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Grande-Bretagne

L’entourage de Blair devant le juge Hutton

Après l’audition, la semaine dernière, des journalistes de la BBC et de l’entourage de David Kelly, c’était au tour cette semaine des proches collaborateurs de Tony Blair de venir témoigner devant le juge Brian Hutton. Le magistrat est chargé de faire la lumière sur la mort de ce scientifique, spécialiste en armes de destruction massive, retrouvé mort dans un bois après que son nom eut été donné en pâture à la presse britannique. David Kelly était accusé d’avoir été la taupe d’un reporter de la BBC qui avait affirmé que le gouvernement Blair avait sciemment rendu «plus sexy» le rapport qu’il a publié en septembre dernier sur l’arsenal de Saddam Hussein dans le seul but de convaincre une opinion publique très réticente à l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne. Cette information est à l’origine de la crise majeure qui secoue depuis des semaines la vie politique et médiatique britannique. Tony Blair et son ministre de la Défense, Geoff Hoon, seront entendus la semaine prochaine par le juge Brian Hutton.
L’audition d’Alastair Campbell, l’éminence grise de Tony Blair, a sans aucun doute été le point d’orgue de cette semaine de témoignages dans l’enquête qui doit tenter de déterminer les causes du décès de David Kelly. Le directeur de la communication du 10 Downing Street avait été personnellement mis en cause par le reporter de la BBC, Andrew Gilligan, qui l’avait accusé d’être à l’origine de l’information selon laquelle Saddam Hussein pouvait déployer et lancer des missiles en 45 minutes. A son arrivée au tribunal, celui que l’on surnomme «le vrai vice-Premier ministre» a été hué par une trentaine de manifestants opposés à la guerre. «Trouvez l’arme de duperie massive», pouvait-on notamment lire sur une pancarte représentant Tony Blair ou encore «8 000 Irakiens morts, 55 soldats britanniques morts, le docteur Kelly mort, le chaos en Irak… Libération

Ne dérogeant pas à son assurance légendaire, Alastair Campbell a catégoriquement nié avoir exagéré la menace représentée par Saddam Hussein. «Je n’ai été à l’origine d’aucun ajout, d’aucun retrait, d’aucune influence» sur la mention de la capacité irakienne à déployer des armes de destruction massive dans un délai de 45 minutes, a-t-il ainsi affirmé devant le juge Hutton. Il a également précisé avoir eu accès pour la première fois le 10 septembre à un brouillon du dossier sur l’arsenal irakien et que cette version contenait déjà la mention des 45 minutes. Il a surtout renvoyé la responsabilité de l’élaboration du document contesté sur le Comité conjoint des services de renseignement (JIC) et son président, John Scarlett. «Il a été décidé que John Scarlett serait totalement en charge de la rédaction du dossier et que nous au 10 Downing Street lui apporterions tout le support qu’il réclamerait». Interrogé sur la révélation à la presse de l’identité de David Kelly, Alastair Campbell s’est contenté de répondre : «A ce stade, c’était inévitable, mais je n’ai rien fait pour la provoquer».

Le témoignage du directeur de la communication de Tony Blair a toutefois été largement mis a mal par les déclarations devant le juge Hutton de plusieurs proches du Premier ministre. Ainsi, l’un des deux porte-parole du 10 Downing Street a affirmé qu’Alastair Campbell avait bien suggéré à Geoff Hoon, de révéler à un journal la rencontre de David Kelly avec le reporter de la BBC. «C’était le 7 juillet en fin d’après-midi, dans son bureau même», a expliqué Godric Smith. «Il était au téléphone avec le ministre de la Défense et il lui a suggéré de révéler à un quotidien qu’un conseiller du ministère –David Kelly– s’était présenté comme pouvant être la source» du reportage d’Andrew Gilligan. Même si, selon Godric Smith, Alastair Campbell ne souhaitait pas révéler directement le nom du scientifique, son témoignage tranche singulièrement avec celui du directeur de la communication de Tony Blair.

Doutes sur l’arsenal irakien dans l’entourage de Blair

Encore plus décrédibilisant pour Alastair Campbell auront été quelques-uns des 900 courriers électroniques et documents écrits présentés par le juge Hutton au cours de cette semaine. Dans un e-mail envoyé par l’un des porte-parole du service de presse du 10 Downing Street, Daniel Pruce, on peut notamment lire «notre but vise à donner l’impression que les choses n’ont pas été statiques en Irak mais que Saddam Hussein au cours de la dernière décennie a poursuivi agressivement et impitoyablement son programme d’armes de destruction massive, tout en réprimant son peuple». Dans un autre courrier électronique, Jonathan Powell, le directeur de cabinet de Tony Blair écrit une semaine avant la publication du rapport contesté que «le document ne fait rien pour démontrer qu’il y a menace, encore moins une menace imminente». Et d’ajouter : «le dossier est bon et convaincant pour ceux qui sont prêts à être convaincus».

Un message électronique est encore plus explicite de la forte implication des services du Premier ministre dans l’élaboration du rapport sur l’armement irakien. Il émane de l’adjoint d’Alastair Campbell qui écrit le 11 septembre : «Il y a encore un long chemin à faire. Avec le dossier tel qu’il est aujourd’hui, je crois que nous aurons beaucoup de problèmes».

Concernant plus particulièrement le dossier David Kelly, le témoignage de Kevin Tebbit, a permis de dévoiler les pressions auxquelles a été soumis le scientifique de la part de sa hiérarchie. Cet homme, qui est le plus haut fonctionnaire du ministère britannique de la défense, a confirmé avoir voulu protéger l’expert en désarmement d’une comparution publique devant une commission mais qu’il avait dû s’incliner face à son ministre de tutelle. Il avait même écrit le 10 juillet à Geoff Hoon pour tenter d’éviter sa comparution devant la commission des Affaires étrangères de la Chambre des communes. «Je disais que nous devrions montrer un certain égard pour cet homme qui s’était présenté volontairement», a-t-il déclaré devant le juge Hutton.

Selon Kevin Tebbit, David Kelly a été interrogé à deux reprises par ses supérieurs. Il a également reconnu que le président JIC, John Scarlett, avait réclamé que lui soit appliqué «un interrogatoire dans le style de celui des services de sécurité». Un interrogatoire qui aurait pu fragiliser ce scientifique très peu habitué aux feux médiatiques.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 22/08/2003