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Côte d''Ivoire

Situation critique selon l’Onu

Le secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan, a publié le 13 août son premier rapport sur la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (Minuci) créée le 13 mai dernier. Forte de 26 officiers de liaison auxquels devraient prochainement s’ajouter une cinquantaine d’éléments supplémentaires, la Minuci est déployée sur l’ensemble du territoire ivoirien pour évaluer la mise en œuvre des accords de Marcoussis par le gouvernement de réconciliation nationale, mais aussi la situation en matière de sécurité et de situation humanitaire. Concernant les progrès dans l’application de la feuille de route de Marcoussis, l’appréciation de Kofi Annan est «mitigée». Elle est alarmante en revanche en ce qui concerne la sécurité physique et alimentaire des populations, en particulier dans le nord et l’ouest du pays.
«Le gouvernement de réconciliation nationale fonctionne, mais il reste incomplet et souvent en proie aux dissensions», écrit Kofi Annan qui observe bien des réticences de tous côtés dans la mise en œuvre du programme de Marcoussis, mission première de ce gouvernement. Au passage, le secrétaire général de l’Onu pointe l’attitude du président de l’Assemblée nationale, Mamadou Coulibaly, qui recommande la désobéissance civile à l’encontre des représentants des ex-rebelles. Carton rouge aussi pour les «Forces nouvelles» qui perpétuent la «partition» du pays et ont même créé récemment des structures de type gendarmerie, police et armée dans les zones qu’elles ne sont pourtant plus censés administrer depuis leur entrée au gouvernement. Le maintien de leur emprise au nord du pays «entrave le processus de réconciliation nationale ainsi que la libre circulation des biens et des services», déplore Kofi Annan qui exhorte également les anciens belligérants, mais tout particulièrement le président Gbagbo, à s’entendre sur le pourvoi des portefeuilles de la Défense et de la Sécurité, actuellement confié à des intérimaires, faute de consensus.

Malgré le cessez-le-feu et les autres engagements pris par les anciens belligérants, Koffi Annan estime que «la paix n’est pas revenue», pas vraiment sur le terrain de la sécurité, et encore moins dans les esprits. Selon ses informations, aucun des camps adverses n’aurait cessé de réapprovisionner ses arsenaux. Au contraire, un réarmement serait en cours. Et si à Abidjan, la sécurité s’est améliorée, la paix y reste menacée par les inquiétantes activités des adversaires de Marcoussis, en particulier «les milices du Groupement patriotique pour la paix basées dans les quartiers de Marcory et Yopougon». En province, le danger provient «des éléments incontrôlés des Forces nouvelles, qui ont mis en place des postes de contrôle sur les grandes routes dans le nord du pays». A l’Ouest, malgré le déploiement des forces françaises de l’opération Licorne, restent «des éléments armés libériens indépendants». Pillages et vols à mains armés se poursuivent et l’insécurité s’ajoute à l’effondrement général des infrastructures sanitaires, sociales et économiques dans le Nord et l’Ouest ivoirien.

«La division du pays a eu pour effet d’effacer complètement les structures étatiques et administratives chargées de la santé dans le Nord et l’Ouest», souligne le rapport. Dans ces régions, «plus de 80% du personnel de santé ont abandonné leurs postes», banques et entreprises ont tiré le rideau, plus d’un million d’écoliers du primaire a vu sa scolarité perturbée. La production et la commercialisation du coton, de la canne à sucre, du tabac et de la noix de cajou ont fortement chuté. «Les prix des produits de base ont augmenté et il y a pénurie des produits venant des zones de guerre». Les dépenses militaires ont creusé le déficit global à 91,8 milliards de francs CFA. Pire encore pour les civils, 800 000 Ivoiriens, au moins, ont dû fuir combats ou exactions, une majorité se réfugiant chez quelque parent ou ami déjà pressuré par l’économie de guerre. Parmi ces déplacés, de nombreux enfants «non accompagnés», proies toute désignées pour les sergents recruteurs. Enfin dans l’Ouest ivoirien, la ville de Guiglo, par exemple, compte quatre camps dans lesquels s’entassent 8 500 travailleurs migrants, essentiellement des Burkinabé, dont la moitié demandent toujours un rapatriement.

Préparer rapidement des élections

En ce qui concerne la situation de la population, le bilan dressé par Kofi Annan reste très partiel. Pour leur part les anciens belligérants sont visiblement encore trop occupés par leur épreuve de force politico-militaire pour s’attacher à établir un tableau complet du désastre socio-économique. La césure n’est pas seulement Nord-Sud en matière de communication. Elle est coupée d’un terroir à l’autre. Les informations du secrétaire général émanent donc principalement de la poignée de témoins indépendants, outillés pour évaluer de telles situations et dispersés sur le territoire ivoiriens, comme le Programme alimentaire mondiale ou Médecins sans frontières. Dans l’Ouest, ces derniers ont déjà distribué semences et outils à quelque 10 000 petits exploitants. Ils ont aussi traité 3 000 enfants pour malnutrition. Mais il faudra des moyens considérables pour ramener chacun chez soi avec un minimum de perspective d’avenir. Pour ce faire, l’Onu avait demandé fin avril 91 millions de dollars à l’intention de la Côte d’Ivoire et de cinq de ses voisins frappés par son effondrement économique. Jusqu’à présent, Kofi Annan a reçu seulement 20% des fonds nécessaires.

Initialement prévu le 31 juillet, le démarrage de l’opération de désarmement «a été différé du fait que les Forces nouvelles l’ont lié à l’adoption d’une loi d’amnistie – finalement adoptée le 6 août – et à la nomination des ministres de la Défense et de la Sécurité», toujours en suspens. L’administration tarde aussi à se redéployer sur le territoire et faute d’un désarmement des Forces nouvelles, le 12 août, la réouverture de la frontière avec le Burkina a été reportée sine die. Quant aux questions de fond, le gouvernement devrait former une commission nationale de la naturalisation qui pourrait, «dans un délai de neuf mois», faire des proposition sur le recensement des étrangers en Côte d’Ivoire et l’amélioration de leur statut. Par ailleurs, «la réforme du régime électoral devrait être menée à bien dans un délai de huit mois» et «fixer à 35 ans l’âge minimum des candidats» à la magistrature suprême, limitée, elle, à deux quinquennats et réservée à des Ivoiriens «nés de père ou de mère ivoiriens d’origine». Enfin, Kofi Annan se soucie grandement des médias qui devraient être soumis à une réglementation dont la mise en place pourrait s’échelonner sur une trentaine de mois, au-delà des scrutins de 2005.

«La prochaine étape critique» du programme du gouvernement sera, selon Kofi Annan, «la soumission à l’Assemblée nationale de 41 projets de décrets et de lois portant» sur toutes ces questions censées concrétiser la réconciliation nationale. Elles sont nombreuses et délicates, estime Kofi Annan pour qui «il importe que les préparatifs des élections commencent rapidement». En attendant, l’attelage gouvernemental tire en effet à hue et à dia.



par Monique  Mas

Article publié le 13/08/2003