l’interdiction de couvrir l’événement. Ils ont ensuite été ni plus ni moins expulsés d’Algérie. Ces mesures, pour le moins radicales, trahissent le profond embarras du pouvoir algérien qui ne sait visiblement pas sur quel pied danser avec un dirigeant religieux qui semble déterminé à poursuivre sa croisade politique.

Douze années d’incarcération ne semblent en effet pas être venues à bout de la détermination d’Ali Benhadj, que l’on disait pourtant gravement malade. Libéré mercredi de la prison de Blida à six heures et demi du matin, l’homme qui déplaçait les foules tous les vendredis pour son prêche hebdomadaire, a en effet refusé de signer le procès verbal lui interdisant toute activité politique. Il a ensuite multiplié les gestes symboliques qui sont autant de défis au pouvoir algérien.

Avant même de se rendre à son domicile, cet ancien enseignant d’arabe, âgé aujourd’hui de 47 ans, s’est ainsi dirigé vers la petite mosquée Ibn Badis de Kouba où jadis des milliers de personnes venaient l’écouter religieusement. L’homme, qui ne manque pas d’humour, est ensuite allé au siège de la télévision algérienne réclamer le droit de réponse pour lequel il avait été arrêté douze ans auparavant. Un signal fort aux autorités pour bien leur signifier qu’il n’avait pas l’intention d’abandonner son combat. Le droit de réponse lui a bien sûr été refusé. Il a ensuite rendu visite à son vieux compagnon de lutte Abassi Madani dont l’assignation à résidence avait été levée le matin même. Rien n’a filtré de l’entretien des deux dirigeants qui se revoyaient pour la première fois depuis des années. Enfin dernière étape de ce parcours haut en symboles, Ali Benhadj est allé rendre visite à la famille d’Abdelkader Hachani, le numéro 3 du FIS assassiné quelques jours après sa libération en 1997 sans que les conditions de sa mort n’aient encore été élucidées. Ali Benhadj a d’ailleurs refusé la protection de la police, encore un geste de défi envers le pouvoir.

Inquiétudes et colère

La levée de l’assignation à résidence d’Abassi Madani et surtout la libération d’Ali Benhadj ont refait plonger l’Algérie dans l’horreur des années sanglantes de la guerre civile qui en une décennie a fait quelque 150 000 morts. La presse unanime a vivement condamné la libération des deux hommes. Le quotidien Liberté s’indigne ainsi qu’«à peine sorti de prison après 12 années de réclusion, celui par qui le drame algérien est arrivé repart déjà en guerre contre l’autorité de l’Etat». Le journal rappelle «le triste palmarès de l’émir Benhadj, responsable de la mort de 100 000 Algériens» et estime que «sa libération a amplement de quoi inquiéter». Le quotidien Le Matin rappelle pour sa part qu’«Ali Benhadj n’a pas changé. Dans aucun de ses écrits vous ne trouverez la condamnation des actes terroristes». Le journal s’inquiète notamment de l’application de la loi sur la concorde civile «à laquelle s’accroche le président Bouteflika». Selon lui, «cette loi rend obsolètes toutes les interdictions d’activités politiques signifiées aux deux dirigeants du FIS libérés».

La colère est encore plus perceptibles chez les familles et les associations de victimes du terrorisme. Elles ont en effet accueilli la libération des deux hommes avec «révolte, tristesse et consternation». Plusieurs manifestants se sont rassemblés à proximité du tribunal militaire de Blida pour rappeler «les crimes abominables commis par Ali Benhadj». On pouvait lire sur les banderoles «Assassin tu es et assassin tu resteras».

Interdit le 4 mars 1992, le Front islamique du salut dont les principaux dirigeants ont été soit jetés en prison, soit assassinés, soit condamnés à l’exil, ne devrait a priori pas représenter de réel danger pour le pouvoir. Mais comme le rappelle le quotidien liberté, «la situation politique, économique et sociale de l’Algérie d’aujourd’hui ressemble à celle qui avait donné naissance au FIS et à ses ambitions de pouvoir». «Si bien, ajoute ce journal, qu’au 2 juillet 2003 Benhadj bien que rongé par la maladie, déchu de ses droits civiques et interdit de toute activité politique, arrive encore à faire preuve».



par Mounia  Daoudi

Article publié le 04/07/2003