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Iran

Ultimatum atomique

L’AIEA a lancé un ultimatum à Téhéran, sommé d’autoriser des inspections poussées de ses installations nucléaires sous peine d’être frappé d’éventuelles sanctions. Cette affaire, outre sa dimension régionale, révèle l’immense danger de prolifération des armes atomiques en cours.
Depuis vendredi, l’étau s’est un peu plus resserré sur l’Iran accusé par la communauté internationale, et notamment l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), d’avoir détourné de l’uranium hautement enrichi pour se doter de l’arme nucléaire. Le soupçon est apparu après la découverte récente, en Iran, de traces de ce type de matériau entrant dans la composition des armes atomiques. L’agence de l’ONU, qui veille également à la non-prolifération de telles armes, a lancé un ultimatum aux autorités iraniennes pour qu’elles ouvrent leurs installations aux inspecteurs de l’AIEA d’ici le 31 octobre. A défaut, Téhéran s’expose à la saisine du Conseil de sécurité de l’ONU et à d’éventuelles sanctions.

Lundi, à l’ouverture de la quarante-septième conférence générale de l’AIEA, le vice-président iranien et chef de l’organisation atomique nationale, Gholamreza Aghazadeh, a indiqué que son pays «reste totalement engagé» par sa signature du Traité de non-prolifération, entré en vigueur en 1970. Ce traité, signé par 188 pays, fait obligation aux Etats de déclarer et de placer sous le contrôle de l’agence leurs matières nucléaires en vue d’assurer le respect de leur engagement de ne pas produire de bombes atomiques. Le document a été complété en 1997 par un «protocole additionnel» particulièrement contraignant qui autorise l’AIEA à inspecter des installations non-prévues par le TNP et, surtout, dans des délais très brefs. Bien que la signature d’un protocole additionnel ne garantisse pas une fiabilité totale en matière de détection d’un éventuel programme nucléaire, il permet d’élever le niveau de sécurité. Reste que l’Iran refuse de s’y soumettre pour le moment, ce qui accroît la suspicion à son égard, mais se déclare disposé à poursuivre les négociations visant à signer un tel protocole.

Officiellement, Téhéran proteste de sa bonne foi. Le président Mohammad Khatami a déclaré que son pays n’avait pas besoin d’armes atomiques et, a-t-il dit, «nous basant sur notre enseignement religieux, nous n’allons pas tenter d’en avoir». Toutefois le chef de l’Etat iranien n’a pas caché sa volonté d’en posséder «le savoir et la technologie», mais dans un but pacifique.

Cette affaire survient un an après le précédent de Pyongyang, qui a brutalement révélé sa présumée capacité nucléaire militaire, et s’est retirée du TNP, pour exercer un chantage et amener la communauté internationale, et en particulier Washington, à des négociations garantissant la sécurité de son régime. Fort inquiète, en examinant cette question iranienne, la communauté internationale voudrait écarter le spectre d’une prolifération incontrôlable de ce type d’armes de destruction massive. Reste qu’au moins deux puissances avérées (la Chine et le Pakistan) et une présumée (Israël) n’ont pas rejoint le club des puissances nucléaires «vertueuses» et que ces trois-là produisent un effet de contre-exemple préjudiciable à la bonne marche du système global qui, avant tout, repose sur la confiance mutuelle.

La bombe israélienne sera d’ailleurs au centre de la contre-argumentation que les capitales arabes ne manqueront pas de développer d’ici l’échéance de l’ultimatum, sur la base du deux poids-deux mesures. Dans le contexte actuel de la politique menée par Washington au Proche-Orient, il sera en effet difficile de faire admettre la mauvaise foi des uns et l’angélisme des autres. Et Téhéran saura vraisemblablement jouer de ces divisions, révélatrices de la menace d’immense désordre international que font peser les armes de destruction massive.

Débat intérieur iranien

L’affaire provoque un vif débat interne, en Iran, où conservateurs et réformateurs s’affrontent sur la conduite à tenir après l’ultimatum de l’AIEA. La position officielle est le reflet de l’ambiguïté entretenue par les héritiers de la révolution iranienne, contraints de proclamer leur souveraineté inaliénable mais néanmoins convaincus que Téhéran n’a rien à gagner à s’isoler sur la scène internationale. La députée réformatrice Elaheh Koulaie considère qu’il vaut mieux corriger le tir aussitôt que possible, faute de ne pas l’avoir déjà fait : «si l’on fait le calcul des avantages et des inconvénients, on arrive à la conclusion qu’il faut (…) au plus vite donner notre accord» aux inspections inopinées, déclarait-elle au journal Iran.

«La coopération entre l’Iran et l’AIEA va se poursuivre comme avant et nos critiques très claires ne signifient pas l’arrêt de cette collaboration», a déclaré lundi le porte-parole du ministère des Affaires étrangères. Pour Hamid Reza Assefi l’agence soumise au «lobbying en coulisse des pays occidentaux à commencer par les Etats-Unis (…) s’est écartée de son travail technique et s’est livrée à un travail politique». Mais, pour autant, aucune décision concrète n’a encore été prise : «les autorités compétentes sont en train d’en discuter et notre décision sera rendue publique dans le futur», a ajouté Hamid Reza Assefi. Le représentant de l’Iran auprès de l’AIEA déclare que son pays est actuellement «dans une période d’évaluation» et met en garde contre «toute réaction dictée par la précipitation ou la nervosité».

Les conservateurs, pour leur part, estiment qu’il faut saisir l’occasion pour rompre avec l’AIEA et les pays occidentaux. «C’est le meilleur moment pour le gouvernement iranien de régler ses comptes avec les Etats-Unis, l’Australie, le Canada et le Japon» et «transformer l’Iran en une grande puissance nucléaire», écrit le quotidien islamiste Jomhouri-Eslami persuadé d’autre part que même si, «dans une hypothèse improbable» Téhéran se pliait aux volontés de l’agence, les Etats-Unis «inventeront d’autres prétextes contre l’Iran».



par Georges  Abou

Article publié le 16/09/2003