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Mexique

L’autonomie indigène avance en silence

Depuis le soulèvement des zapatistes au Chiapas en janvier 1994, il y a presque dix ans, les communautés indigènes ont pris conscience qu’il leur fallait se regrouper pour faire valoir leurs droits. Dans les régions les plus indiennes comme le Chiapas ou le Oaxaca, cette lutte a souvent été accompagnée d’affrontements, de militarisation, de répression. Dans d’autres État, un modus vivendi s’est instauré. C’est ce qui se passe au Michoacán où vivent, éparpillées dans la moitié sud de l’État, environ 35 communautés nahuatl.
De notre correspondant à Mexico

Inquiètes de voir les banquiers, les marchands de soleil internationaux et même le gouvernement mexicain à travers son fond de développement touristique (Fonatur) s’intéresser d’un peu trop près à leurs plages bordées de cocotiers, ces communautés indigènes se sont regroupées pour prendre en main leur développement. Pour éviter la construction d’hôtels de luxe dont ils ne seraient au mieux que les jardiniers ou les femmes de chambre, les indigènes ont fait classé leurs terres en réserve écologique, afin que personne ne puisse construire sans leur autorisation. Ils ont fait valoir la Convention 169 sur les Peuples indigènes, de l’Organisation internationale du travail ratifiée par le Mexique en 1990, qui reconnaît aux communautés le droit de décider de leurs propres priorités.

Pour mettre en valeur ce patrimoine touristique, sans se faire évincer, pour gagner un peu d’argent en écoulant leurs produits agricoles et leurs poissons, les indigènes ont développé, sur huit plages paradisiaques, des projets éco-touristiques qui offrent à la classe moyenne mexicaine des campings, des petits restaurants, quelques chambres rustiques ainsi que des tours en bateau pour plonger ou aller à la pêche. Sur les 285 kilomètres de côtes où alternent plages de sables, criques et rochers, les communautés ont mis en valeur ce qu’elles avaient de mieux. Maruata qui mise sur les séjours des étudiants a développé des palapas, c’est à dire des abris de palmes pour le camping à un prix très raisonnable de 2,5 euros par personne, avec accès à une cuisine, aux douches et aux toilettes. Manzanillera, sur une plage de sable merveilleuse, mise sur un tourisme plus luxe avec une dizaine de petites chambres sur un promontoire face à la mer. A la Ticla, pour la quatrième année consécutive, les indigènes organisent un tournoi national de surf. Les vagues de 4 à 6 m de hauteur ont vite fait la renommée de ce lieu qui est investi toute l’année par des surfeurs américains Une série de petites maisons en palme, éparpillées sur la plage peuvent accueillir jusqu’à 60 personnes.

Conseils et prêts bonifiés

Le développement de ces lieux que l’on appelle des paradors touristiques s’est fait grâce à des prêts du gouvernement du Michoacán. Chaque communauté concernée a pu emprunter, bien que n’étant pas solvable, des sommes plus ou moins importantes selon les projets, entre 70 000 et 150 000 euros, remboursables sur 10 ou 15 ans, à des taux bonifiés. Dans chaque communauté, une dizaine de familles intéressées par ce type de développement se sont portées caution morale, en échange de quoi elles pourront, à tour de rôle, gérer les structures en recevant un salaire de 15% pris sur les ventes de nourriture et de 10% sur l’hébergement. Le gouvernement de l’État s’est chargé de l’infrastructure: les paradors ont été équipés d’électricité, d’eau courante, de gaz et même d’un téléphone. Des architectes et maîtres d’œuvre ont construit les locaux. L'idée centrale, tant des communautés que des services sociaux du gouvernement, est de faire entrer progressivement une certaine modernité dans ces communautés indigènes qui vivent dans un archaïsme total. Estanislao Reyes, l’actuel administrateur du camping de Faro de Bucerias, a laissé pour six mois son ranch de la Llorona, à 5 kilomètres du village, qui n’a pas d’électricité. Sa famille qui compte 8 enfants, vit dans une maison de torchis et de bois avec une pièce unique, sans aucune commodité, avec une cuisine en terre sans cheminée. L’eau est extraite d’un puit dont vaches et cochons piétinent la margelle. Pour Lupita, 19 ans, la fille aînée, actuellement en charge de la cuisine du parador, il n’est plus question d’un retour à la Llorona. Dans cinq mois elle devra laisser sa place. Elle préfère économiser pour se rendre aux États-Unis plutôt que d’effectuer ce qu’elle appelle «un retour au passé».

Paradoxalement, cette ébauche de développement joue effectivement un rôle d’accélérateur de l’émigration. Si les indigènes de plus de 40 ans comme Estanislao, Victorino de la Ticla ou Auregel de Maruata acceptent de modifier leur manière de vivre, envisageant une modernisation progressive de leurs ranchs, leurs enfants n’ont qu'une seule idée en tête: fuir cet archaïsme en émigrant aux États-Unis. Un enthousiasme qui est partagé par les parents qui espèrent ainsi recevoir des dollars américains pour payer précisément la modernisation de leurs communautés.
Cette expérience est un test pour l'Institut des affaires indigènes qui soutient et gère globalement ce projet. Une première expérience menée par l’ancien gouverneur du Michoacan, Cuauhtémoc Cardenas, il y a huit ans, avait jeté les bases de ce développement autonome. L’État avait amélioré la route fédérale, électrifié les villages, construit les premiers paradors touristiques mais sans exiger aucune responsabilité de la part des communautés. En quelques années, tout s'est détérioré. Lazaro Cardenas Batel, l'actuel gouverneur, a su tirer les leçons de l’expérience paternelle. Il a responsabilisé financièrement les communautés, refusant de les assister.

S’il y a pour l’heure un développement, les indigènes commencent à mesurer les difficultés de passer à la modernité. Il faut payer l’électricité, le gaz, les impôts. Pour construire, il faut du ciment, des fers, des tuyaux, etc. Or que ce soit pour les services ou pour les achats, il faut faire 150 à 200 km pour trouver la première banque, une quincaillerie, un marchand de ciment. Quant aux transports: il y a un autobus par jour dans un sens ou dans l'autre, sans horaire fixe. Par ailleurs, le développement est associé à une promotion sociale et au droit à l’éducation. Pour envoyer les enfants à l’école secondaire ou à l'université, c'est pratiquement impossible, car rien n'est fait pour cela et la corruption pour avoir bourses ou places à l'université de Ticoman qui est la plus proche coûtent finalement aussi cher que d'envoyer ses enfants aux États-Unis!



par Patrice  Gouy

Article publié le 11/08/2003 Dernière mise à jour le 01/01/2006 à 16:39 TU