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Commerce mondial

OMC: de nouveaux acteurs changent le scénario

D'un peu plus de 110 membres en 1995, année de sa création, l'Organisation mondiale du commerce qui réunit sa cinquième conférence à Cancun (Mexique) du 10 au 14 septembre comprend à ce jour 146 pays et, pour une trentaine d'autres, le processus d'accession est en cours. L'arrivée de nouveaux acteurs dans ce cénacle modifie sensiblement les rapports de forces tandis qu'à l'extérieur la contestation antimondialiste s'organise progressivement.
Habitués à un dialogue euro-américain où les autres régions du monde, et en particulier les pays du sud, jouaient un rôle de figuration, les grandes puissances représentées à l'OMC ont dû apprendre à composer. La Russie est toujours absente de l'organisation mais des poids lourds démographiques et économiques comme la Chine, l'Inde, le Brésil savent désormais s'y faire entendre. En fonction des thèmes en discussion des têtes de file des pays en développement se dégagent et les alliances à géométrie variable se multiplient. Des pays moins importants ont également compris que, dans le système des Nations Unies tous les pays détiennent une voix égale. Davantage même qu'au Conseil de sécurité de l'ONU où cinq grandes puissances membres permanents disposent d'un droit de veto.
L'émergence de ces nouveaux acteurs, conscients de leur pouvoir, est devenue perceptible à Seattle en 1999 et s'est confirmée à Doha en 2001. Parallèlement on a vu la naissance et la structuration progressive des mouvements hostiles à l'ultralibéralisme attribué à l'OMC, ces antimondialistes, devenus depuis altermondialistes.


Les Etats-Unis

L'Union européenne

Le Brésil

L'Inde

Les PMA

Les altermondialistes



Les Etats-Unis ne sont pas, contrairement aux idées reçues, totalement «chez eux» à l'OMC. Les décisions rendues par l'organe de règlement des différends (ORD) sont très loin de leur être systématiquement favorables. Au contraire, ils se retrouvent souvent en position d'accusés à l'OMC car, bien que se posant en champion du libéralisme, les Etats-Unis adoptent, sur les dossiers où leurs intérêts sont en jeu, des positions jugées protectionnistes par les autres. Exemple, les surtaxes sur l'acier importé afin de protéger la sidérurgie américaine ou la loi sur les subventions à l'exportation. De même l'agriculture, où ils fustigent les aides européennes tout en subventionnant largement leurs propres agriculteurs. En revanche, sur les thèmes de la liberté des investissements, y compris dans le domaine sensible des biens culturels, ou de l'ouverture à la concurrence des services publics on les retrouve en première ligne. Sauf, quand il s'agit de lever la protection sur les brevets des médicaments contre le sida en faveur des pays pauvres. Là, les Américains se sont vus forcer la main avant de consentir à un accord, conclu sur le fil du rasoir, quelques jours avant l'ouverture du sommet de l'OMC. Et, pour ne pas mettre en péril la conférence de Cancun, après l'échec de Seattle en 1999, les Etats-Unis sont parvenus avec les Européens à une proposition commune sur la réduction des subventions agricoles, un pas dans la direction des pays en développement. Ce geste de bonne volonté euro-américain ne fait cependant pas l'unanimité parmi les autres membres de l'OMC gros exportateurs agricoles ou pays en développement.


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L'Union européenne se présente unie à l'OMC et Pascal Lamy, commissaire européen chargé du Commerce, négocie au nom des Quinze. Il est cependant entouré des entants des pays de l'Union européenne car ils sont membres à part entière de l'organisation. La position de l'Europe se situe quelque part à la croisée des chemins: grande puissance économique, elle a intérêt à l'ouverture des frontières pour exporter ses biens et services. L'Union européenne entend aussi préserver ses agriculteurs, ses productions culturelles et sa vision des services collectifs, même si des nuances persistent entre les pays membres. A cela s'ajoute la volonté de l'Union européenne de se poser en défenseur des pays pauvres et notamment d'Afrique subsaharienne. Ayant conclu un accord avec les Etats-Unis sur la réduction des aides à l'agriculture, après avoir réformé dans la douleur sa politique agricole commune, l'Union européenne rappelle, par la voix de Pascal Lamy, que les intérêts agricoles stratégiques sont fondamentalement différents entre les Etats-Unis et l'Europe.

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Le Brésil montre bien que les pays en développement ne constituent pas un bloc homogène dont les intérêts coïncideraient en tout. Ainsi, l'ambiguïté de la politique brésilienne menée par le président Lula, issu du parti des travailleurs, est-elle soulignée avec insistance avant l'ouverture du sommet de Cancun. D'un côté, le Brésil, grand exportateur de matières premières agricoles produites à bas coût sur d'immenses étendues, est membre influent du groupe de Cairns, club ultralibéral en ce domaine. Créé en 1986 à l'initiative de l'Australie le groupe de Cairns regroupe les grands pays exportateurs agricoles favorables à la suppression de toute aide directe ou indirecte à l'agriculture. Discrètement soutenu par les Etats-Unis, on y trouve des pays riches comme le Canada ou la Nouvelle-Zélande et des pays en développement comme la Thaïlande, l'Indonésie et la Malaisie. Le Brésil appartient également au G-20, groupe de pays en développement ruraux dont la Chine, l'Inde, l'Afrique du sud et l'Argentine qui jugent l'ouverture des marchés américain et européen trop timide.

De l'autre côté, le Brésil a pris la tête de la croisade en faveur de la production de médicaments génériques à bas prix contre les maladies qui touchent les pays du sud, sida, tuberculose et paludisme.


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L'Inde ambitionne d'être le porte-parole des pays en développement à l'OMC mettant en avant ses 700 millions de paysans et son passé de leader des non-alignés. Déjà en 2001 à Doha, l'Inde avait montré sa détermination en menaçant de faire capoter la conférence si des amendements n'étaient pas apporté dans son sens. Sur cette base de défense des pays du sud l'Inde se joint au chœur de ceux qui exigent l'ouverture des marchés du Nord aux produits agricoles du sud et s'élève contre les subventions dont bénéficient les agriculteurs américains et européens. Le ministre du commerce Arun Jaitley a justifié cette position par le fait que le gouvernement indien ne pouvait en aucun cas donner à ses propres agriculteurs les aides que les pays développés accordent aux leurs. Ainsi, favorable à la libéralisation des échanges agricoles qui lui serait bénéfique, l'Inde est beaucoup plus réticente lorsqu'il s'agit de traiter sur une base égalitaire les investissements étrangers et les investissements nationaux. A Cancun l'Inde va demander la suspension des discussions sur l'investissement et la concurrence. Déjà, en 1999 à Seattle, l'Inde avait mené le combat contre l'introduction de normes sociales et environnementales dans les débats à l'OMC affirmant qu'il s'agissait là de formes de protectionnisme déguisé de la part des pays riches contre les pauvres.


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Les pays les moins avancés (PMA). Ces dernières années les pays les plus pauvres de la planète ont commencé à nourrir le soupçon que les grands pays en développement comme l'Inde ou le Brésil ne les représentaient pas parfaitement en dépit de leur prétention à incarner les pays du sud. Ils plaident que le "cycle du développement " lancé à Doha en 2001 est loin pour l'instant d'avoir tenu ses promesses. Ils demandent donc à bénéficier, en tant que catégorie particulière de pays en développement, d'un traitement spécial et différencié distinguant les plus vulnérables d'entre eux des pays émergents gros exportateurs de produits agricoles. Plus généralement, leur objectif est de pouvoir renforcer leurs capacités de production à l'abri de frontières douanières et de n'être mis en concurrence avec le marché mondial qu'une fois leur essor pris.


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Les altermondialistes ont surgi en force, pour la première fois, lors du sommet de l'OMC à Seattle. Représentants de la société civile, basant leur action sur la citoyenneté, leur mouvement est né de la contestation de la globalisation ultralibérale, modèle unique, présenté comme inéluctable et porteur de progrès. De violents heurts avaient eu lieu avec les forces de l'ordre, peu accoutumées à ce type de protestation. Cet acte de naissance officiel du mouvement a été suivi de grands rassemblements à l'occasion de chaque réunion internationale de chefs d'Etat et de gouvernement dont les G8 et en Europe, les sommets de l'Union européenne. Au fil des ans, la contestation s'est organisée, s'est structurée et des organisations tendent à fédérer les militants. Le Forum social mondial de Porto Alegre est devenu La Mecque de l'antimondialisation après avoir été l'anti-Davos du nom de Forum économique mondial. Progressivement le mouvement «anti» a fait évoluer la réflexion vers des propositions alternatives à l'ultralibéralisme prenant le nom d'altermondialisation marquant bien le caractère positif de la démarche. Des associations comme Attac ou Via Campesina, dont la Confédération paysanne française de José Bové est membre, revendiquent une expertise. Peu à peu les instances officielles les prennent en compte: à Cancun près de 1000 ONG sont officiellement invitées à assister, sans y participer, au sommet de l'OMC et seront reçues par le ministre des Affaires étrangères du Mexique, président organisateur du sommet.


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par Francine  Quentin

Article publié le 07/09/2003