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Grande-Bretagne

Tony Blair plaide sa bonne foi

Le Premier ministre britannique a sans doute vécu ce jeudi l’un des jours les plus difficiles de sa carrière politique. Tony Blair est en effet venu témoigner pendant deux heures et vingt minutes devant le juge Brian Hutton, chargé de faire la lumière sur le suicide de David Kelly, cet expert en armes de destruction massive, retrouvé mort le 17 juillet après que son nom eût été livré en pâture à la presse. Le scientifique s’est révélé être la source principale d’un journaliste de la BBC, auteur d’un reportage accusant le gouvernement Blair d’avoir «rendu plus sexy» le dossier sur les armes irakiennes de destruction massive dans le seul but de convaincre une opinion publique très réticente à l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne.
Les Britanniques ont décidément le sens de l’humour. Ouvrant l’audition de Tony Blair, l’assesseur du juge Hutton a déclaré au Premier ministre : «je ne crois pas qu’il soit nécessaire de vous présenter». Entrant dans le vif du sujet, il lui a toutefois immédiatement demandé de fournir des précisions sur le dossier des armes irakiennes de destruction massive, objet depuis des semaines en Grande-Bretagne de toutes les polémiques. Niant catégoriquement que le document présenté au parlement britannique pour justifier la guerre en Irak ait été modifié pour des raisons politiques, Tony Blair est allé jusqu’à mettre sa démission en balance. «Si ces accusations avaient été vraies, cela aurait mérité que je démissionne», a-t-il déclaré au juge Hutton.

Privilégiant l’attaque, le chef du gouvernement britannique s’en est pris à la chaîne de télévision publique. «Nous avons publié un démenti très ferme aux allégations de la BBC qui n’a servi à rien», a-t-il ainsi déclaré, sous-entendant que la chaîne avait refusé de faire marche-arrière par rapport au reportage de son journaliste Andrew Gilligan. Ce dernier accusait notamment le chef de la communication du 10 Downing Street, le très controversé Alastair Campbell, d’avoir personnellement inclus dans le rapport la mention selon laquelle le régime de Bagdad pouvait déployer des armes chimiques et biologiques dans un délai de 45 minutes. Défendant son équipe, Tony Blair ne s’est pas privé de disqualifier le travail du journaliste, n’hésitant pas pour cela à se servir d’une rhétorique nationaliste. Il s’agit, s’est-il ainsi défendu, d’«une attaque qui ne visait pas seulement le cœur du bureau du Premier ministre mais aussi d’une attaque contre la manière dont nos services de renseignement fonctionnent et contre le pays dans son ensemble».

Malgré ses dénégations, Tony Blair devrait avoir le plus grand mal à convaincre une opinion publique qui affirme majoritairement ne plus lui faire confiance. Selon un sondage publié dimanche dernier par le Daily Telegraph, 67% des personnes interrogées estiment avoir été trompées sur les armes irakiennes de destruction massive et un tiers d’entre elles sont d’avis que le Premier ministre doit démissionner. Plus grave pour Tony Blair, 61% des personnes sondées disent croire les affirmations de la BBC et 58% avoir moins confiance en leur chef du gouvernement.

Des documents très gênants

Les auditions devant le juge Hutton ne se faisant pas sous serment, Tony Blair pourra difficilement être accusé de parjure. Pourtant de nombreux documents viennent mettre en doute ses affirmations selon lesquelles le dossier sur les armes de destruction massive n’a à aucun moment été modifié par lui-même ou son cabinet. Un mémorandum de son chef de la communication, Alastair Campbell, publié sur le site Internet de l’enquête, suggère ainsi que Tony Blair a personnellement demandé à ce que la menace nucléaire soit soulignée dans le rapport gouvernemental sur l’arsenal irakien. «Le Premier ministre est soucieux de la façon dont vous présentez le nucléaire», écrit ainsi, le 17 septembre, celui que l’on qualifie d’éminence grise de Tony Blair. Deux jours plus tard il récidive en proposant notamment une réécriture du passage sur le nucléaire avec en conclusion la formule suivante : «ils pourraient produire des armes nucléaires dans un délai de un à deux ans». Une formulation que l’on retrouve mot pour mot dans le rapport final publié le 22 septembre.

Concernant l’affaire Kelly, le Premier ministre, qui a affirmé qu’il ignorait que le scientifique s’occupait du dossier controversé sur l’arsenal irakien, n’a pas démenti que la décision de divulguer son nom a la presse avait été prise avec l’accord de son équipe. La veille, le ministre de défense, Geoff Hoon, qui jouait sa survie politique, avait affirmé que Tony Blair avait approuvé cette décision. «Je savais bien sûr que le Premier ministre avait pour l’essentiel le même point de vue que moi», avait-il déclaré en précisant toutefois : «je reconnais qu’en dernier lieu c’était ma décision». L’enquête du juge Hutton avait déjà montré que Geoff Hoon n’avait pas suivi l’avis de l’un de ses principaux collaborateurs lui enjoignant d’épargner à David Kelly un difficile interrogatoire devant une commission parlementaire. Le ministre a justifié sa position en expliquant qu’il voulait éviter que le gouvernement soit accusé d’avoir étouffé l’affaire. Deux jours après son audition par la commission des Affaires étrangères du parlement britannique, David Kelly était retrouvé mort dans un bois près de son domicile. L’enquête policière avait conclu à un suicide.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 28/08/2003