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Sierra Leone

Foday Sankoh échappe à la justice

Foday Sankoh échappe à la justice internationale. Le père fondateur du très sanguinaire Front révolutionnaire uni (RUF) est mort avant même son procès devant le tribunal spécial chargé de juger les crimes contre l’humanité commis en Sierra Leone depuis 1991. Popay ou Papa, comme l’appelaient les enfants dressés pour tuer qu’il avait enrôlés de force pour faire main basse sur les diamants sierra léonais, Foday Saybana Sankoh, l’atroce démiurge d’une décennie de terreur était dans un état de délabrement physique et psychologique tel que son avocat avait demandé l’arrêt des poursuites. La Cour envisageait de le faire soigner à l’étranger. Aucun Etat n’a accepté de le recevoir. Le Ruf, pourfendeur de casques bleus, avait entraîné en mai 2000 l’intervention d’un commando des forces spéciales britanniques en Sierra Leone. Son père fondateur, le poulain du Libyen Khadafi et du Libérien Taylor, Foday Sankoh, est mort à 65 ans, en vieillard illuminé se prenant pour Dieu.
Diamants, coups d’Etat (une demi-douzaine), trafics (armes contre gemmes), l’histoire mouvementée de Sierra Leone a vu naître Foday Saybana Sankoh dans le district Tonkolili le 17 octobre 1937, selon l’état civil de la Couronne britannique qu’il a servi de 1956 à l’indépendance (27 avril 1961) avant de participer en 1967 au groupe de putschistes qui finira par porter Siaka Stevens au pouvoir. Au début des années soixante-dix, Foday Sankoh abandonne ses galons de caporal pour se lancer dans la photographie. Entre temps, Stevens et sa filière diamantaire libanaise sont remplacés par le régime plutôt bonasse mais déjà fortement militarisé de Joseph Momoh. Photographe de mariage ou cameraman de télévision, Foday Sankoh a commencé à se faire suffisamment connaître comme leader étudiant pour tâter brièvement de la prison et trouver le chemin de Tripoli où l’ardent colonel Muamar Khadafi répand ses prodigalités parmi les dissidents ouest-africains sensibles à ses idées révolutionnaires. Hôte déjà choyé de la Libye et ami du Burkinabé Blaise Compaoré, le Libérien Charles Taylor propose à son voisin Sankoh de faire cause commune.

C’est un Front révolutionnaire uni (Ruf) que Foday Sankoh fonde en Libye en 1989. Sa rhétorique fustige très classiquement la bourgeoisie comprador qui, de fait, accapare les diamants sierra léonais à son seul profit. A la fin des années quatre-vingt, Foday Sankoh fait ses premières armes rebelles dans les rangs du Front patriotique national du Libéria (NPFL) de Taylor. En 1991, sa première opération en Sierra Léone vise justement les mines de l’Est du pays où Taylor a organisé son entrée en scène militaire, à la tête d’une centaine d’hommes. Pour Taylor, le chaos organisé en Sierra Leone est tout bénéfice : il permet de mêler aux pierres du Libéria celles de son riche voisin et d’augmenter d’autant son propre trésor de guerre.

Les diamants de la terreur

A la fin des années quatre-vingt-dix, la valeur des exportations officielles de diamants de Sierra Leone chute à 30 millions de dollars, tandis que le Libéria nettement moins doté par la nature enregistre au contraire une hausse vertigineuse à 300 millions de dollars. Ceux qui s’en indigneront dans les rangs du Ruf seront purement et simplement éliminés, à l’instar des deux premiers compagnons de route révolutionnaire de Foday Sankoh, Abu Kanu et Rashid Mansaray. Mais pour tenir les mines, il faut faire la guerre et si les diamants paient les munitions, il faut des hommes pour s’en servir. Les enfants seront la chair à canon privilégiée du Ruf. Ils sont nombreux et désoeuvrés dans les villages misérables de Sierra Leone. Pour les convaincre, le Ruf les contraint de tuer père et mère, stratégie de la terreur éprouvée de par le monde pour modeler la psychologie juvénile. Les jeunes filles servent au repos des guerriers.

Discours populiste et chrétien côté face, stratégie de la terreur côté pile, Foday Sankoh menace de près Freetown avec l’aide de son parrain libérien. En 1992, les militaires du capitaine Valentine Strasser s’attachent les service de chiens de guerre blancs venus d’Afrique du Sud pour arracher le pouvoir. La compétition autour des diamants se poursuit pour le plus grand malheur des civils. Valentine Strasser expulsé en Guinée en janvier 1996, des élections portent Ahmed Tejan Kabbah à la présidence en mars. En novembre, au terme de huit mois d’âpres négociations Foday Sankoh lui concède un accord de paix à Abidjan où il tient prudemment ses quartiers avant de s’exiler au Nigéria où les inquiétudes régionales lui valent une résidence surveillée. Mais quelques mois plus tard, le 25 mai 1997, le Ruf se rapproche du pouvoir avec le coup d’Etat de Johnny Paul Koroma qui l’intègre dans sa junte. En mai 1998, après maints accords violés, il faudra l’intervention musclée des forces ouest africaines de l’Ecomog pour déloger putschistes et rebelles afin de ramener Kabbah à Freetown.

Le 6 janvier 1999, le Ruf reprend Freetown à l’Ecomog au prix d’une terrible bataille qui fait des milliers de morts. Il tient la ville jusqu’en février et des négociations sont ouvertes à Lomé, au Togo. Le 7 juillet 1999, un nouvel accord de paix est signé. Il accorde l’amnistie et un partage du pouvoir au Ruf. Foday Sankoh reçoit la vice-présidence d’Ahmed Kabbah mais surtout la haute main sur le secteur minier. Cela n’empêche pas la démobilisation et le désarmement des ex-rebelles de piétiner. Les anciens combattants ne veulent pas quitter les champs diamantifères. A la fin de l’année, une Mission des Nations unies en Sierra Leone (Minusil) est dotée de 6000 hommes pour veiller à l’application d’un accord qui achoppe. Début 2000, la Sierra Leone est explosive. Le 2 mai, le Ruf prend des centaines de casques bleus en otages. Plusieurs sont tués au passage. Comme à son habitude, Foday Sankoh souffle le chaud et le froid, niant toute responsabilité. Londres dépêche un commando de plusieurs centaines de membres des forces spéciales britanniques pour laver l’affront fait à l’Onu.

A Freetown, en ce mois de mai 2000, Foday Sankoh ouvre le feu sur une petite manifestation de civils qui protestent aux portes de sa maison. Reconnu dix jours plus tard par un passant, Foday Sankoh erre dans les rues, en caleçon, un chiffon sur la tête. Il est arrêté et mis au secret dans une prison de l’Onu. En mars dernier, le procureur américain du tribunal spécial de Sierra Leone, une instance mixte – nationale et internationale – lui a imputé dix-sept chefs d’inculpation. Chantant des cantiques et déclinant à grand peine son identité, lors de sa première comparution, le rebelle défunt s’était déclaré «porteur de Dieu et chef de Sierra Léone» avant de sombrer dans le silence et l’inertie. Il n’a jamais reconnu le moindre crime, pas plus que ses comparses, Johnny Paul Koroma et Sam Bockarie, morts de mort violente en avril et mai dernier.




par Monique  Mas

Article publié le 30/07/2003