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Irak

Peur chez les «collaborateur» irakiens

Les deux filles de l’ancien dictateur Saddam Hussein, Raghad et Rana, accompagnées de leurs neuf enfants sont arrivées jeudi en Jordanie en provenance de Syrie, où elles s’étaient réfugiées deux semaines après la chute de Bagdad, vers la fin avril. Au même moment Colin Powell a autorisé le versement d’une récompense de 30 millions de dollars à l’informateur irakien dont les renseignements ont abouti à la mort des fils de Saddam Hussein, Oudaï et Qoussaï. A Bagdad, le Conseil de gouvernement transitoire a décidé que les neufs membres de la présidence tournante exerceraient leurs fonctions selon l’ordre alphabétique : le premier à diriger ce Conseil, pour un mois, est Ibrahim Al-Jaafari, qui sera suivi par deux autres chiites : Ahmad Chalabi et Iyad Al-Allaoui.
De notre envoyé spécial à Bagdad

«Nous ne sommes pas des collaborateurs mais au service de la population.» Le lieutenant-colonel Raad Abbas, responsable du poste de police d’Al-Khadra, un quartier résidentiel de Bagdad, refuse d’être assimilé à un «aamil», un «collabo» en arabe. Dans son bureau spartiate, il cherche à positiver sa situation : «les soldats américains sont là pour protéger notre commissariat et pour empêcher que nous soyons attaqués ou pris pour cible. Ils nous aident à accomplir nos taches quotidiennes. Ils nous ont fourni des uniformes neufs, des armes, des badges d’identification et des téléphones portables».

Un GIs entre dans son bureau avec des fiches d’interpellations dans les main. Par le biais de Moustapha, un étudiant qui fait office de traducteur, il demande au lieutenant-colonel Abbas de lui remettre un sac en plastique contenant un revolver, des balles et des couteaux ayant servis à des agressions qui doivent être analysés par les Américains. Palabres et l’Irakien lui remet finalement le contenu du sac.

«La communication n’est pas facile», soupire le soldat quand deux autres de ses collègues font alors irruption dans le bureau : «désolé, mais les journalistes ne peuvent réaliser des interviews dans les locaux de la police, ce sont les consignes, mais vous pouvez aller bavarder dehors», lance l’un d’eux sur un ton poli mais ferme.

A l’extérieur, le lieutenant colonel Raad Abbas avoue que ce n’est pas facile pour lui d’être commandés par des soldats qui ont des grades subalternes. Question de d’honneur et d’amour propre. Mais il ne se plaint pas trop car il gagne 160 dollars par mois et son salaire sera augmenté de 20 dollars le mois prochain. Au fond de lui même, il sait que les vrais patrons de son commissariat sont ces jeunes soldats américains venus de Floride ou de l’Ohio.

Le poste de police ressemble à un camp retranché. Une chicane composée d’énormes sacs de sable sert à ralentir et à dévier la circulation. Des blindés sont positionnés devant et des soldats américains montent la garde. Dans le hall, un appareil à détection a été installé pour contrôler les sacs. Côte à côte, policiers irakiens et soldats américains surveillent les entrées. Les relations avec la population sont souvent conflictuelles. «Les policiers n’ont pas une bonne image, les gens ne leur font pas confiance car sous l’ancien régime, la majorité d’entre eux étaient corrompus», lance un chauffeur de taxi de Bagdad.

Après la mort il y a quelques semaines de sept policiers à Ramadi victimes d’une attaque alors qu’ils étaient en stage de formation avec des Américains, les Irakiens qui travaillent avec la Coalition savent qu’ils sont désormais des cibles potentielles. Les menaces sont devenues explicites. Avec les piètres performances de l’administration d’occupation, certains préfèrent désormais éviter de côtoyer les GIs.

Les messages audio de Saddam mais aussi ceux de groupuscules islamistes les ont appelé à cesser toute collaboration avec les forces d’occupation sous peine de subir des représailles sanglantes. «Des Irakiens trop proches des Américains ont reçu des colis contenant des dessous féminins et du rouge à lèvres en guise de premier avertissement qui voulait dire : vous n’êtes pas des hommes mais des femmes, ce qui en Irak est une insulte suprême», affirme un cheikh de Ramadi.

L’assassinat du maire d’Al-Haditha et de son fils, réputés pro-américain, ou de cette responsable employée à la compagnie d’électricité à Bagad, ont instillé un sentiment d’inquiétude chez les Irakiens employés par la Coalition. Ghassan Adnane est en charge de la sécurité au Centre des conférence, un bâtiment réquisitionné par l’administration d’occupation américaine. Il gère trois équipes de 17 agents. «Dans mon voisinage, personne ne sait que je travaille avec les Américains. Seules ma femme et ma famille sont en courant. Je ne tiens pas à avoir des problèmes, je préfère être discret».

Le profil bas est désormais de rigueur. Avec les attaques qui ont visé des personnels de l’ONU mais surtout après la mort d’un expatrié du CICR sur la route entre Hilla et Bagdad, plus personne n’est à l’abri. Même au plus haut niveau. Akileh Al-Hachemi, membre du nouveau Conseil de gouvernement transitoire a ainsi confié à des proches qu’elle n’était guère rassurée : sa maison n’est pas protégée par des gardes du corps et constitue une cible facile pour d’éventuels agresseurs. Les poids lourds du Conseil comme Ahmed Chalabi, disposent eux d’imposants services d’ordre qui veillent sur eux jour et nuit.



par Christian  Chesnot

Article publié le 01/08/2003