Irak
Bush se résigne à faire une place à l’Onu
Les États-Unis vont proposer une résolution élargissant le rôle des Nations unies pour permettre la participation militaire d’un plus grand nombre de pays.
Ce projet de résolution, approuvé par George W. Bush et dont on ne connaît pas encore le détail exact représente tout ce que le président américain et ses conseillers néo-conservateurs s’étaient promis de ne jamais accepter : un rôle accru de l’Onu dans la gestion «politique» de l’Irak d’après-guerre, c’est-à-dire une implication des pays opposants à la guerre comme la France, l’Allemagne ou la Russie.
Voici quelques semaines, profitant de l’émotion suscitée par l’attentat contre les Nations unies à Bagdad dans lequel Sergio Vieira de Mello, le représentant spécial de Kofi Annan, avait trouvé la mort avec une vingtaine de collaborateurs, les États-Unis avaient bien tenté de faire approuver une résolution qui permettrait à la coalition américano-britannique de compter sur la participation militaire des forces d’autres pays, sans rien modifier au dispositif d’ensemble qui place l’Irak sous le contrôle direct de Washington. Devant le manque évident d’enthousiasme des autres membres du conseil de sécurité, Washington avait renoncé à son projet.
Lorsqu’à la demande pressante de Tony Blair, George Bush avait consenti au printemps dernier à reconnaître à l’Onu un rôle «vital» (et non «central» comme le demandaient Français, Allemands et Russes, il avait aussitôt précisé ce qu’il entendait par là : pour George Bush, l’Onu devait se cantonner à un rôle purement humanitaire, comme n’importe quelle ONG (organisation non-gouvernementale). Toutefois, l’arrivée de Sergio Vieira de Mello avait obligé le proconsul américain, Paul Bremer, à partager un peu de son rôle à Bagdad, d’autant que certains dirigeants irakiens refusaient de lui parler directement. Le tact diplomatique dont faisait preuve Vieira de Mello ne l’empêchait pas de faire connaître son désaccord avec l’approche américaine, au grand déplaisir de Washington.
C’est donc à reculons et sans aucun doute la mort dans l’âme que le chef de l’exécutif américain s’est finalement résolu à faire marche arrière et à accepter ce que lui suggère depuis plusieurs mois le Département d’État, à savoir associer plus étroitement les Nations unies à la gestion politique du dossier irakien. Les raisons de ce revirement sont à la fois évidentes et contraignantes :
Le coût de l’occupation revient aux États-Unis à près de 4 milliards de dollars par mois, c’est-à-dire environ un milliard de dollars par semaine. Le refus obstiné de la communauté internationale d’assumer une part de ce fardeau en l’absence d’une légitimation par l’Onu fait que cette somme est entièrement à la charge des contribuables américains, à qui l’on n’avait rien annoncé de tel avant la guerre. Or, ces contribuables sont aussi des électeurs et les élections de 2004 arrivent à grand pas, ce qui ne saurait laisser indifférent ni les membres du Congrès, ni George Bush lui-même. Une conférence des donateurs doit se réunir à Madrid en octobre. Pour l’heure, l’absence de consensus est telle qu’il n’est même pas sûr qu’elle puisse avoir lieu.
Les élections américaines en ligne de mire
Les forces américaines actuellement présentes en Irak se montent à 180 000 militaires, auxquels s’ajoutent 21 000 autres, principalement britanniques. Or, en raison des rotations nécessaires à la fois pour le repos et l’entraînement, les Américains ne peuvent durablement stationner sur place qu’entre 67 000 et 106 000 hommes, selon un rapport parlementaire publié ce lundi. A défaut, les États-Unis compromettraient leur présence militaire ailleurs sur la planète et compromettraient leur capacité à faire face à une crise régionale, notamment dans la péninsule coréenne.
Cette double raison commande de rapatrier dès que possible un grand nombre d’hommes de troupes, d’autant qu’à cette pression financière et logistique s’ajoute le coût politique que représente la perte presque quotidienne d’un ou plusieurs soldats. Les pertes de l’après-guerre sont depuis deux semaines supérieures à celles subies durant le conflit proprement dit.
Enfin, il devient difficile de répéter, comme l’a fait le président ces derniers mois, que le monde est plus sûr depuis la chute de Saddam Hussein et que le terrorisme a perdu des points : les attentats commis en Irak contre l’ambassade de Jordanie, le siège de l’Onu, et l’ayatollah Mohammed Baqr Al Hakim apportent un cinglant démenti à ces martiales assertions.
Reste que les récalcitrants ne viendront pas renforcer les troupes d’occupation sans un changement significatif du dispositif imposé initialement par Londres et Washington. Les États-Unis ne comptaient pas vraiment sur les Français et les Russes, et pas du tout sur les Allemands, mais ils espéraient beaucoup des Turcs, des Indiens et des Pakistanais. Or ces derniers, notamment l’Inde et le Pakistan, campent sur la même position que Paris et Moscou. La semaine dernière, le numéro deux de la diplomatie américaine, Richard Armitage, a donc lancé un ballon d’essai en suggérant que les forces étrangères en Irak pourraient être placées sous mandat de l’Onu, mais commandement américain. Prudemment, les capitales concernées se sont bien gardées de dévoiler leur jeu, attendant d’en savoir plus. Le temps travaillant contre les États-Unis, George Bush a donc été obligé d’abattre son jeu en faisant savoir que dans les jours qui viennent, un projet de résolution serait soumis aux membres du Conseil de sécurité.
Des «fuites» émanant du Département d’État laissent entendre que les opposants à la guerre pourraient trouver satisfaction dans le «langage» nouveau employé dans la résolution. Mais les signaux venant de Paris et Moscou laissent penser qu’on en attend bien davantage que de nouveaux «éléments de langage» : un véritable rôle de co-décision pour l’Onu. Jusqu’à ce jour, le Pentagone s’y est résolument opposé, mais le temps ne joue pas en sa faveur.
Au Conseil de sécurité, les protagonistes sont les mêmes qu’il y a six mois, mais les événements sur le terrain ont changé bien des choses depuis la chute de Bagdad et le triomphe de la coalition. Aujourd’hui, Bush ne peut plus se permettre de menacer l’Onu de marginalisation comme la Société des nations. Non qu’il n’en ait pas la tentations, mais ses électeurs ne le lui pardonneraient probablement pas. Son second mandat est en jeu.
Voici quelques semaines, profitant de l’émotion suscitée par l’attentat contre les Nations unies à Bagdad dans lequel Sergio Vieira de Mello, le représentant spécial de Kofi Annan, avait trouvé la mort avec une vingtaine de collaborateurs, les États-Unis avaient bien tenté de faire approuver une résolution qui permettrait à la coalition américano-britannique de compter sur la participation militaire des forces d’autres pays, sans rien modifier au dispositif d’ensemble qui place l’Irak sous le contrôle direct de Washington. Devant le manque évident d’enthousiasme des autres membres du conseil de sécurité, Washington avait renoncé à son projet.
Lorsqu’à la demande pressante de Tony Blair, George Bush avait consenti au printemps dernier à reconnaître à l’Onu un rôle «vital» (et non «central» comme le demandaient Français, Allemands et Russes, il avait aussitôt précisé ce qu’il entendait par là : pour George Bush, l’Onu devait se cantonner à un rôle purement humanitaire, comme n’importe quelle ONG (organisation non-gouvernementale). Toutefois, l’arrivée de Sergio Vieira de Mello avait obligé le proconsul américain, Paul Bremer, à partager un peu de son rôle à Bagdad, d’autant que certains dirigeants irakiens refusaient de lui parler directement. Le tact diplomatique dont faisait preuve Vieira de Mello ne l’empêchait pas de faire connaître son désaccord avec l’approche américaine, au grand déplaisir de Washington.
C’est donc à reculons et sans aucun doute la mort dans l’âme que le chef de l’exécutif américain s’est finalement résolu à faire marche arrière et à accepter ce que lui suggère depuis plusieurs mois le Département d’État, à savoir associer plus étroitement les Nations unies à la gestion politique du dossier irakien. Les raisons de ce revirement sont à la fois évidentes et contraignantes :
Le coût de l’occupation revient aux États-Unis à près de 4 milliards de dollars par mois, c’est-à-dire environ un milliard de dollars par semaine. Le refus obstiné de la communauté internationale d’assumer une part de ce fardeau en l’absence d’une légitimation par l’Onu fait que cette somme est entièrement à la charge des contribuables américains, à qui l’on n’avait rien annoncé de tel avant la guerre. Or, ces contribuables sont aussi des électeurs et les élections de 2004 arrivent à grand pas, ce qui ne saurait laisser indifférent ni les membres du Congrès, ni George Bush lui-même. Une conférence des donateurs doit se réunir à Madrid en octobre. Pour l’heure, l’absence de consensus est telle qu’il n’est même pas sûr qu’elle puisse avoir lieu.
Les élections américaines en ligne de mire
Les forces américaines actuellement présentes en Irak se montent à 180 000 militaires, auxquels s’ajoutent 21 000 autres, principalement britanniques. Or, en raison des rotations nécessaires à la fois pour le repos et l’entraînement, les Américains ne peuvent durablement stationner sur place qu’entre 67 000 et 106 000 hommes, selon un rapport parlementaire publié ce lundi. A défaut, les États-Unis compromettraient leur présence militaire ailleurs sur la planète et compromettraient leur capacité à faire face à une crise régionale, notamment dans la péninsule coréenne.
Cette double raison commande de rapatrier dès que possible un grand nombre d’hommes de troupes, d’autant qu’à cette pression financière et logistique s’ajoute le coût politique que représente la perte presque quotidienne d’un ou plusieurs soldats. Les pertes de l’après-guerre sont depuis deux semaines supérieures à celles subies durant le conflit proprement dit.
Enfin, il devient difficile de répéter, comme l’a fait le président ces derniers mois, que le monde est plus sûr depuis la chute de Saddam Hussein et que le terrorisme a perdu des points : les attentats commis en Irak contre l’ambassade de Jordanie, le siège de l’Onu, et l’ayatollah Mohammed Baqr Al Hakim apportent un cinglant démenti à ces martiales assertions.
Reste que les récalcitrants ne viendront pas renforcer les troupes d’occupation sans un changement significatif du dispositif imposé initialement par Londres et Washington. Les États-Unis ne comptaient pas vraiment sur les Français et les Russes, et pas du tout sur les Allemands, mais ils espéraient beaucoup des Turcs, des Indiens et des Pakistanais. Or ces derniers, notamment l’Inde et le Pakistan, campent sur la même position que Paris et Moscou. La semaine dernière, le numéro deux de la diplomatie américaine, Richard Armitage, a donc lancé un ballon d’essai en suggérant que les forces étrangères en Irak pourraient être placées sous mandat de l’Onu, mais commandement américain. Prudemment, les capitales concernées se sont bien gardées de dévoiler leur jeu, attendant d’en savoir plus. Le temps travaillant contre les États-Unis, George Bush a donc été obligé d’abattre son jeu en faisant savoir que dans les jours qui viennent, un projet de résolution serait soumis aux membres du Conseil de sécurité.
Des «fuites» émanant du Département d’État laissent entendre que les opposants à la guerre pourraient trouver satisfaction dans le «langage» nouveau employé dans la résolution. Mais les signaux venant de Paris et Moscou laissent penser qu’on en attend bien davantage que de nouveaux «éléments de langage» : un véritable rôle de co-décision pour l’Onu. Jusqu’à ce jour, le Pentagone s’y est résolument opposé, mais le temps ne joue pas en sa faveur.
Au Conseil de sécurité, les protagonistes sont les mêmes qu’il y a six mois, mais les événements sur le terrain ont changé bien des choses depuis la chute de Bagdad et le triomphe de la coalition. Aujourd’hui, Bush ne peut plus se permettre de menacer l’Onu de marginalisation comme la Société des nations. Non qu’il n’en ait pas la tentations, mais ses électeurs ne le lui pardonneraient probablement pas. Son second mandat est en jeu.
par Olivier Da Lage
Article publié le 03/09/2003