Irak
Ghassan Salamé: «Rendre le pouvoir aux Irakiens»
«Après l’attentat du 19 août, l’ONU ne peut plus fonctionner avec innocence». C’est le premier enseignement tiré par le principal conseiller de la mission de l’organisation internationale à Bagdad du tragique événement qui a coûté la vie à son patron, Sergio Vieira de Mello, ainsi qu’à vingt-deux autres employés des Nations unies. En acceptant la mission que leur avait confié le secrétaire général, les deux hommes avaient pourtant pris d’emblée le parti d’une vision offensive du rôle de l’ONU, malgré le rôle étriqué et ambiguë que lui conférait la résolution 1483 (format PDF). Et après avoir longuement rencontré et écouté, les deux hommes étaient parvenus à la conclusion qu’avant tout les irakiens avaient certes besoin de sécurité et de services publiques, mais également d’une autorité qui parle en leur nom, et non pas d’un simple conseil consultatif. Lors d’une conférence de presse lundi à Paris, Ghassan Salamé a esquissé les plans d’une sortie de crise.
Aujourd’hui plus que jamais, Ghassan Salamé estime qu’il faut inverser la vapeur et aller dans le sens de la responsabilisation des Irakiens eux-mêmes: «Il faut avoir le courage de mettre les Irakiens en première ligne», dit-il avant d’ajouter: «Et les autres en soutien». Selon lui, la paix et la reconstruction sont de leur responsabilité et leur laisser un simple rôle de faire-valoir, que ce soit de l’ONU ou de la coalition, est improductif. Pour cela il faut, affirme-t-il, renforcer les institutions du pays et les structures transitoires, établir un calendrier très net pour la mise en place d’institutions permanentes de façon à rassurer tous ceux qui n’auront pu prendre leur place au sein des structures transitoires. L’absence de travail sur les futures structures permanentes est préjudiciable sur les actuelles structures transitoires.
Ghassan Salamé prend acte du bourbier dans lequel s’enfonce l’Irak sous la conduite d’une administration (américaine) dont il n’approuve visiblement pas la gestion. Il dit et répète que la seule autorité légitime en Irak est celle dont se seront dotés les Irakiens eux-mêmes. Et il propose une méthode par étapes, car la situation actuelle ne permet pas d’envoyer directement les Irakiens aux urnes. Si le Conseil de gouvernement n’est pas «exhaustivement» représentatif, il l’est en tout cas «substantiellement» pour permettre le démarrage d’une vie politique institutionnelle dotée d’une légitimité minimum en attendant la mise en place d’une conférence constitutionnelle (qu’il envisage début octobre), l’adoption d’une constitution (début 2004) et la tenue d’élections générales (au mois d’avril ou mai 2004).
Il lui paraît capital de fournir des repères et d’ouvrir des perspectives datées: «Le plus grave est qu’il n’y a pas de lumière au bout du tunnel», au point que les gens ont «l’impression que le seul calendrier (dont ils disposent) est celui des élections américaines» en dehors de l’échéance du 21 novembre, inquiétante date de la fin du programme «pétrole contre nourriture» dont bénéficient 60% du peuple irakien. Car l’un des principaux problèmes qu’il identifie est celui de la durée. L’ONU est très attachée, explique Ghassan Salamé, à la fixation d’un calendrier. Car, même s’il n’est pas forcément respecté, son annonce produit un effet immédiat: il signifie que tôt ou tard l’occupation prendra fin.
Coller aux fantasmes de Washington
L’Irak est, d’autre part, un cas d’école exemplaire pour les autres nations. D’où l’importance, aux yeux du fonctionnaire de l’ONU, des arguments légitimant l’intervention, à l’égard desquels il ne cache pas sa perplexité, qu’il s’agisse de lutter contre le terrorisme international ou de redessiner la carte politique du Moyen-Orient. Ghassan Salamé estime que l’Irak est otage de visions globales qui ne collent pas avec la réalité irakienne et qui ont conduit à des erreurs coûteuses, telles que la dissolution de son armée, de sa police et de son administration. Les Irakiens, dit-il, sont victimes de parallèles établis avec d’autres situations historiques telles que l’Allemagne d’après-guerre, sur le plan politique, et d’après la guerre froide, sur le plan économique.
Dans un tel contexte la nationalité des forces en présence ou leur nombre n’a plus d’importance. Il faut, explique-t-il, inverser la tendance et remplacer ces forces internationales par des forces irakiennes, rompre avec la politique du fait accompli, tourner la page et, surtout, réunifier la communauté internationale autour du nouveau projet. Selon lui, renforcer ou augmenter les troupes de la coalition ne résoudrait pas la question du processus politique et ne ferait qu’aggraver la tendance actuelle caractérisée par un effondrement de l’Etat, l’augmentation de l’insécurité et le développement des (mauvaises) influences extérieures. Il refuse, démonstration à l’appui, la lecture communautaire et religieuse de la vie politique irakienne, fonctionnant sur la trilogie chiites-sunnites-kurdes, très en vogue actuellement dans la presse occidentale, sans négliger toutefois le caractère composite de la société irakienne et ses risques de désagrégation sous les effets conjugués d’un chômage galopant (55% de la population active), d’un effondrement économique et d’une incapacité à recouvrer l’argent de son pétrole. Raison pour laquelle, réaffirme-t-il, pour prévenir l’Irak des guerres civiles qui le menacent la communauté internationale a le devoir de lui restituer sa capacité à s’autogouverner. Il admet qu’il n’y a pas de consensus sur cette question actuellement, mais constate que, même aux Etats-Unis, on commence à discuter ce qui auparavant était indiscutable.
Quant à l’unanimité de façade autour du rôle plus important qu’il conviendrait de donner aux Nations unies, Ghassan Salamé estime qu’il ne s’agit pas d’une question de volume. Ce qui importe, dit-il c’est de savoir précisément ce qu’on attend de l’organisation internationale et qu’elle sorte enfin du flou dans lequel la résolution 1483 l'enfermait en faisant d’elle le compagnon obligé d’une coalition dont elle ne maîtrisait, ni n’approuvait, pas forcément les projets.
Ecouter également :
Ghassan Salamé au micro de Pierre Ganz (09/09/2003, 8')
Ghassan Salamé prend acte du bourbier dans lequel s’enfonce l’Irak sous la conduite d’une administration (américaine) dont il n’approuve visiblement pas la gestion. Il dit et répète que la seule autorité légitime en Irak est celle dont se seront dotés les Irakiens eux-mêmes. Et il propose une méthode par étapes, car la situation actuelle ne permet pas d’envoyer directement les Irakiens aux urnes. Si le Conseil de gouvernement n’est pas «exhaustivement» représentatif, il l’est en tout cas «substantiellement» pour permettre le démarrage d’une vie politique institutionnelle dotée d’une légitimité minimum en attendant la mise en place d’une conférence constitutionnelle (qu’il envisage début octobre), l’adoption d’une constitution (début 2004) et la tenue d’élections générales (au mois d’avril ou mai 2004).
Il lui paraît capital de fournir des repères et d’ouvrir des perspectives datées: «Le plus grave est qu’il n’y a pas de lumière au bout du tunnel», au point que les gens ont «l’impression que le seul calendrier (dont ils disposent) est celui des élections américaines» en dehors de l’échéance du 21 novembre, inquiétante date de la fin du programme «pétrole contre nourriture» dont bénéficient 60% du peuple irakien. Car l’un des principaux problèmes qu’il identifie est celui de la durée. L’ONU est très attachée, explique Ghassan Salamé, à la fixation d’un calendrier. Car, même s’il n’est pas forcément respecté, son annonce produit un effet immédiat: il signifie que tôt ou tard l’occupation prendra fin.
Coller aux fantasmes de Washington
L’Irak est, d’autre part, un cas d’école exemplaire pour les autres nations. D’où l’importance, aux yeux du fonctionnaire de l’ONU, des arguments légitimant l’intervention, à l’égard desquels il ne cache pas sa perplexité, qu’il s’agisse de lutter contre le terrorisme international ou de redessiner la carte politique du Moyen-Orient. Ghassan Salamé estime que l’Irak est otage de visions globales qui ne collent pas avec la réalité irakienne et qui ont conduit à des erreurs coûteuses, telles que la dissolution de son armée, de sa police et de son administration. Les Irakiens, dit-il, sont victimes de parallèles établis avec d’autres situations historiques telles que l’Allemagne d’après-guerre, sur le plan politique, et d’après la guerre froide, sur le plan économique.
Dans un tel contexte la nationalité des forces en présence ou leur nombre n’a plus d’importance. Il faut, explique-t-il, inverser la tendance et remplacer ces forces internationales par des forces irakiennes, rompre avec la politique du fait accompli, tourner la page et, surtout, réunifier la communauté internationale autour du nouveau projet. Selon lui, renforcer ou augmenter les troupes de la coalition ne résoudrait pas la question du processus politique et ne ferait qu’aggraver la tendance actuelle caractérisée par un effondrement de l’Etat, l’augmentation de l’insécurité et le développement des (mauvaises) influences extérieures. Il refuse, démonstration à l’appui, la lecture communautaire et religieuse de la vie politique irakienne, fonctionnant sur la trilogie chiites-sunnites-kurdes, très en vogue actuellement dans la presse occidentale, sans négliger toutefois le caractère composite de la société irakienne et ses risques de désagrégation sous les effets conjugués d’un chômage galopant (55% de la population active), d’un effondrement économique et d’une incapacité à recouvrer l’argent de son pétrole. Raison pour laquelle, réaffirme-t-il, pour prévenir l’Irak des guerres civiles qui le menacent la communauté internationale a le devoir de lui restituer sa capacité à s’autogouverner. Il admet qu’il n’y a pas de consensus sur cette question actuellement, mais constate que, même aux Etats-Unis, on commence à discuter ce qui auparavant était indiscutable.
Quant à l’unanimité de façade autour du rôle plus important qu’il conviendrait de donner aux Nations unies, Ghassan Salamé estime qu’il ne s’agit pas d’une question de volume. Ce qui importe, dit-il c’est de savoir précisément ce qu’on attend de l’organisation internationale et qu’elle sorte enfin du flou dans lequel la résolution 1483 l'enfermait en faisant d’elle le compagnon obligé d’une coalition dont elle ne maîtrisait, ni n’approuvait, pas forcément les projets.
Ecouter également :
Ghassan Salamé au micro de Pierre Ganz (09/09/2003, 8')
par Georges Abou
Article publié le 08/09/2003