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Argentine

Kirchner tente d'éviter les extraditions

Le président s’est dit favorable à un jugement sur place plutôt qu’à l’étranger des anciens officiers accusés de violations de droits de l’homme dans les années soixante-dix. Et il a appelé la Cour suprême à assumer ses responsabilités : seule l’adoption d’une déclaration d’inconstitutionnalité des lois d’amnistie de 1986 et 1987 par le plus haut tribunal argentin permettrait que de nouvelles procédures soient engagées dans le pays.
De notre correspondant à Buenos Aires

Les anciens militaires accusés de violations des droits de l’homme et arrêtés en Argentine à la demande du juge espagnol Baltasar Garzón seront-ils extradés ? Très probablement pas. En déclarant le 30 juillet qu’il était favorable à un jugement sur place, le président Néstor Kirchner a clarifié sa position sur le sujet. En effet, un malentendu s’était créé quelques jours plus tôt, notamment à l’étranger, quand il avait annulé le décret de 1999 bloquant toute procédure d’extradition.

Le chef de l’Etat avait pris cette décision le 25 juillet, retour des Etats-Unis, afin d’éviter que, suite à l’application du décret, les personnes détenues soient rapidement relâchées. Mais il n’avait pas caché son irritation à l’égard de Garzón et de son homologue argentin Rodolfo Canicoba Corral : le premier, parce qu’il avait réagi à un discours du propre Kirchner sur la question en relançant une demande qui dormait dans ses cartons depuis quatre ans ; le second, parce qu’il n’avait pas attendu plus de vingt-quatre heures avant d’ordonner les arrestations des quarante-six personnes réclamées par son collègue.

De la sorte, ces deux magistrats mettaient le président argentin sous pression, l’obligeant à avancer dans l’urgence sur un sujet plus complexe qu’il n’y paraît. Certains n’ont pas manqué de remarquer qu’il avait peut-être lui-même imprudemment rouvert le dossier de la dictature 1976 - 1983. Tout aussi soucieuse de justice que lui, la députée de gauche et candidate à la dernière présidentielle Elisa Carrió a ainsi reproché à Kirchner d’agir de manière précipitée, au risque de réveiller inutilement d’anciens affrontements. Appréciation sans doute excessive, sauf pour ce qui est de la méthode, le président partageant le souci d’équilibre de son ancienne adversaire.

L’opinion prévaut qu’aucun militaire ne sera jugé à l’étranger.

Kirchner souhaite apurer le passé, en complétant ce qui a été fait en 1985 avec le procès des chefs des juntes. Un procès sans précédent en Amérique latine, qui avait débouché sur la condamnation de la plupart d’entre eux à de lourdes peines (la perpétuité pour les anciens dictateurs Jorge Videla et Emilio Massera). Mais des centaines d’officiers impliqués dans la disparition de milliers de personnes ont fini par échapper à la justice grâce aux lois d’amnistie votées en 1986 et 1987. C’est en pensant à eux que le président s’est prononcé pour la fin de l’«impunité» au lendemain de son élection, non sans surprendre une opinion qui ne pensait pas que l’on reviendrait sur cette période près d’un quart de siècle après les faits. Avant que Garzón ne vienne troubler le jeu.

La demande du juge espagnol est d’autant plus embarrassante qu’elle concerne des personnes aux statuts juridiques différents. Certaines ont déjà été jugées. D’autres étaient aux arrêts suite à l’ouverture de procédures pour la disparition de bébés, crime non évoqué dans les procès de 1985. Videla et Massera, qui ont par ailleurs bénéficié d’une grâce présidentielle après cinq ans de détention, cumulent ces deux situations, qui les rendent également non extradables. D’autres encore, comme l’ancien officier de marine Alfredo Astiz, condamné en France par contumace, sont couverts par les lois d’amnistie : ils pourraient toutefois être extradés, maintenant que le décret a été abrogé, si la justice argentine estimait que les charges contre eux sont suffisantes. A moins qu’ils cessent d’être protégés par ces lois, ainsi que l’a déclaré Kirchner le 30 juillet. Mais, s’agissant de textes adoptés par la représentation nationale dans un cadre démocratique, leur dérogation par le Parlement n’aurait pas de valeur rétroactive. Seule une déclaration d’inconstitutionnalité de la Cour suprême permettrait d’engager de nouvelles poursuites sur place. Appelé à assumer ses responsabilités, le plus haut tribunal argentin, dominé jusqu’ici par des juges nommés par l’ancien chef de l’Etat Carlos Menem, n’a pas encore réagi. Mais il est lui-même soumis à de fortes pressions, qui ont conduit son président à la démission, tandis qu’une procédure de destitution était engagée contre un autre magistrat.

L’espoir de Kirchner (et de beaucoup d’Argentins), est que la Cour se prononce avant que la justice n’ait statué sur les extraditions. L’opinion prévaut qu’il en sera ainsi et qu’aucun militaire ne sera jugé à l’étranger. Cependant, un nouveau débat s’amorce : ne risque-t-on pas de juger les seconds couteaux plus sévèrement que les principaux responsables, aujourd’hui au moins partiellement graciés?



par Jean-Louis  Buchet

Article publié le 05/08/2003