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Mauritanie

Le président Ould Taya prépare le terrain

Le 20 août, Maaouiya Ould Taya a confirmé qu’il serait candidat à sa propre succession le 7 novembre prochain –pour la troisième fois depuis son coup d’Etat de 1984–, comme l’avait annoncé en mai dernier le parti présidentiel, le Parti républicain démocratique et social (PRDS). Entre temps, il a été la cible d’une tentative de putsch, le 8 juin 2003. Celle-ci a été l’occasion d’un coup de balai dans l’armée dont 129 officiers et sous-officiers viennent d’être déférés en justice le 7 septembre sous l’inculpation de «haute trahison», «complot contre l’ordre constitutionnel» et «assassinats et actes de sabotages». Parallèlement, des accusations de terrorisme islamiste continue de peser sur les 41 détenus remis en liberté provisoire fin août. Un geste d’apaisement aux relents de chantage électoral.
Fin avril, le général Ould Taya avait fait usage interne de la lutte anti-terrorisme recommandée par Washington. Des rafles dans les milieux religieux et dans son opposition politique avaient rempli ses prisons. Avec leur libération sous condition, ils encourent toujours de très lourdes peines pour «incitation à la violence et constitution d’association de malfaiteurs». Ils exigent un «non-lieu» et le candidat Ould Taya pourrait avoir à faire un effort supplémentaire pour les convaincre de servir sa réélection. Selon un de leur chef de file, les anciens résidents de Beila, la prison de Nouakchott, auraient conclu un accord avec l’ancien président Ould Haidalla –renversé en 1984 par Ould Taya. En échange de leurs suffrages, le concurrent Ould Haydalla promet de rouvrir leurs organisations de bienfaisance islamiques et autres écoles de prêche, en cas de victoire bien sûr. En réponse, le chef de l’Etat s’est immédiatement réclamé du soutien de quelque 2000 imams et autres religieux mauritaniens qui ont vu, dans les dernières libérations, la marque d’un «homme sûr capable de conduire le pays vers un avenir meilleur».

Après le bâton, la carotte


La bataille pour l’électorat islamiste bat son plein. Mohamed Khouna Ould Haidallah a obtenu, dimanche, le ralliement de 23 anciens membres de l’aile islamiste du Rassemblement des forces démocratiques (RFD), le principal parti d’opposition dirigé par Ahmed Ould Daddah. Ces cadres du RFD avaient démissionné le 3 septembre en reprochant au candidat Ould Daddah «le blocage total des activités des instances du parti et la faiblesse de son action vis-à-vis des grandes questions nationales». En revanche, Ould Daddah pourra compter sur les votes du petit Parti unioniste démocratique et socialiste (PUDS). Mais il a déjà perdu les voix de ses anciens compagnons de route de l’Union des forces démocratiques (UFD), dissoute par le pouvoir en octobre 2 000. Certains de ses anciens cadres viennent de choisir le camp Ould Taya, en même temps que ceux du Parti de la renaissance nationale (PRN). Le «groupe des cadres» du PRN abandonne l’opposition, considérant que Ould Taya se distingue par sa «capacité à instaurer l’état de droit et la démocratie pluraliste en Mauritanie». Décision prise après la condamnation de leur directoire en mai 2003 à des peines de prison…avec sursis.

Après le froid carcéral, le président Ould Taya souffle donc le tiède. A trois mois des présidentielles, il vient de gracier – le 24 août – trois membres d’un important parti d’opposition, le Front populaire mauritanien. Parmi eux, le président du Front, Mohamed Lenine Ould Cheikh Malainine, condamné à cinq ans de prison le 12 juin 2001 pour «atteintes à la sûreté de l’Etat, actes de sabotage et de terrorisme» par la Cour criminelle de la ville d’Aioun, à quelque 850 kilomètres à l’Est de Nouakchott. Le 7 septembre, le chef de l’Etat a aussi déféré devant un juge les accusés du 8 juin. Une manière de répondre aux accusations des organisations humanitaires qui reprochent au régime ses détentions sans procès et autres accusations sans preuves établies, comme dans le cas des présumés islamistes d’avril 2003. Avant cette comparution des 129 militaires et les promesses attenantes de «garanties des droits de défense et de visite», le régime avait également présenté en public à la mi-août l’un des accusés, le lieutenant Didi Ould Mohamed, extradé à la mi-juillet par le Sénégal et donné pour mort sous la torture par certains humanitaires et, pire encore par la télévision qatarie Al-Jazira.

Officiellement, la tentative de coup d’Etat du 8 juin a fait 15 morts et 68 blessés. Nouakchott a lancé des mandats d’arrêts internationaux contre sept officiers en fuite parmi lesquels le cerveau présumé de l’opération, l’ex-commandant Saleh Ould Henenna. Et c’est justement Al-Jazira que ce dernier a utilisé comme tribune début septembre pour promouvoir, aux côtés d’un autre officier mauritanien, Mohamed Ould Cheikhna, un mouvement armé baptisé «Les cavaliers du changement». A visage découvert et en uniformes mauritaniens, sous un drapeau aux couleurs nationales, les deux hommes ont effectivement revendiqué le 8 juin et appelé l’armée à rallier les fameux cavaliers pour «un changement pacifique et démocratique en Mauritanie». Leur apparition publique a provoqué l’ire de Nouakchott qui accuse Al-Jazira de «sabotage de la démocratie» et dénonce plus largement les médias qui «font campagne pour des criminels».

«Conformément aux vœux exprimés à diverses occasions par un nombre croissant d’individus… j’ai décidé d’être candidat au poste de président de la République», expliquait le président Ould Taya le mois dernier. Le PRDS est «assuré de remporter cette élection avec son candidat Maaouiya Ould Taya», estime le secrétaire général du parti au pouvoir. «Des progrès remarquables ont été réalisés en matière de croissance et de lutte contre la pauvreté», renchérit le vice-président de la banque mondiale pour la région Afrique, le Zimbabwéen Callisto Madavo, en visite à Nouakchott. Quant aux accusations des organisations de défense des droits de l’homme et des observateurs de la démocratie, elles «n’ont aucuns fondements», assure le régime, «toutes les garanties existent pour le déroulement d’élections libres et transparentes», hors champs médiatique, le plus souvent verrouillé à tout regard critique.




par Monique  Mas

Article publié le 08/09/2003