Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Proche-Orient

Vingt-sept pilotes israéliens en colère

Ils ne sont que 27 et pourtant leur décision vient d’ébranler la classe politique et militaire israélienne. Ces pilotes, après plusieurs mois de réflexion, viennent en effet d’annoncer leur décision de refuser d’opérer dans les territoires palestiniens et donc de participer aux attaques ciblées visant les activistes palestiniens contre lesquels l’Etat hébreu a pourtant déclaré «une guerre totale». Avant eux déjà, de simples soldats et des officiers de réserve de l’armée de terre avaient refusé de servir au-delà des frontières de 1967 mais leur mouvement s’était vite essoufflé, victime du raidissement de la société israélienne face à la multiplication des attentats suicide. Aujourd’hui les différents mouvements de «refuzniks» disent espérer beaucoup de cette nouvelle initiative. Elle pourrait, selon eux, relancer leur cause tant le prestige des pilotes de l’armée de l’air, considérés comme le corps d’élite des forces armées, est grand en Israël.
Leur décision n’a pas été prise à la légère. Avant d’annoncer officiellement à leur hiérarchie et au monde leur intention de «ne plus obéir à des ordres illégaux et immoraux» et leur refus de «prendre part à des attaques aériennes contre des centres de population civile», les 27 pilotes de l’armée de l’air ont en effet pris le temps de la réflexion. Un événement, remontant au 22 juillet 2002, a été à l’origine de leur démarche. Ce jour-là, l’aviation israélienne avait semé la terreur à Gaza en larguant une bombe d’une tonne sur un immeuble où se trouvait Salah Chéhadé, l’un des chefs militaires du Hamas. Dix-sept personnes avaient trouvé la mort, parmi lesquelles neuf enfants. «Nous sommes des citoyens loyaux à l’Etat d’Israël. Et nous avons pris cette décision après une profonde réflexion et en notre âme et conscience», a ainsi déclaré le capitaine Yonatan au nom des 27 signataires. «En tant qu’officiers et pilotes, nous avons reçu la lourde responsabilité de diriger la plus puissante machine de guerre. Et en tant que personnes éduquées selon le code moral de l’armée et une certaine idée de l’Etat d’Israël, nous avons décidé d’obéir à l’ordre qui nous oblige à refuser tout ordre d’une injustice flagrante», a-t-il précisé.

La lettre ouverte, dans laquelle les 27 pilotes justifient leur démarche, a provoqué un séisme dans les milieux politiques et militaires israéliens. L’armée a tout d’abord tenté de minimiser une telle action. «Il faut garder les choses dans leurs justes proportions. Nous parlons de 27 officiers sur des milliers de pilotes», a ainsi déclaré le général Dan Haloutz, le commandant en chef de l’aviation, qui a martelé qu’il n’y avait pas d’«armée plus morale que l’armée israélienne». Il a également fait valoir que seuls neuf des 27 officiers signataires –parmi lesquels se trouve le général Yiftah Spector, un chef d’escadrille qui s’était illustré lors de la guerre du Kippour– étaient encore en activité, les autres faisant partie du corps de réserve. Le général Haloutz a en outre affirmé au quotidien Haaretz que les neuf pilotes seront convoqués dans les prochains jours. «S’ils refusent de se rétracter, ils seront exclus du service actif et devront affronter la justice», a-t-il précisé.

Mais le commandant en chef de l’aviation n’a pas été le seul militaire à monter au créneau. Le ministre de la Défense Shaoul Mofaz a dénoncé «une opération politique qui n’a rien de morale», soutenu dans sa démarche par le général de l’armée de l’air Eliezer Shkedi qui a affirmé que les pilotes avaient «exploité cyniquement le prestige de leur uniforme et leur carrière à des fins politiques». Le chef d’état-major, Moshé Yaalon, a quant à lui qualifié l’affaire de «déclaration politique entreprise dans un uniforme de l’armée». «Cela n’a aucune légitimité», a-t-il affirmé.

Colère des politiques

Le monde politique n’est pas resté non plus silencieux face à ce que la presse israélienne qualifie déjà de «révolte des pilotes». Il est vrai que l’impact de cette action est d’autant plus fort qu’il émane du corps d’élite des forces armées israéliennes. L’aviation a en effet toujours été considérée comme une sorte d’aristocratie censée montrer l’exemple aux autres militaires. Dans ce contexte, les réactions des politiques ont été à la hauteur du choc provoqué. Le Premier ministre, Ariel Sharon, pourtant bien silencieux ces dernières semaines depuis le désaccord qui l’oppose à Washington sur le tracé du «mur de sécurité», est sorti de son mutisme pour affirmer que l’on ne pouvait pas «choisir son programme à la carte au sein de l’armée». Cité par la radio israélienne, il a insisté sur le fait que «toutes les mesures appropriées seront prises» contre les signataires.

Un responsable à la présidence du conseil a pour sa part estimé que cette déclaration allait «provoquer des dégâts pour l’image de marque d’Israël dans le monde et justifier les accusations mensongères des Palestiniens selon lesquels l’Etat hébreu s’attaque à la population civile». Maîtrisant mal sa colère, l’ancien président israélien Ezer Weizman, également ancien commandant en chef de l’aviation, a violemment dénoncé «l’absence de moralité» des pilotes et qualifié leur refus d’obéir aux ordres de «cancer qu’il faut éradiquer avant qu’il ne se répande».

La démarche des 27 pilotes constitue certes une première dans l’armée de l’air. Mais des actions similaires ont déjà été prises dans d’autres corps d’armée. La dernière en date remonte à janvier 2002. Cinquante-deux soldats et officiers de réserve israéliens avaient signé un appel dans lequel ils déclaraient refuser de servir au-delà des frontières de 1967. «Nous ne continuerons pas à nous battre au-delà de la ligne verte dans le but d'opprimer, d'expulser, d'affamer et d'humilier un peuple tout entier», avaient-ils écrit dans une pétition qui avait suscité une vive polémique en Israël. Leur mouvement, baptisé «Le courage de refuser», compte aujourd’hui plus de 500 membres et certains des militaires y ayant adhéré purgent actuellement des peines de prison. Les 27 pilotes avaient dans un premier temps envisagé de rejoindre ce mouvement avant d’estimer que leur action aurait sans doute plus d’impact s’ils formaient un groupe indépendant.

Ecouter également

Monique Crinon, fondatrice du comité Sico (Solidaires des israéliens contre l'occupation). (Invitée mi-journée 25 septembre 2003, 8'13").



par Mounia  Daoudi

Article publié le 25/09/2003