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Argentine

Les tortionnaires pourront être extradés

Le président argentin Nestor Kirchner s’était engagé à son arrivée au pouvoir en mai dernier à lutter contre l’impunité qui règne dans son pays autour des crimes de la dictature militaire qui de 1976 à 1983 a semé la terreur en Argentine. En abrogeant vendredi un décret interdisant l’extradition de criminels de guerre, le nouvel homme fort du pays entend montrer qu’il compte bien tenir ses promesses. Quelques heures après sa décision, plusieurs militaires accusés de génocide, de tortures et de terrorisme ont été arrêtés. Parmi eux se trouve Alfredo Astiz, surnommé «l’ange blond de la mort», qui avait été condamné par contumace en France à la prison à perpétuité en 1990 pour l’enlèvement et le meurtre de deux religieuses. Le ministre français de la Justice, Dominique Perben, a demandé samedi son extradition vers la France.
Le décret abrogé vendredi par le président Nestor Kirchner avait été adopté par l’ancien président Fernando de la Rua à la tête du pays de 1999 à 2001. Il permettait le rejet automatique de toute demande d’extradition pour violations des droits de l’homme commises en Argentine en empêchant le transfert aux tribunaux du pays des mandats d’arrêts internationaux. Son abrogation survient au lendemain de l’ordre de détention lancé par un juge fédéral argentin, Rodolfo Canicoba, à l’encontre de 45 anciens militaires et un civil accusés de génocide, de tortures et de terrorisme. Elle ouvre donc la voie aux demandes répétées d’extradition du juge espagnol Baltasar Garzon qui réclame depuis 1999 que 48 personnes impliquées dans les exactions de la dictature militaire soient extradées vers l’Espagne pour y être jugées. Deux d’entre elles sont depuis décédées.

Quelques heures après l’abrogation du décret par le président Kirchner, l’ordre de détention lancé par le juge Canicoba a été en partie exécuté. Plusieurs personnes, accusées par le magistrat espagnol de s’être illustrées «par des meurtres multiples, des blessures, des arrestations et des incendies» ont ainsi été arrêtées ou maintenues en détention. Parmi elles figurent deux anciens dictateurs, l’ancien général Jorge Videla et l’ancien amiral Emilio Massera, tous deux âgés aujourd’hui de 77 ans. Le premier a été le leader du putsch du 24 mars 1976 qui lui a permis de prendre les rênes du pouvoir pendant les cinq premières années de la dictature. C’est sous son règne que la répression a été la plus violente avec la disparition de quelque 30 000 personnes. Le second, surnommé «commandant zéro», a été responsable de l’Ecole de mécanique de la marine, le principal centre de détention de la capitale où 4 000 personnes ont disparu. Les deux hommes avaient été condamnés à la réclusion à perpétuité en 1985 lors du procès historique intenté aux juntes qui ont tenu d’une main de fer l’Argentine de 1976 à 1983. Mais en 1990 ils ont pu bénéficier de l’«indulto», le pardon aux officiers condamnés en 1985 décrété par l’ancien président Carlos Menem. Mais les deux hommes n’échapperont pas pour autant à la justice grâce notamment à l’accusation d’enlèvement de bébés nés en détention dans les maternités clandestines des camps militaires et arrachés à leur mère, seul crime de la dictature jusque-là non prescrit.

Paris réclame l’extradition de «l’ange blond de la mort»

L’actuel maire de Tucuman, l’ancien général Antonio Bussi, fait également partie des personnes arrêtées sur ordre du juge Canicoba. Figure emblématique de «la lutte anti-subversive» dans la province de Tucuman, il s’est non seulement attaqué à plusieurs groupes armés de la guérilla mais également aux organisations syndicales, d’agriculteurs et d’étudiants. Sentant le vent tourné, Antonio Bussi s’était recyclé avec le retour de la démocratie en politique, prenant notamment la tête d’un parti de droite.

Sur les 23 personnes arrêtées jusqu’à présent figure enfin l’ancien capitaine de corvette Alfredo Astiz, âgé aujourd’hui de 50 ans. Il a été placé en détention dans les locaux de la marine militaire avec plusieurs autres officiers. Surnommé «l’ange blond de la mort», il est l’une des grandes figures des «groupes de travail» qui semèrent la terreur et la mort à Buenos Aires durant «la sale guerre». Il avait été condamné par contumace par la cour d'assises de Paris en 1990 à la réclusion criminelle à perpétuité pour l'assassinat de deux religieuses françaises, Alice Domon et Léonie Duquet. Son arrestation par les autorités argentines a été saluée par Paris qui a aussitôt annoncé qu’elle allait réclamer son extradition vers la France.

L'avocate des familles françaises de disparus pendant la dictature s'est également félicitée de ces arrestations. «C'est un moment effectivement très important car il n'y a jamais eu d'arrestations aussi massives», a déclaré Me Sophie Thonon. «Ma plus grande satisfaction, a-t-elle toutefois souligné, serait que ce soit la justice argentine qui juge et retrouve l'initiative et que les justices étrangères ne servent plus que comme juridictions de substitition».



par Mounia  Daoudi

Article publié le 26/07/2003