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Afghanistan

Les autorités impliquées dans le trafic de drogue

Depuis la chute des Taliban, le trafic de drogue a repris de plus belle. Et s’ils se font la guerre, anciens et nouveaux maîtres de l’Afghanistan se partagent le marché de l’opium.
De notre envoyé spécial à Kandahar

Des gardes armés sont postés à l’entrée de la madrasa. Discrètement, ils observent les visiteurs, crispés sur leurs vieux fusils d’assaut. Trois femmes en burqa, assises par terre, réclament un peu d’aide sous l’œil indifférent de ces anciens moudjahidins reconvertis en gardiens d’école. Dans un quartier éloigné du centre de Kandahar, après avoir franchi un ensemble de maisons en ruines, l’école coranique du mollah Naqib s’ouvre sur les hautes collines auxquelles s’adosse la grande cité pachtoune, à deux pas de l’ancienne maison du mollah Omar, le guide spirituel des fondamentalistes afghans.

Ancien haut dignitaire taliban acheté par le nouveau gouvernement contre une participation à l’effort de reconstruction, le mollah Naqib est l’un des plus importants trafiquants de drogue du sud du pays. À sa solde, près de quatre cents cultivateurs de pavot, essentiellement répartis dans la plaine agricole de Kandahar, entre la ville et le district de Chah Wali Khot où se trouvent les laboratoires clandestins. Des fermiers payés avec cet argent frais offert début 2002 au chef religieux par le vice-président du gouvernement afghan, le ministre de la défense et l’ancien président Rabbani. Depuis, le mollah Naqib s’est beaucoup dépensé pour rapprocher les commandants locaux, réconcilier les ennemis d’hier et pousser à la paix. Ses discours prônent également la paix et la reconstruction.

«Cet ancien Taliban a bien compris ce qu’il fallait faire et dire pour qu’on le laisse en paix. Il administre tranquillement son commerce d’opium et d’héroïne, tout en étant montré comme exemple par les autorités de Kaboul. Et par les Américains. Mais il fait tout pour que la situation ici dérape», s’énerve un expert présent à Kandahar.
Avec 70% du stock mondial, l’Afghanistan est le premier producteur d’héroïne dans le monde. En 2002, la production aura rapporté 1,4 milliard de dollars aux trafiquants, soit 200 millions de dollars de plus que l’aide internationale. La production et la vente de stupéfiants sont tellement imbriquées dans les rouages du pouvoir, que la communauté internationale ignore pour l’instant comment lutter contre ce fléau. À Kandahar, tous les hauts responsables de la province sont impliqués dans ce commerce. A commencer par l’ancien gouverneur, Gul Agha Sheer Zoi, remplacé courant août par un proche du président Hamid Karzaï et actuellement ministre de la reconstruction et du développement urbain. Gul Agha Sheer Zoi a donc passé le relais au nouvel envoyé de Kaboul, Youssouf Pachtoune, qui a repris le commerce de la drogue à son compte et pour celui du nouveau ministre.

Sanglants règlements de compte

Épaulés par le chef des affaires extérieures de la province de Kandahar, Khaled Pachtoune, et leurs centaines d’hommes de main, dont d’anciens Taliban reconvertis dans les affaires, ils tiennent les routes du Pakistan et d’Iran, où la drogue est acheminée. Mais à Kandahar, deux groupes s’occupent en fait du commerce de la drogue. Face à l’équipe du ministre et du gouverneur, le chef de la police, Khan Mohamed, et l’ancien homme de main de Gul Agha Sheer Zoi se sont associés. Ils contrôlent la route du nord, vers le Tadjikistan, via Kaboul. Les règlements de compte sont sanglants, trop souvent mis sur le dos de présumés Taliban.

«La violence dans la ville de Kandahar est générée par ces deux groupes qui se livrent une féroce bataille pour le contrôle de l’opium. Le mollah Naqib passe de l’un à l’autre et attise les tensions. Il faut croire qu’il continue à entretenir l’illusion du retour des Taliban: plus la ville sera violente, plus les gens se tourneront vers les seuls qui sont parvenus à éradiquer la violence, les Taliban», confie le responsable d’une organisation humanitaire, avant d’ajouter: «ils font le jeu du Pakistan. Des membres de l’ISI, les services secrets pakistanais réceptionnent, juste derrière la frontière les ballots d’héroïne ou d’opium. La revente de la drogue alimente les comptes de ceux qui continuent de former et armer les Taliban à Quetta et dans les camps du Balouchistan.» Mais encore, le frère de Hamid Karzaï, Walid Karzaï, solidement implanté à Kandahar, aurait illégalement acquis des terrains dans le district Daman, au sud de Kandahar, où un vaste projet de ville nouvelle a été mis en place par des investisseurs américains. «Une partie de l’argent de la drogue devrait servir à financer cet ambitieux programme», avance l’expert de Kandahar.

Les soldats américains, présents dans la province depuis fin 2001 continuent d’acheter la paix, en leur fournissant de l’argent, immédiatement réinvesti dans le trafic de drogue. «L’opium, c’est le cadet de leurs soucis. Ils ne sont là que pour traquer les Taliban, pas pour nous aider à la reconstruction. Ils croient acheter une certaine paix en payant les services des anciens moudjahidins, mais ils créent malgré eux une forme de violence bien plus grave que les menaces fondamentalistes», affirme un haut gradé de la nouvelle armée afghane, qui préfère garder l’anonymat. Une menace qui arrange certainement les affaires du mollah Naqib et des responsables provinciaux.



par Cédrik  Chaix

Article publié le 30/09/2003