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Maroc

Des élections communales moroses

En dépit de l’abaissement de l’âge du vote, de 21 à 18 ans, de la rallonge du délai d’inscription sur les listes électorales, au printemps dernier, de l’autorisation d’absence accordée aux fonctionnaires afin qu’ils se rendent aux urnes et des appels au civisme, les Marocains ne se sont pas, apparemment, bousculés pour renouveler le personnel communal, vendredi 12 septembre. Deux heures après la clôture du scrutin, on apprenait la mort de trois personnes, dont un candidat, en raison de différentes altercations à proximité des bureaux de vote.
De notre correspondante à Rabat

A seize heures, le taux de participation s’élevait, à 30%, selon les estimations communiquées par le ministère de l’Intérieur. Une situation identique à celle du précédent scrutin organisé au Maroc, qui, déduction faite des bulletins invalidés, avait mis en place un Parlement à partir de 45% des bulletins jugés recevables. Les attentats meurtriers de Casablanca, qui avaient fait 45 morts le 16 mai dernier, n’ont donc pas réussi à réconcilier les Marocains et leurs représentants politiques, selon ces premières données. La seule différence notable, et elle est de taille, sera vraisemblablement le score modeste des élus du PJD (Parti de la justice et du développement), seul parti islamiste autorisé au Maroc, qui ont limité leur présence à seulement 11% de l’ensemble des candidats.

Jugés «modérés» avant le 16 mai, les élus du PJD, qui avaient triplé leur score lors des législatives du 27 mai dernier, ont été montrés du doigt au lendemain des attentats du 16 mai, si bien qu’il leur a fallu adopter un profil bas, seule attitude à même d’assurer leur survie politique. Le raz-de-marée islamiste annoncé avant le 16 mai ne devrait donc pas se produire pour ces élections communales.
Initialement prévues en juin, elles n’ont pas été annulées ainsi que certains l’avaient craint au vu du score islamiste de septembre dernier ou au lendemain des attentats de Casablanca. Et si le PJD a officiellement réduit volontairement le nombre de ses candidats, le mode de scrutin a été préparé de façon à favoriser la balkanisation du paysage politique, laissant cependant l’initiative aux deux premières forces politiques du royaume: le parti de l’Istiqlqal (nationaliste, conservateur) et l’USFP (Union socialiste des forces populaires). Menacées par les islamistes sur l’échiquier marocain sorti des urnes en septembre 2002, elles devraient conforter leur position grâce au scrutin de liste retenu pour les villes de plus de 25 000 habitants et au scrutin uninominal à la proportionnelle pour les autres communes. Les six plus grandes villes du Maroc, Casablanca, Rabat, Tanger, Salé, Fès et Marrakech, ont, par ailleurs, été redécoupées sur le modèle des grandes agglomérations françaises, à savoir des «arrondissements» chapeautés par un «Conseil de la ville», présidé par un élu issu du scrutin initial, ce qui, par le jeu des alliances, permet d’écarter plus facilement les indésirables.

Vingt-six partis politiques en lice

On peut aussi s’interroger sur la faible mobilisation annoncée des électeurs. Nombre de Marocains avouent ne pas faire confiance à une classe politique «qui ne se soucie d’eux que lors des rendez-vous électoraux». En l’absence de réels programmes politiques, la campagne électorale s’est limitée à des déclarations lues à la télévision et à des distributions de tracts ces deux dernières semaines, ponctuées par les visites de candidats, en particulier dans des quartiers populaires, comme ceux d’où sont partis les kamikazes du 16 mai. La pratique du bakchich, dénoncée par la presse, ne fait que renforcer la méfiance des électeurs.
Avec un tiers des membres du gouvernement se présentant aux élections communales, en raison du flou de la loi sur le cumul des mandats, et vingt-six partis politiques en lice, les électeurs ont bien du mal à s’y retrouver. Sans compter que les partis, qui devaient donner leur place aux femmes n’ont pas tenu leurs promesses, puisque ces dernières ne représentent que 5% des candidats, et encore, elles sont majoritairement en fin de liste et les MRE (Marocains résidant à l’étranger, environ trois millions de personnes) n’ont pas obtenu l’autorisation de voter.

Parallèlement, des militants de gauche et d’associations des droits humains ont dénoncé les méthodes employées par l’administration centrale pour dissuader 200 élus à se présenter aux élections communales: les walis (préfets) et gouverneurs ont, en effet, reçu la liste des indésirables à convaincre de ne pas se présenter. Parmi ceux-ci figuraient essentiellement des élus soupçonnés de corruption, de trafic de drogue ou de contrebande. Une initiative prise en l’absence de toute intervention judiciaire indépendante.
En dépit de la morosité du climat électoral, ces élections représentent un enjeu non négligeable pour les Marocains, puisque la «nouvelle charte communale», finalisée au printemps, prévoit de nouvelles attributions pour les Conseils de la ville, jusque-là étroitement placés sous la tutelle de l’Intérieur. Les nouveaux conseillers communaux devraient, en effet, pouvoir agir davantage en matière d’emplois, d’infrastructures et d’équipements, de transports locaux, d’assainissement ou de gestion de l’eau et de l’éclairage. Ce qui, à l’heure actuelle, est encore géré de façon désordonnée.



par Isabelle  Broz

Article publié le 13/09/2003