Travail
Les ouvriers étrangers de France refusent l'exploitation
Mouvements de protestation aux chantiers de Saint-Nazaire, affaires plaidées devant les tribunaux, les ouvriers étrangers, sous contrat de travail temporaire en France, sortent de l’ombre en dénonçant les abus dont ils sont victimes avec l’aide des syndicats et des associations.
On les appelle «les contrats OMI», du nom de l’Office des migrations internationales, organisme en charge de leur recrutement et de leur transport, au nom de l’Etat français. Affectés à des chantiers, aux tâches agricoles ou employés dans l’hôtellerie, ils viennent majoritairement du Maroc, de Tunisie, et de Pologne, pays qui ont signé des conventions bilatérales, mais ils peuvent être aussi originaires de l’Inde. Dotés de contrat de travail temporaire, excédant rarement huit mois, ils suppléent la pénurie de main d’œuvre nationale. Ils sont considérés comme des immigrés temporaires. Des immigrés temporaires qui reviennent en France, chaque année, certains depuis 30 ans, et à qui on dénie les droits élémentaires, en usant de la précarité de leur statut.
L’agriculture française est le premier consommateur de «contrats OMI». Ils concernent entre 13 000 et 14 000 personnes sur 1,2 millions d’ouvriers agricoles. «Ce n’est pas beaucoup», confie André Nutte, directeur de l’OMI, inquiet des réactions xénophobes que ces données peuvent provoquer dans l’opinion publique. Mais, «ces ouvriers étrangers nous sont indispensables», ajoute Claude Cochonneau, président de la commission main d’œuvre de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. «Les récoltes n’attendent pas et nous avons besoin de personnel au moment où le fruit est mûr».
Quelque soit leur origine, ces ouvriers étrangers temporaires constituent une sorte de «lumpen prolétariat» planétaire, à la discrétion des employeurs et se déplaçant au gré des intérêts économiques nationaux. Leurs contrats relèvent du Code général du travail du pays dans lequel ils exercent. En France, les associations d’accueil des étrangers s’accordent à dénoncer les pratiques abusives des patrons, qui profitent du système d’embauche et des faiblesses de la protection sociale.
«La saison débute par les pêches au mois de mars et finit par le ramassage des olives en décembre», explique Boujemaa, 39 ans, l’un des 4 100 ouvriers agricoles qui travaillent dans les champs des Bouches-du-Rhône. Ce département fait partie du triangle d’or que constitue la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur : la moitié de la production des poires, 35 % de celle des cerises, 20% des pêches et 10 % des abricots sont récoltés ici. En outre, elle fournit 70¨% de l’huile d’olive française.
«Tu restes au pays, l’année prochaine !»
Le premier contrat de Boujemaa date de mars 1988. Depuis cette année-là, le jeune Marocain a enchaîné les travaux avec différents exploitants agricoles, car la particularité de Boujemaa est son entêtement à faire valoir ses droits. Son récit pourrait être la trame d’un roman d’Emile Zola : «on dormait à plusieurs dans des petites chambres, les toilettes à la turque nous servaient de douche, nous avions une cuisine pour 19 personnes, tout cela pour un loyer de 125 F par mois par personne». Heures supplémentaires et primes non payées, retards des salaires, absence de protection contre les engrais et pesticides…Il proteste. La punition tombe à chaque fois : il reste au Maroc l’année suivante. Toute sa famille est privée d’une source de revenus non négligeable parce qu’il a «osé» se plaindre.
Les «contrats OMI» sont nominatifs (sauf pour les Polonais). Par conséquent, on peut «punir» un ouvrier revendicateur. Pour l’instant, la seule embellie dans le paysage a été un accord-cadre de l’Etat français, qui interdit en 1995 de nouveaux contrats saisonniers. Aubaine pour les anciens ouvriers qui assoient leurs revendications sur une base plus favorable ! Cependant, cinq ans plus tard, sous la pression des exploitants agricoles, qui se disent «obligés de recruter des clandestins», l’accord est enterré.
Les recrutements reprennent. Certains employeurs font même le voyage pour établir leur sélection. D’autres patrons monnayent le contrat d’embauche: entre 300 euros et 1 000 euros pour être «choisi». Une tractation qui, il y a quelques années, a ému les inspecteurs du Travail de Marseille. Il est vrai que les exploitants «épinglés» en avaient fait un véritable trafic d’immigrés clandestins, en demandant un nombre de «contrats OMI» plus important que leurs récoltes le nécessitaient !
Aujourd’hui, Boujemaa est immobilisé par un grave accident de travail. Le patron n’a pas reconnu l’accident et l’a chassé de son logement, et il est sous le coup d’une mesure d’expulsion. Si son taux d’invalidité avait été noté à 20 %, il aurait eu le droit de rester en France définitivement. Mais les experts médicaux diagnostiquent rarement à cette hauteur. Beaucoup de «contrats OMI» accidentés se retrouvent ainsi à errer entre hôpital, tribunal et police, dans un statut de semi-clandestinité.
Dans le cas des ouvriers roumains et indiens du chantier de construction du paquebot «Queen Mary II» à Saint-Nazaire, associations et syndicats français ont obtenu que les conditions de travail et d’hébergement soient respectées par les entreprises. La juxtaposition des images de luxe des futures croisières et la misère des employés a peut-être aidé à la résolution des problèmes. Mais dans les champs, personne ne vient voir ce qui se passe.
L’agriculture française est le premier consommateur de «contrats OMI». Ils concernent entre 13 000 et 14 000 personnes sur 1,2 millions d’ouvriers agricoles. «Ce n’est pas beaucoup», confie André Nutte, directeur de l’OMI, inquiet des réactions xénophobes que ces données peuvent provoquer dans l’opinion publique. Mais, «ces ouvriers étrangers nous sont indispensables», ajoute Claude Cochonneau, président de la commission main d’œuvre de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. «Les récoltes n’attendent pas et nous avons besoin de personnel au moment où le fruit est mûr».
Quelque soit leur origine, ces ouvriers étrangers temporaires constituent une sorte de «lumpen prolétariat» planétaire, à la discrétion des employeurs et se déplaçant au gré des intérêts économiques nationaux. Leurs contrats relèvent du Code général du travail du pays dans lequel ils exercent. En France, les associations d’accueil des étrangers s’accordent à dénoncer les pratiques abusives des patrons, qui profitent du système d’embauche et des faiblesses de la protection sociale.
«La saison débute par les pêches au mois de mars et finit par le ramassage des olives en décembre», explique Boujemaa, 39 ans, l’un des 4 100 ouvriers agricoles qui travaillent dans les champs des Bouches-du-Rhône. Ce département fait partie du triangle d’or que constitue la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur : la moitié de la production des poires, 35 % de celle des cerises, 20% des pêches et 10 % des abricots sont récoltés ici. En outre, elle fournit 70¨% de l’huile d’olive française.
«Tu restes au pays, l’année prochaine !»
Le premier contrat de Boujemaa date de mars 1988. Depuis cette année-là, le jeune Marocain a enchaîné les travaux avec différents exploitants agricoles, car la particularité de Boujemaa est son entêtement à faire valoir ses droits. Son récit pourrait être la trame d’un roman d’Emile Zola : «on dormait à plusieurs dans des petites chambres, les toilettes à la turque nous servaient de douche, nous avions une cuisine pour 19 personnes, tout cela pour un loyer de 125 F par mois par personne». Heures supplémentaires et primes non payées, retards des salaires, absence de protection contre les engrais et pesticides…Il proteste. La punition tombe à chaque fois : il reste au Maroc l’année suivante. Toute sa famille est privée d’une source de revenus non négligeable parce qu’il a «osé» se plaindre.
Les «contrats OMI» sont nominatifs (sauf pour les Polonais). Par conséquent, on peut «punir» un ouvrier revendicateur. Pour l’instant, la seule embellie dans le paysage a été un accord-cadre de l’Etat français, qui interdit en 1995 de nouveaux contrats saisonniers. Aubaine pour les anciens ouvriers qui assoient leurs revendications sur une base plus favorable ! Cependant, cinq ans plus tard, sous la pression des exploitants agricoles, qui se disent «obligés de recruter des clandestins», l’accord est enterré.
Les recrutements reprennent. Certains employeurs font même le voyage pour établir leur sélection. D’autres patrons monnayent le contrat d’embauche: entre 300 euros et 1 000 euros pour être «choisi». Une tractation qui, il y a quelques années, a ému les inspecteurs du Travail de Marseille. Il est vrai que les exploitants «épinglés» en avaient fait un véritable trafic d’immigrés clandestins, en demandant un nombre de «contrats OMI» plus important que leurs récoltes le nécessitaient !
Aujourd’hui, Boujemaa est immobilisé par un grave accident de travail. Le patron n’a pas reconnu l’accident et l’a chassé de son logement, et il est sous le coup d’une mesure d’expulsion. Si son taux d’invalidité avait été noté à 20 %, il aurait eu le droit de rester en France définitivement. Mais les experts médicaux diagnostiquent rarement à cette hauteur. Beaucoup de «contrats OMI» accidentés se retrouvent ainsi à errer entre hôpital, tribunal et police, dans un statut de semi-clandestinité.
Dans le cas des ouvriers roumains et indiens du chantier de construction du paquebot «Queen Mary II» à Saint-Nazaire, associations et syndicats français ont obtenu que les conditions de travail et d’hébergement soient respectées par les entreprises. La juxtaposition des images de luxe des futures croisières et la misère des employés a peut-être aidé à la résolution des problèmes. Mais dans les champs, personne ne vient voir ce qui se passe.
par Marion Urban
Article publié le 22/09/2003